Un événement historique est peut-être en train de se produire sous nos yeux: l’émergence d’une force politique anticapitaliste, à gauche du PS et d’ECOLO. Les sondages indiquent en effet que les listes PTB-GO! (Gauche d’Ouverture) pourraient envoyer plusieurs élus dans les différents parlements du pays. Dans les semaines qui viennent, notre site publiera des entretiens avec des personnalités qui se sont engagées dans le soutien à ce rassemblement de la gauche autour du PTB. Après Isabelle Stengers, voici Anne Morelli, Professeure à l’ULB (LCR-web).
Qu’est-ce qui t’a décidée à signer l’appel « Il y a des rendez-vous qu’il ne faut pas manquer ? »
Anne Morelli : J’ai été très heureuse que, pour la première fois, se forment des listes regroupant la gauche de la gauche, le PTB, le PC et la LCR. Je milite depuis longtemps pour l’amnésie de nos différences, de sorte que ce rassemblement a été pour moi un grand soulagement. Cela fait longtemps que je plaide dans ce sens. Il faut vraiment arrêter de se positionner contre d’autres camarades qui sont tout aussi honorables mais qui ont choisi une autre voie. Je regrette que ce rassemblement n’ait pas été rejoint par d’autres – le Mouvement de Gauche et VEGA – qui présentent des listes séparées. J’espère qu’à l’avenir on ira vers une seule liste à gauche du PS et d’ECOLO.
Comment apprécies-tu l’appel de certains syndicalistes au rassemblement à gauche du PS et d’ECOLO ? Quel rôle cela at-il joué selon toi ?
A.M. : Cela me semble très important parce que ce sont des représentants du monde du travail. Il est très salutaire qu’ils aient sifflé la fin de la récréation entre les organisations de gauche, dont les militants sont actifs dans le mouvement syndical.
Tu as parlé d’amnésie : les débats et les expériences du passé ne seraient-ils d’aucune importance pour le présent et le futur de nos luttes, pour le socialisme à construire ?
A.M. : Je répondrai à partir de mon histoire personnelle. Je suis issue d’une famille de trotskystes, mon grand-père était ce qu’on appelle en Italie un bordiguiste. Ma famille s’est réfugiée en URSS après la victoire du fascisme, puis a quitté l’URSS en 1929. L’antistalinisme est à la base de la formation que j’ai reçue dans ma famille. En même temps, mon père, pendant la guerre, a participé à la Résistance avec les communistes et a été déporté. En prison, il s’est converti à la ligne de Moscou, au contact avec des détenus communistes français et allemands. Et beaucoup de nos amis étaient anarchistes. Toute mon enfance a donc été bercée par les débats sur la nature de l’URSS : était-elle encore socialiste ? Lénine avait-il eu raison de lancer la NEP (Nouvelle Politique Economique, lancée après la guerre civile, et qui rendait une place au marché dans l’économie soviétique, NDLR). Ce sont des questions intéressantes pour les historiens, mais quelle est leur pertinence aujourd’hui ? C’était il y a un siècle. Devons-nous nous séparer là-dessus alors que nous sommes d’accord sur les grands axes de la lutte à mener aujourd’hui ? Ces divisions du passé sont largement incompréhensibles pour mes étudiants. Nous devons nous préoccuper surtout de ce que nous allons faire à l’avenir et cela ne ressemblera de toute façon pas à la Chine de Mao ou à l’URSS de Lénine…
Penses-tu que le rassemblement contribue à expliquer que les sondages pour les listes PTB-GO soient aussi favorables ? Dans quelle mesure l’ouverture a-t-elle changé la donne ?
A.M.: Je reste sceptique et très prudente par rapport aux sondages, car le PS mène campagne contre les listes PTB-GO en disant que pour voter contre la NVA, il faut voter PS, sinon on perdrait sa voix. Je ne suis donc pas sûre que le résultat sera à la hauteur des sondages. Il y a aussi l’influence possible de ces tests électoraux qui ne mentionnent que les partis représentés au parlement. Ceci dit, il est clair que les appuis de certains secteurs syndicaux ont surpris beaucoup de gens qui pensaient que la FGTB était totalement inféodée au PS par le biais de l’Action Commune Socialiste. L’appui donné par certaines personnalités qui sont sorties de leur réserve a sans doute contribué également à « désenclaver » la gauche. Je pense notamment à Hugues Lepaige, Isabelle Stengers, Nicolas Bardos…
Comment vois-tu l’après 25 mai ?
A.M. : J’espère qu’il y aura des élus mais, s’il y a des élus, ce sera aussi le moment de tous les dangers. Il faudra être capable de résister aux tentatives de compromissions. En tant qu’appui aux listes PTB-GO, je compte rester vigilante et nous devons tous rester vigilants afin que la base idéologique anticapitaliste ne soit pas mise en danger.
Le PS semble en train de perdre une partie de sa base électorale populaire. Comment faire pour qu’elle aille à gauche ?
A.M. : Il faut continuer à se positionner face aux milieux populaires, rester une force d’opposition et de protestation, et maintenir la dynamique du rassemblement. Le rôle des syndicalistes sera très important. N’oublions pas que l’électorat populaire peut basculer à gauche comme à droite.
Propos recueillis par Daniel Tanuro
Le 30 avril 2014