Dans ce début d’année 1917, le pouvoir impérial et les révolutionnaires préparent et attendent la révolution. Elle va survenir spontanément à Petrograd et balayer en cinq jours le tsarisme.
La guerre a provoqué l’effondrement du régime, exacerbant ses fragilités économiques et politiques. À la fin de l’année 1916, faible et discrédité, celui-ci est en crise, l’agitation gagne les 20 millions d’hommes mobilisés, les grèves reprennent de l’ampleur1. L’hiver est rigoureux, le ravitaillement manque. Le 19 février, les autorités de Petrograd mettent en place des cartes de rationnement, et des incidents se multiplient devant les magasins vides.
Généralisation de la grève
Le 23 février (8 mars dans notre calendrier) se prépare la journée internationale des femmes, date importante dans le calendrier socialiste. Aucune organisation n’appelle à la grève, les dirigeants bolcheviks allant jusqu’à la déconseiller. Le matin, des milliers des femmes, étudiantes, employées, défilent, et l’après-midi, les milliers d’ouvrières du textile se mettent en grève, manifestent pour réclamer du pain et le départ du tsar, appellent les métallos à les rejoindre. Les cosaques ne sortent pas les fouets et laissent passer les cortèges.
Le 24 et le 25 février, sans aucune impulsion des partis, la grève se généralise : 150 000, puis 200 000 grévistes, convergent vers le centre-ville, sans être bloqués par les cosaques, et s’affrontent à la police. Les soldats sont passifs, quand ils ne sont pas hostiles envers la police. Les manifestations sont de plus en plus politiques, contre la guerre et le tsar.
Les dirigeants principaux des partis socialistes sont en exil. Les militantEs sont présents2 dans toutes les manifestations, actifs et en première ligne, mais ils n’ont pas d’orientation et de stratégie concernant l’insurrection. Elle va pourtant se produire spontanément en deux jours.
Les soldats basculent
Dans la nuit, une centaine de dirigeants sont arrêtés, et le dimanche 26, le centre de Petrograd est un camp retranché. Lorsque les colonnes ouvrières arrivent, la police et la troupe tirent sur la foule, faisant 150 morts. C’est alors que la révolte gagne les casernes. Contre le fait de tirer sur les ouvriers, les régiments se mutinent les uns après les autres dans la journée du 27 février, fraternisent, arment les manifestantEs. C’est le basculement. L’État tsariste avait montré durant la guerre sa totale incurie, et l’administration avait déjà perdu bon nombre de ses prérogatives. Le comité de la Croix-Rouge assurait l’administration sanitaire du pays, des associations d’industriels palliaient les urgences de l’approvisionnement, et les coopératives connaissaient une extension extraordinaire. Il ne restait plus à l’État que la police et l’armée, 150 000 soldats à Petrograd.
Quand ces derniers passent du côté de l’insurrection, ce qui reste de pouvoir s’écroule. Les détenus sont libérés, et les emblèmes de la monarchie détruits3. L’insurrection gagne Moscou, puis toutes les villes. Le tsar abdique.
Qui va prendre le pouvoir ?
Ce 27 février, deux réunions se tiennent. D’un côté, les représentants de tous les partis socialistes mettent en place le soviet de Petrograd, et organisent l’élection de 600 représentants des usines et des casernes. De l’autre, les députés de l’Assemblée élue, la Douma, mettent en place un gouvernement provisoire constitué de politiciens libéraux, représentant les classes possédantes ralliées à la révolution à contrecœur, en attendant l’Assemblée constituante.
Le soviet, qui seul a la confiance des ouvriers et des soldats, propose immédiatement la paix, la distribution des terres à la paysannerie, la journée de huit heures et une république démocratique… tout en accordant sa confiance au gouvernement.
En quelques semaines, la révolution impose des mesures spectaculaires : le suffrage universel, l’amnistie, l’abolition de la peine de mort, le droit à l’autodétermination pour la Finlande et la Pologne, la promesse d’autonomie pour les minorités nationales. Les ouvriers obtiennent la journée de 8 heures, les assurances sociales, le contrôle des embauches et des licenciements, la suppression des amendes et mesures vexatoires et des augmentations de salaire. Les comités de soldats s’occupent de stratégie militaire, appellent à la désobéissance, récusent tel officier, prétendent en élire de nouveaux. Dans les campagnes, dans les petits villages, la nouvelle de l’abdication du tsar arrive plus lentement. À partir d’avril, l’impatience grandit, les comités agraires ou les soviets paysans récupèrent des domaines, et se débarrassent des maîtres.
Guerre ou révolution ?
La politique envahit toute la vie quotidienne, tous les murs se couvrent d’affiches annonçant un meeting, un congrès, une réunion, un programme électoral… En un mois, 150 quotidiens et hebdomadaires voient le jour à Petrograd. Des centaines de soviets, des milliers de comités d’usine et de quartier, de milices de gardes rouges, de comités de paysans, couvrent le pays : autant de lieux de débats, d’initiatives, d’affrontements.
Ouvriers, soldats, paysans, intellectuels juifs, femmes musulmanes, instituteurs arméniens… envoient aux soviets des milliers de motions, pétitions, adresses, doléances, qui disent toute la misère du peuple et l’immense espérance soulevée par la révolution.
Le combat entre ceux pour qui la guerre est le moyen de mettre fin à la révolution, et ceux pour qui la révolution est un moyen de mettre fin à la guerre, commence…
Notes :
- 1.Un million de grévistes en 1916.
- 2.Les bolcheviks, qui regroupaient environ 5 000 militantEs en 1916, organisent 10 000 militantEs dès février, dont 1 500 à Petrograd.
- 3.Selon les données officielles, 1 433 victimes durant ces cinq jours.
Source : NPA