Ce lundi 10 février, au cours d’un conseil d’entreprise extraordinaire, la direction d’AGC a annoncé la fermeture de son usine de Roux, dans la région de Charleroi. La multinationale japonaise entame donc la procédure « Renault » visant à licencier la totalité du personnel : 190 travailleurs. C’est un nouveau coup dur pour le Pays Noir et pour le secteur verrier puisque 300 emplois sont menacés également chez Saint Gobain, à Auvelais (Basse Sambre) et que les mauvaises nouvelles s’accumulent dans d’autres secteurs.
L’usine de Roux fabrique du verre pour les applications solaires. Pour justifier sa décision de fermeture, AGC invoque la concurrence des produits chinois : « Dans un contexte de récession économique, le marché européen du verre pour applications solaires a très fortement souffert d’importations massives de produits issus d’un dumping pratiqué en Chine. La spectaculaire chute de prix en résultant a entraîné un effondrement de l’industrie européenne du solaire, se marquant par la faillite ou le retrait du marché de nombreux producteurs européens« , explique un communiqué de la direction.
L’entreprise est effectivement en difficultés depuis plusieurs mois, à l’instar d’autres producteurs européens, tous confrontés au prix très bas des panneaux photovoltaïques fabriqués en Chine. Mais c’est la direction d’AGC qui a choisi de tout miser sur le verre solaire, en abandonnant le verre imprimé qui était la spécialité de Roux. Les travailleurs n’ont pas à faire les frais de cette concurrence capitaliste. D’autant plus que, comme les autres multinationales implantées dans notre pays, AGC a largement bénéficié du système fiscal belge, notamment des intérêts notionnels. Selon Marco Van Hees, le fiscaliste du PTB, le groupe a réalisé 224 millions d’Euros de bénéfices sur lesquels il n’a pas payé d’impôt. Un exemple de plus qui montre la nécessité d’une loi interdisant les licenciements, au moins dans les entreprises qui ont reçu des aides publiques…
Evoquée à l’automne dernier, la piste d’une reprise de l’entreprise n’a rien donné : le candidat, un certain Pepe Strazzante, se montrait acquéreur mais posait des conditions draconiennes : suppression d’un tiers du personnel et baisse des salaires de 15% pour les survivants. Tout ça pour trois années d’activité au maximum…
Le hasard du calendrier fait que samedi dernier, à Charleroi, était présenté le livre « L’épopée des verriers du pays noir ». Ecrit par André Henry, ancien délégué principal de Glaverbel Gilly, ce livre retrace les combats exemplaires menés dans les années 70 et 80 du siècle passé, et grâce auxquels il reste encore une activité verrière dans la région de Charleroi. Il y a des leçons à en tirer.
Les travailleurs de Roux, aujourd’hui, sont sous le choc. C’est toujours le cas face à un annonce de fermeture. Ils gagneraient à s’inspirer de leurs aînés : la grève active avec occupation de l’entreprise, l’élection d’un comité de grève et le maintien de l’outil sous contrôle ouvrier. C’est le meilleur moyen pour eux de construire un rapport de forces, et seul un rapport de forces leur offre une chance d’améliorer leur situation.
« L’épopée des verriers du pays noir » raconte notamment comment André Henry est ses camarades ont réussi à imposer la création d’une entreprise publique d’isolation et de rénovation des logements, afin d’assurer leur reconversion sous contrôle ouvrier. Cette entreprise publique (la SETIR) a été ensuite coulée par le pouvoir politique, mais ce n’est pas une raison pour ne pas retenter le coup. D’ailleurs, avant d’être torpillée, la perspective de la SETIR a permis à plus de deux cents « excédentaires » de garder leur plein salaire pendant… dix ans!
A l’époque, les arguments contre la SETIR étaient que le privé arriverait à de meilleurs résultats qu’une entreprise publique. Trente ans après, on peut faire le bilan : un grand nombre de bâtiments, en Wallonie, sont toujours des passoires thermiques… Quant au système des certificats verts pour les particuliers qui installent des panneaux photovoltaïques, il bénéficie surtout aux ménages fortunés et aux entreprises, aux frais des autres consommateurs d’électricité et de la collectivité. Toute cette politique néolibérale rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres, sans sauver l’environnement.
Sur proposition de l’ONG « Climat et Justice Sociale », l’Interrégionale wallonne de la FGTB, il y a quelques années, a repris la revendication de création d’une entreprise publique d’isolation rénovation des bâtiments. Cela fait partie de son cahier de revendications. Eh bien ! une solution concrète pour les travailleurs de Roux serait d’intégrer leur entreprise, leur savoir-faire et leur emploi à cette société publique. Grâce à cela, celle-ci pourrait non seulement isoler les bâtiments mais en plus les transformer en bâtiments passifs ou même en bâtiments positifs (produisant plus d’énergie qu’ils en consomment).
La question écologique peut être un atout à utiliser par la gauche syndicale. Les pays développés doivent passer à un système 100% renouvelables d’ici 2050. On a donc besoin de panneaux photovoltaïques, de panneaux thermiques, d’isolants thermiques, et de quantité d’autres choses dont la production nécessite du verre, de l’acier, etc. Il est absurde socialement et écologiquement d’importer tout cela de Chine ou d’ailleurs. Sans tomber dans le piège du protectionnisme, il faut contester la logique capitaliste qui ne résout rien et mettre en avant des revendications qui créent de l’emploi tout en sauvant le climat de la planète.
Rien qu’en commençant par s’attaquer aux bâtiments publics et parapublics (écoles, crèches, hôpitaux, maisons d’accueil pour personnes âgées, administrations, palais de justice, prisons, etc.) une entreprise publique d’isolation-rénovation énergétique fabriquant elle-même des panneaux PV pourrait garantir en Wallonie des milliers de bons emplois, socialement et écologiquement utiles et… non délocalisables. En même temps, cela diminuerait considérablement les émissions de gaz à effet de serre.
On ne dira pas que c’est facile… Il faut oser toucher à la sacro-sainte propriété privée capitaliste en confisquant le siège de Roux d’AGC. Il faut oser défier les règles néolibérales de l’Union Européenne sur l’attribution des marchés publics, notamment. Mais quelle est l’alternative ? Laisser à nouveau une multinationale mener des travailleurs à l’abattoir dans le cadre d’une « procédure Renault »? Au moins, ce que nous proposons ici trace une perspective. Elle peut commencer à s’ouvrir si les verriers roviens marchent dans les pas de leurs aînés, s’ils occupent l’usine, et si les organisations syndicales soutiennent à fond leur combat, à Charleroi et au niveau wallon. Qu’ont-ils à perdre?
Quand il n’y aura plus d’industrie, il sera trop tard. Celui qui lutte n’est pas sûr de gagner, mais celui qui ne lutte pas est sûr de perdre.