Les attaques à Paris et la proclamation de la phase 3 de l’alerte terroriste dans notre pays (ce qui a déjà été fait dans le passé) sont le prétexte pour la direction de la FGTB pour suspendre toutes les manifestations, les concentrations et actions publiques prévues les semaines à venir. Ceci est justifié dans une déclaration qui a été reprise par les média. (1) La direction de la CSC suivra probablement cette position.
La déclaration de la FGTB explique qu’elle exprime son respect pour les victimes, qu’elle tient compte de ce qui vit dans la société, du besoin de sécurité ressenti par les militant.e.s, les membres et la population.
On pourrait comprendre cette décision s’il y avait des indications concrètes de risques pour la sécurité, mais dans ce cas, il faut en parler en toute transparence. Il faudrait par contre protester contre toute pression plus ou moins en douceur de la part de certaines autorités nationales ou locales pour « ajourner » les actions ! Nous ne comprenons absolument pas comment la passivité constituerait un hommage aux victimes !
La concentration en front commun syndical prévue le 23 novembre à Alost et la manifestation de la FGTB à Anvers le 27 novembre sont d’ores et déjà annulées. Même constat pour la concentration de la CGSP à Anvers prévue ce même 27 novembre. La marche aux flambeaux de la CSC, le 24 novembre à Anvers connaîtra probablement le même sort. Ce qui se passera lors de la journée d’action en front commun à Bruxelles le 30 novembre n’est pas clair. La grève de 24 heures le 23 novembre dans le Hainaut aura lieu mais sans concentrations ni manifs. Dans ces circonstances, on peut dès lors douter du succès de la grève.
La direction de la FGTB déclare dans son texte que la résistance sociale continue mais en annulant la plupart des actions planifiées pour novembre, on enterre de facto le plan d’action pour 2015. Les attaques et la menace terroriste sont utilisées par la direction syndicale pour mettre ce plan d’action déjà mal en point, définitivement au frigo, en premier lieu en Flandre. Mais entretemps, les gouvernements et le patronat ne se tiennent absolument pas à une « trêve », bien au contraire.
On peut être sûr que, parmi les mesures préparées par le gouvernement au nom de la lutte contre le terrorisme, il y aura des propositions pour limiter le droit de grève, le droit de manifester et de mener des actions dans la rue. Verra-t-on une Loi Programme adoptée au Parlement sans aucun débat important, en cachette, à la belge ? On ne peut nier que plusieurs propositions dans ce sens se retrouvent à l’ordre du jour.
Toute personne ayant suivi l’activité sociale ces dernières semaines, a pu constater qu’il y a eu de nombreuses grèves dans les entreprises privées et les services publics tels que BPost ou les chemins de fer, chaque fois contre des licenciements ou le renvoi de délégués syndicaux.
Merym Almaci, la présidente de Groen et John Crombez, président du SP.A , sont encore plus lâches et ridicules que le sommet syndical en refusant à Louvain un débat avec Peter Mertens du PTB sur l’avenir de la gauche « parce que ce n’est actuellement pas le moment de débattre d’un tel sujet ».
Organiser la solidarité
Ces derniers jours, il y a eu heureusement différentes actions en solidarité avec les victimes et contre la haine, le racisme et la menace de guerre : à Anvers, à l’initiative de Jan Blommaert, à Gand à l’initiative des gens autour du Printemps de Gand et une série d’organisations progressistes, et à Herzele par le centre ‘tUilekot. La réunion organisée à Malines sur initiative du bourgmestre Somers (VLD) fut plus problématique mais même ici, il y avait un appel au vivre ensemble et à la solidarité entre les différentes communautés. Il y a eu une belle démonstration spontanée contre le terrorisme, près du centre d’asile ouvert de Tournai.
Dans la commune tant décriée de Molenbeek, une collaboration large des organisations de quartier, de migrants, etc. organise une réunion en solidarité avec les victimes des attaques. Et pour la semaine prochaine Hart boven Hard appelle à des rassemblements dans plusieurs villes.
Il est étrange que certains dirigeants syndicaux, qui justifient l’annulation de leurs propres mobilisations, appellent à participer à ces réunions. Si le danger est réel, pourquoi ce ne serait pas le cas pour ces manifestations ?
Ailleurs en Europe on fait preuve de plus de courage, d’insoumission et de persévérance. La coordination Action Climat qui regroupe en France plus de 130 organisations, avec entre autres un nombre important de syndicats et d’ONGs pour le sommet du climat de la COP21, maintient sa décision de mobilisations de masse pendant ce sommet malgré la proclamation de l’état d’urgence dans toute la France. [Mais le gouvernement a interdit celles-ci, ce qui suscite des protestations. ]
Ils montrent que face aux terroristes, ils ne lâchent rien mais également face à la pression du gouvernement qui veut que le sommet ne soit pas dérangé par des mouvements de protestation et sous la pression du mouvement social. Ce gouvernement français voulait déjà bien avant les attaques terroristes rendre la vie des activistes très difficile ayant annoncé depuis plusieurs semaines que les contrôles aux frontières allaient être renforcés avant et pendant la COP21.
Le Climate Express vient également d’annoncer qu’il participera aux manifestations et actions de masse à Paris. Comme la manifestation est interdite par le gouvernement français, on envisage la possibilité de manifester le 29 novembre, comme dans beaucoup d’autres pays européens, dans notre propre pays.
A nouveau, on voit que les directions syndicales sont prises dans la contradiction : les deux syndicats belges sont actifs dans le Climate Express et la Coalition Climat. Jusqu’à nouvel ordre, aussi bien la FGTB que la CSC appellent – et c’est une bonne chose – à la manifestation du 29 novembre à Paris, mais c’est leur plan d’action dans leur propre pays qu’ils annulent en grande partie…
Et pouvons-nous vous rappeler l’attitude de la gauche turque et kurde et du mouvement de la paix ? Immédiatement après l’attentat d’ISIS contre la manifestation pour la paix à Ankara, ils sont sortis massivement dans les rues d’Istanbul. Les jours qui ont suivis ont vu des actions dans de nombreuses villes en Turquie et au Kurdistan contre la répression très dure, et dans le cas du Kurdistan, contre la terreur d’Etat et ce malgré le choc profond ressenti par beaucoup d’activistes. Pour eux il ne peut être question « d’unité nationale » ou de « paix sociale »avec le gouvernement.
Une décision dangereuse
Cette décision du sommet syndical est aussi dangereuse pour une raison plus fondamentale. Aussi bien la droite et le patronat que les djihadistes veulent marginaliser le mouvement ouvrier, les syndicats et tous les mouvements de gauche et vraiment démocratiques. Ils veulent même les détruire, et ce chacun à sa manière, pour ses propres raisons. Mais fondamentalement, ils veulent tous briser toute forme de solidarité et de cohérence de la classe ouvrière.
Dans les circonstances actuelles, démobiliser ou « ajourner » la résistance sociale et la lutte politique signifie une double capitulation, aussi bien par rapport à sa propre bourgeoisie que par rapport à ISIS.
Et se pose de nouveau le problème de la stratégie avec laquelle les syndicats veulent agir contre le pourrissement généralisé de la société capitaliste. Ou bien ils se prononcent pour une alternative de société globale dans l’intérêt de tous les groupes exploités et opprimés dans la société et ils y remplissent leur rôle clé. Ou bien les syndicats s’accommodent d’une marginalisation croissante, le syndicat se limite à un rôle de courroie de transmission de la politique capitaliste et la barbarie croissante du système.
Pour imposer la première possibilité, qui est la seule – bien qu’il n’existe aucune certitude d’être victorieux – voie positive de sortie de l’impasse actuelle, il faut une démocratisation en profondeur du mouvement syndical, avec la participation active des membres et des militant.e.s , et ainsi l’implication de larges couches de la population dans la lutte sociale sera possible.
Concluons avec les paroles de Patrick Develtere, président de beweging.net dans la déclaration de cette organisation après les attentats : « Si l’angoisse devait nous guider, nous nous rendrions. L’angoisse mène à l’égoïsme et à la haine et nous ne voulons pas vivre dans ce type de société. » (2)
Des mots justes et une raison de plus pour ne pas démobiliser ou d’ajourner la résistance sociale et démocratique pour une durée indéterminée !
Notes
1) http://www.abvv.be/web/guest/news-nl/-/article/4117491/;jsessionid=MUedcbuqEjipGClkO6pQTq5&p_l_id=10187
2) http://www.beweging.net/algemeen/nieuws/24-nieuwsberichten/1757-reactie-op-de-aanslagen-in-parijs