Saluée tant par des icônes de l’altermondialisation (comme Naomi Klein) que par des théologiens de la libération (Frei Betto, Leonardo Boff, Juan José Tamayo, parmi d’autres), l’encyclique Laudato Si’ [«Loué sois-tu», encyclique du pape François sur la protection de la nature, publiée le 18 juin 2015] est devenue, à l’égard de certains secteurs de la société, une référence incontournable pour la défense de la nature.
Selon le philosophe et sociologue marxiste Michael Löwy, Laudato Si’ est une encyclique anti-systémique car elle amène, d’une part, une nouvelle interprétation de la tradition judéo-chrétienne ; et d’autre part, une réflexion radicale sur les causes de la crise écologique. Certes, le mot capitalisme ne figure pas dans cette encyclique mais la critique du «modèle actuel du développement et [de] la culture du déchet» (n. 43) est claire. De surcroît, le lien entre pauvreté et destruction environnementale est souligné par le pape. Ainsi écrit-il: «Mais aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres» (n. 49). Notons donc que la critique du système réalisée par le pape François, à travers sa dernière encyclique, reprend certains éléments tels que l’option préférentielle pour les plus pauvres, la défense du bien commun ou encore la critique du paradigme technocratique qui suggèrent un écho du discours des mouvements sociaux du Sud global.
Pour le théologien brésilien Leonardo Boff, Laudato Si’ s’inscrit dans la ligne de la Charte de la Terre (1), au sens où en prônant l’articulation entre justice sociale et justice écologique, l’encyclique reprend le paradigme holistique et relationnel de la charte. «Il faut donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les êtres humains, et à un engagement constant pour les problèmes de la société» (n. 91). Ainsi, cette encyclique est davantage l’expression d’une écologie intégrale qu’un document environnementaliste.
En revanche, le politologue colombien José F. Puello-Socarras soutient la thèse selon laquelle la position du pape n’est pas anticapitaliste mais plutôt proche de l’économie sociale de marché – une variante de l’ordolibéralisme, c’est-à-dire l’expression d’une pensée libérale qui cherche à développer un cadre normatif dans lequel l’État interviendra à nouveau dans l’économie. En ce sens, tant la position de l’actuel pontife de Rome que la doctrine sociale de l’Église visent à sauvegarder les bases du système capitaliste.
Si bien Puello-Socrates n’a pas tout à fait tort dans sa lecture de Laudato Si’, il nous semble qu’il laisse de côté certains éléments importants de cette encyclique. Je m’explique. Premièrement, il faut avoir à l’esprit que le pape est le représentant d’un État (une monarchie absolue!) et donc il ne rédigera jamais un Petit Livre rouge. Deuxièmement, même si cette encyclique s’adresse «à tous les hommes de bonne volonté», il est clair que ses principaux interlocuteurs sont les croyants. Certes, il y a des propositions très réactionnaires dans cette encyclique telles que la stigmatisation de l’avortement (n. 120 et 136) et de la théorie du genre (n. 155). Propositions auxquelles nous devons, bien évidemment, nous opposer sans la moindre hésitation!
À notre avis, la portée de cette encyclique réside dans le fait qu’elle mette en question la logique productiviste de l’actuel modèle de développement (l’agriculture industrielle), la marchandisation de la nature, l’alliance entre l’économie et la technologie, le mythe de la croissance infinie, la stratégie d’achat et de vente de «crédits de carbone», etc. Pour cette même raison, nous considérons importante la publication de ce document car il peut promouvoir une alliance stratégique entre les groupes confessionnels, particulièrement chrétiens, qui luttent pour la défense de la nature et nous – militant.e.s d’une société écosocialiste!
Article publié dans La Gauche #74, octobre-novembre 2015.
Note :
1) Approuvée par l’UNESCO à Paris en mars 2000, la Charte de la Terre est une déclaration internationale qui vise à construire un monde juste, durable et pacifique. Composée par 16 principes, cette charte promeut la défense de la «communauté de vie» et la prise en considération des «générations futures».