A bas la répression contre les révolutionnaires en Egypte !
En Egypte, la répression par la contre-révolution ne connaît aucune limite.
Nous apprenions le 16 juin que le correspondant de la chaîne satellitaire Al-Jazeera, Abdullah Al-Shami, détenu sans charges depuis le 14 août 2013, a été libéré pour raisons de santé après une grève de la faim depuis 140 jours ! 12 détenus ont été libérés et certains ont affirmé avoir été torturés en prison.
Le 11 juin, un tribunal du Caire avait condamné l’activiste et blogueur Alaa Abdel Fattah et 24 autres jeunes de la révolution à 15 ans de prison, alourdis de 100 000 livres égyptiennes et 5 ans de contrôle judiciaire. Ils sont accusés d’avoir agressé un officier de police et d’avoir violé la loi du 24 novembre 2013 qui impose des restrictions au droit de manifester.
Le 20 mai dernier, huit activistes de la ville d’Alexandrie, parmi eux la militante révolutionnaire membre de l’organisation des Socialistes révolutionnaires, Mahienour El-Massry, avaient écopé de deux ans de prison assortis de lourdes amendes. Leur « crime » ? L’organisation d’une manifestation non autorisée pour exiger la liberté aux détenu.e.s.
Le 28 avril, le Mouvement du 6-Avril, fer de lance de la révolution qui a conduit au renversement du président Moubarak et qui continue de lutter contre le pouvoir militaire a été interdit pour « espionnage » et « attaque contre l’image du pays » !
Fin mars, un tribunal de Minieh (centre du pays) avait condamné « collectivement » à mort 529 partisans présumés du président déchu Mohamed Morsi, accusés de violences l’été 2013 au sud du Caire. La peine de 492 parmi eux a été commuée en prison à vie sans explications!
Profitant du recul de la mobilisation née dans le processus révolutionnaire, les forces de la contre-révolution (bourgeoisie, hommes d’affaires, anciens du régime Moubarak, chefs de l’armée…) reviennent soudées et déterminées pour restaurer l’ancien régime en s’appuyant sur les dispositifs de répression (police, armée, système judiciaire aux ordres, bandes de voyous….) qui font régner un climat de peur.
En effet, depuis le coup militaire du 3 juillet qui a fait tomber le président Morsi, l’armée égyptienne s’est servie du prétexte d’une prétendue « guerre contre le terrorisme » pour démanteler la confrérie des Frères musulmans mais aussi pour s’attaquer méthodiquement aux forces révolutionnaires, interdire les protestations et contrôler la population.
La classe ouvrière et ses représentant.e.s se sont ainsi heurté.e.s à une répression féroce.
Des militants syndicalistes ont été licenciés dans plusieurs entreprises, d’autres arrêtés ou même soumis à la torture dans les commissariats de police…
A de nombreuses occasions le régime a eu recours à la force excessive, y compris l’utilisation de balles, gaz lacrymogènes et de baltagis (bandes de voyous louées) pour casser les grèves ou attaquer les sit-in des travailleurs. Des syndicalistes ont été tabassés, arrêtés ou pris en otage. Pire encore, un dirigeant syndicaliste de la métallurgie, Mohamed Omar, qui avait dénoncé la corruption et les tentatives de brader l’entreprise, a subi une tentative d’assassinat.
Aujourd’hui, plus de 41 000 détenu.e.s dont 300 femmes et 150 enfants croupissent dans les prisons, pour une grande majorité sans même connaître les accusations lancées contre eux, pour d’autres à cause d’accusations « préfabriquées » par les officiers de police ou sur la base d’aveux arrachés sous la torture. D’après des témoignages, plusieurs autres auraient disparu suite à leur arrestation par les forces de sécurité́.
Réunie en conférence nationale en ce 21 juin, journée internationale de solidarité avec les détenu.e.s égyptien.ne.s, la LCR-SAP appelle à :
– exprimer la solidarité la plus large avec les victimes de la répression en Egypte ;
– exiger la libération de tout.e.s les détenu.e.s politiques ;
– exiger l’abandon des poursuites judiciaires contre les syndicalistes et les travailleurs poursuivis pour avoir participé à des actions syndicales ;
– exiger l’arrêt des violations des droits de l’homme, les brutalités et les mauvais traitements dans les prisons et les centres de détention.
A bas la criminalisation des mobilisations sociales et de la protestation politique!
A bas la répression!
Liberté immédiate pour tous les détenu.e.s !
Lettre de prison de Mahienour Al Massry
Je ne sais pas grand-chose de ce qui se passe dehors depuis que j’ai été condamnée à une peine de prison [cette militante, membre des Socialistes révolutionnaires, est condamnée à une peine de deux ans pour avoir participé à une manifestation non autorisée, à Alexandrie, en décembre 2013]. Toutefois, j’imagine que c’est assez semblable à ce que nous avions l’habitude de faire lorsque nous savions que quelqu’un était emprisonné. Des slogans se déversent sur le réseau internet, du genre «Libérez un tel ou une telle»ou «Nous sommes tous ceci ou cela».
Cependant, depuis que j’ai atterri dans la prison pour femmes de Damanhour et que j’ai été placée dans le «Bloc 1» avec les détenues qui m’accompagnent – le groupe de cellules assignées à celles qui sont accusées ou condamnées de détournement de fonds – je n’ai qu’une seule chose à l’esprit et je le répète comme un mantra quotidien: «A bas ce système de classes».
La plupart de mes codétenues ont été emprisonnées pour ne pas s’être acquittées du payement d’une traite ou d’un petit prêt. Il y a des prêts contractés par une mère achetant quelques produits absolument nécessaires pour sa fille qui va bientôt se marier ou celui d’une épouse qui avait besoin d’argent pour pouvoir payer le traitement de son mari malade ou encore celui d’une femme ne parvenant pas à rembourser à temps un prêt de 2000 livres égyptiennes [250 CHF], qui se retrouve finalement écrasée en retour par une amende de 3 millions de livres égyptiennes [375’180 CHF].
La prison est un microcosme de la société. Ceux qui sont légèrement plus privilégiés que les autres trouvent un moyen d’obtenir tout ce dont ils ont besoin depuis l’extérieur, alors que ceux qui sont défavorisés sont contraints de travailler pour satisfaire leurs besoins fondamentaux.
La prison est un microcosme de la société. Les prisonniers discutent de ce qui se passe dans le pays. Ici, il y a l’ensemble du spectre politique. Certains soutiennent Sissi dans l’espoir qu’en devenant président il prononcera une amnistie pour toutes celles qui ont été emprisonnées parce qu’elles n’ont pas pu rembourser une dette. D’autres souhaitent qu’il devienne président avec la conviction qu’il prendra une position dure contre les «manifestations terroristes» et dirigera avec une poigne d’acier, même si elles sympathisent avec moi et ont le sentiment que je suis probablement innocente. D’autres sont favorables à Sabbahi [nassérien de gauche, qui a obtenu un maigre résultat lors de l’élection présidentielle, contrairement à 2012], qu’elles considèrent comme l’un des leurs. Elles disent qu’«il a promis de relâcher les prisonniers», avant de se voir rétorquer, avec vigueur, par les autres détenues qu’il a promis seulement de libérer les prisonniers de conscience. Et il y a celles qui voient les élections comme une farce, elles les auraient boycottées si elles avaient été libres.
La prison est un microcosme de la société. Je me sens au milieu d’une famille. Elles me donnent toutes le conseil de me concentrer sur ma carrière et sur mon futur, une fois que je serai dehors. Je réponds que le peuple égyptien mérite bien mieux, que la justice sociale n’a toujours pas été appliquée et que nous allons tenter de continuer de bâtir un avenir meilleur. C’est à ce moment que nous parvient la nouvelle que Hosni Moubarak a été condamné à une peine de trois ans sur la base d’accusation de corruption, de détournement de fonds et de fraude financière dans «l’affaire des palais présidentiels». Je rebondis, leur demandant: «Quel genre d’avenir vous attendez que j’aie dans une société injuste, dans laquelle le régime pense que Umm Ahmed, qui a été emprisonnée ces huit dernières années et à qui il reste encore six autres années de prison pour avoir signé un chèque en bois pour pas moins de 50’000 livres égyptiennes [6200 CHF], est une criminelle plus dangereuse que Moubarak?» – ce même Moubarak qui soutient Sissi, qu’elles voient comme leur sauveur.
Elles parlent ici de cette société de classes et rêvent de justice sociale sans avoir à recourir à des théories complexes.
Nous ne devons jamais perdre de vue notre principal objectif au cœur de cette bataille, dans laquelle nous avons perdu des ami·e·s et des camarades un jour sur deux. Nous ne devrions pas nous adresser aux gens en exigeant la liberté pour telle ou telle personne, alors que nous oublions les besoins plus larges et les inquiétudes du peuple égyptien qui tente simplement de survivre au jour le jour.
Alors que nous protestons contre la Loi contre les manifestations, nous devrions œuvrer à l’abolition de ce système de classes; en nous organisant nous-mêmes et en nous liant avec les défavorisé·e·s, en plaidant en faveur de leurs droits et en bâtissant une vision sur la manière de résoudre leurs problèmes. Nous devrions crier «liberté pour les pauvres», de telle sorte que tous et toutes n’aient pas l’impression que nous sommes isolés d’eux et de leurs problèmes.
Et, enfin, si nous devons maintenir le slogan «libérez telle ou telle personne», alors faisons en sorte que le slogan soit «Libérez Sayeda», «Libérez Heba» et «Libérez Fatima»: les trois femmes que j’ai rencontrées à la Direction de la sécurité et qui sont accusées d’être membres des Frères musulmans et d’avoir, entre autres choses, commis des meurtres. Elles ont été arrêtées au hasard et sont incarcérées sans procès depuis janvier.
Liberté pour Umm Ahmed, qui n’a pas vu son enfant depuis huit ans. Liberté pour Umm Dina, qui est la seule ressource pour sa famille. Liberté pour Niamah, qui a accepté d’aller en prison au lieu de quelqu’un d’autre en contrepartie d’argent pour nourrir ses enfants. Liberté pour Farhah, Wafaa, Kawthar, Sanaa, Dawlat, Samia, Iman, Amal et Mervat.
Nos peines, comparées aux leurs, ne sont rien alors que nous savons que ce sont celles qui se souviendront de nous, qui diront nos noms de temps à autre, mentionnant fièrement comment elles nous ont connues. Au contraire, ces femmes qui méritent d’être évoquées avec fierté, ne seront mentionnées, au mieux, que lors de rassemblements de famille.
A bas cette société de classes, quelque chose que nous ne réaliserons jamais si nous oublions celles qui ont réellement souffert l’injustice. (Traduction A l’Encontre)
Ecrite du Bloc 1, cellule 8
Prison pour femmes de Damanhour
22 mai 2014
Source : A l’encontre