Razmig Keucheyan est un sociologue et militant de la gauche radicale. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de son nouveau livre (1).
Le capitalisme se caractérise par la marchandisation universelle. Par quel mécanisme progressif a-t-il engendré un « racisme environnemental » et une nouvelle forme de colonisation ?
Un des objectifs de mon livre est de montrer que, tout comme il existe des inégalités de classe ou de genre, il existe des inégalités environnementales. Autrement dit, les individus et groupes d’individus ne sont pas égaux face à l’environnement et à ses évolutions. Dans les courants écologistes dominants, on a trop tendance à considérer les enjeux environnementaux comme se situant « au-dessus » des conflits politiques. Tout le propos de mon livre consiste à montrer, au contraire, qu’une écologie digne de ce nom est forcément anticapitaliste.
La notion de « racisme environnemental » part de la même idée, mais s’intéresse au lien entre environnement et minorités ethnoraciales. Elle est née aux États-Unis dans les années 1980. Dans le sillage du mouvement des droits civiques, des associations antiracistes se sont aperçues que les déchets toxiques étaient souvent entreposés à proximité des quartiers noirs. En plus d’autres formes de racisme, les Noirs sont donc victimes de « racisme environnemental » : leur environnement est de moindre qualité que celui des Blancs. Ce constat vaut non seulement pour les États-Unis, mais à des degrés divers pour tous les pays, et notamment la France. Des études récentes ont montré que plus la population immigrée est importante dans une région, plus il y a de chances pour qu’un incinérateur à déchets y soit installé, entraînant des conséquences sanitaires pour les personnes vivant à proximité.
Le cynisme absolu de la « finance environnementale » a-t-il un avenir ? Peut-il se retourner un jour contre ses inventeurs ?
Le capitalisme génère des crises, mais il génère aussi des solutions à la crise. Des solutions de son point de vue à lui, bien sûr, ça ne signifie pas qu’elles soient favorables aux classes populaires, bien au contraire. La finance environnementale dont je parle dans le livre en est un exemple. Le capitalisme industriel est à l’origine du changement climatique, lequel commence à générer des coûts et une instabilité croissants pour le système. La finance environnementale a pour objectif d’atténuer ces contradictions du système, et par la même occasion de trouver de nouvelles opportunités de profits. La morale, le capitalisme n’en a que faire, sa logique est purement économique.
On voit clairement dans de nombreux pays une montée des droites et une banalisation de l’encadrement de la liberté individuelle.
Y a-t-il un lien entre ce phénomène et celui du changement climatique ? Que peut-on faire ?
Un chapitre de mon livre est consacré à une série de rapports militaires, parus au cours des dernières années, dans lesquels les grandes armées de la planète s’interrogent sur les effets militaires du changement climatique dans les années à venir. Contrairement aux politiques, les militaires sont très conscients de ces effets. Pour une raison simple : c’est que l’environnement est une donnée cruciale de tout conflit armé, et par conséquent, la maîtrise des paramètres environnementaux est décisive. Les militaires sont peut-être le secteur des classes dominantes le plus avancé dans la préparation à un monde de plus en plus turbulent sur le plan climatique. Quand on connaît le peu d’estime qu’ils portent à la démocratie, on peut évidemment s’en inquiéter… Cela aura forcément des effets sur les systèmes politiques.
Il y a bien sûr un espoir de changement, mais cela suppose de construire des organisations politiques, syndicales, associatives, suffisamment puissantes et combatives…
Propos recueillis par Catherine Segala
1 – La nature est un champ de bataille, Zones, 2014, 16 euros. Commander sur le site de la librairie La Brèche.
Source : NPA
Crédit photo : Thierry Tillier