A l’approche des élections, le mouvement Vie Féminine a interpellé la LCR-SAP, comme d’autres partis candidats, à propos d’une de ses revendications: la création d’un Ministère des droits des femmes. Si nous partageons les principes sur lesquels se basent une telle proposition, nous sommes beaucoup plus sceptiques quant à sa mise en application concrète dans le contexte actuel, en préférant poursuivre la lutte pour l’égalité effective des droits entre hommes et femmes par d’autres voies prioritaires.
Consacrer les travaux d’un ministère à la mise en œuvre exclusive de politiques d’égalité des droits entre hommes et femmes est une idée pertinente en soi. D’abord, un Ministère des Droits des Femmes, « de plein exercice doté de moyens suffisants pour intégrer dans toute politique une attention aux impacts sur les droits des femmes et un objectif de réduction des inégalités structurelles », tel que le propose Vie Féminine, permettrait d’en finir avec la dissolution de la nécessaire recherche d’égalité effective des droits à travers des politiques de « diversité » ou « d’égalité des chances ». Pour obtenir des résultats, il faut en effet pointer dès le départ la racine des problèmes, en distinguant les particularités de l’oppression patriarcale de celles des autres discriminations subies par certaines catégories sociales auxquelles il faut aussi s’attaquer de manière spécifique (racisme, homophobie, discrimination envers les personnes handicapées, …). Parmi les caractéristiques de l’oppression patriarcale, il en est deux de taille. Les femmes ne sont pas une catégorie minoritaire mais constituent la moitié de la population. Et cette proportion significative de citoyennes rencontre, par le seul fait d’être femme, des discriminations de diverses ampleur tout au long de la vie et dans tous les domaines (publics, privés, professionnels, familiaux, sociaux, politiques, …). Cela signifie que les politiques publiques dans leur ensemble doivent prendre en compte à sa juste mesure la réalité de cette oppression pour mieux la combattre et, à tout le moins, pour ne pas la renforcer. Une réelle attention particulière est donc de mise au quotidien et pas seulement en période électorale ou autour du 8 mars, quand il s’agit de démontrer sur un mode politiquement correct qu’on « n’oublie pas » les femmes. Ensuite, en valorisant une telle approche, ce ministère pourrait, comme le souligne Vie Féminine « donner une plus grande visibilité à ces problématiques dans l’espace public », populariser les débats et diffuser un autre message qui appuierait davantage le travail de terrain des intervenant-e-s sociaux et des militant-e-s pour tenter de faire évoluer les mentalités sur le long terme.
Mais, si cette revendication aboutit, que pourrait-on attendre d’un tel Ministère dans le cadre d’un gouvernement d’austérité et alors que le rapport de forces est clairement défavorable aux revendications féministes? Comme tous les partis en lice pour rester ou revenir au pouvoir après le 25 mai assumeront la poursuite de politiques antisociales puisque, disent-ils, il faut obligatoirement passer par là pour sortir le pays de la crise, on peut s’attendre à la constitution sans grande surprise d’un nouveau gouvernement d’austérité. La place et le budget accordés à un ministère des droits des femmes permettront-ils de mener des politiques efficaces alors que les mesures d’austérité qui, comme nous le savons, touchent principalement les femmes, vont se poursuivre? On pourrait éventuellement parier sur le fait que les partis sociaux-démocrates seraient tentés de s’accrocher au moins une petite médaille progressiste à leur uniforme de bon soldat de l’austérité en défendant mieux les droits des femmes à travers l’instauration d’un tel ministère. Cette position pourrait être favorable à certains dossiers qui ne coûteraient pas trop d’argent, à travers par exemple des campagnes de sensibilisation pour défendre le droit à l’avortement ou combattre les violences machistes. Il est évident que nous en avons besoin et que nous ne cracherions pas sur ce genre d’avancée positive. Ca a effectivement fonctionné ailleurs, comme en Espagne où, dans le gouvernement socialiste qui a par ailleurs creusé le lit de la crise actuelle, le Ministère de l’égalité a permis d’obtenir entre 2008 et 2010 de réelles avancées à travers une loi contre les violences de genre et une loi sur l’avortement, en rupture avec le conservatisme qui prévalait jusque là dans ces domaines, et en réponse au mouvement féministe espagnol qui se battait -et se bat encore- avec force sur ces enjeux. Mais il faudra alors souligner la schizophrénie des partis au pouvoir puisque ces politiques seront elles-mêmes rapidement mises à mal, comme ça s’est passé en Espagne, dès lors que le gouvernement applique en même temps des mesures antisociales qui placent les femmes dans une situation économique plus précaire, réduisant encore les possibilités pour elles de disposer librement de leur corps et d’échapper aux violences machistes.
En outre, si l’intervention d’institutions officielles peut aider à concrétiser les changements, ceux-ci ne tombent jamais du ciel. Ils naissent et se maintiennent avant tout grâce à l’intervention d’une pression sociale favorable. Ainsi, même dans un gouvernement de gauche cohérent, un ministère des droits des femmes ne résoudra pas à lui seul les problèmes en profondeur sans un mouvement féministe organisé combatif et vigilant qui puisse obtenir des avancées, les maintenir et les approfondir. Ce dont nous avons avant tout besoin aujourd’hui, c’est d’un renversement du rapport de force en faveur des revendications féministes. Nous en sommes malheureusement encore loin. C’est pourquoi la priorité devrait être de construire un réel mouvement autonome des femmes, en travaillant à la base, dans les quartiers, comme s’y applique d’ailleurs très bien Vie Féminine. Et, en même temps, de gagner d’autre secteurs de la lutte sociale, en tâchant de « féministiser » l’ensemble des revendications à porter à travers les mouvements sociaux, syndicaux et politiques, pour que la résistance à l’austérité et l’élaboration d’alternative se fasse aussi dans une perspective féministe. Il n’y a évidemment pas de recette miracle mais nous devons penser à une stratégie qui nous permette d’avancer. Or, la création d’un nouveau ministère est une revendication qui passe plutôt mal, à la fois auprès des tenants de la rigueur budgétaire qui cherchent à limiter au maximum les dépenses publiques mais aussi au sein d’une bonne partie de la population, auprès de citoyen-ne-s qui pensent de bonne foi que c’est à travers la prolifération de ministères que l’argent public est principalement gaspillé.
Parce qu’elles sont fondamentales et permettent une adhésion plus large des mouvements sociaux, d’autres revendications, elles aussi portées par Vie Féminine, nous semblent ainsi plus pertinentes à avancer aujourd’hui, comme par exemple l’abrogation du statut cohabitant et de la réforme du chômage de 2012 ou encore la création de places d’accueil de qualité en quantité suffisante.