Le 6 novembre dernier, nous étions ensemble dans la rue. Des rouges, des verts, quelques taches de bleu, mais aussi des ONG, des associations, des collectifs, des artistes, des travailleur/se/s et des chômeur/se/s, et même paraît-il des petits patrons, de vieilles et vieux briscard/e/s habitué/e/s à battre le pavé et des hommes, des femmes, des jeunes qui manifestaient pour la première fois, toutes et tous uni/e/s contre un gouvernement décidé à jouer les Robin des Bois à l’envers, en dépouillant les pauvres pour donner aux riches. Il y avait du soleil, des chansons, une grande détermination, de la colère et de la solidarité, mais malheureusement, il n’y avait pas que cela.
Je ne parlerai pas des bagarres de fin de parcours, qui ont permis aux médias de brandir l’arbre (en feu) pour mieux cacher la forêt (de revendications). Non, dès le début du rassemblement et tout au long du cortège, il y a eu des comportements inacceptables : les pétards assourdissants, lancés au milieu même des manifestant/e/s, les casiers de ce breuvage « les hommes savent pourquoi », des mecs saouls ou non qui pissent n’importe où, ceux qui tentent de s’infiltrer, juste pour faire du grabuge, parmi les associations de femmes qui s’étaient regroupées pour mieux marquer leur présence… Et puis sont arrivés des témoignages : un sms reçu d’une collègue disant « je suis avec mon fils, je quitte la manif, trop bruyante, trop virile… », des jeunes insultés pour délit de faciès (oui, par des manifestants, pas par la police), ou encore cette membre d’une association féministe traitée de « négresse » dans le train du retour (oui, par un manifestant wallon, pas par un « docker Vlaams-belangien »)… Bref, une série d’ « incidents » qui, mis bout à bout, ont créé une ambiance plutôt rebutante, dans une journée qui fut par ailleurs un grand succès.
Non, ne me dites pas : ce sont juste les dérapages de l’un ou l’autre mec bourré… parce que, dans ce cas, où étaient les autres, les « pas bourrés », pour lui faire entendre raison ou le neutraliser si nécessaire ?
Ne me dites pas : il y a une vraie colère sociale qui a besoin de s’exprimer, on ne combattra pas ce gouvernement avec des fleurs et des chansons. Certes. Mais il y a une différence entre s’en prendre au pouvoir politique et économique, au siège d’un parti ou d’une banque, et s’en prendre à d’autres travailleur/se/s, à des passant/e/s ou encore à des camarades de combat, ce qui est aussi navrant que stupide.
Et surtout ne me dites pas : en dénonçant ces dérives, vous divisez le mouvement. Non, chers camarades, ce n’est pas nous qui divisons le mouvement, mais précisément ceux qui se rendent coupables de ces comportements racistes, sexistes, brutaux, y compris envers leurs propres allié/e/s ; ce sont eux qui découragent les bonnes volontés, qui affaiblissent les engagements, qui font comprendre à certains, et surtout certaines, que leur place n’est pas dans la lutte, ce qui serait évidemment un message dramatique par les rudes temps qui viennent.
Alors si vous pensez que les titre-service, le personnel de nettoyage, les infirmier/e/s… font partie de la même classe sociale que les dockers ou les métallos, alors, chers camarades, il faudra organiser des services d’ordre plus efficaces, pratiquer la tolérance zéro vis-à-vis des insultes et des agressions, et à l’intérieur même de nos organisations syndicales, à plus long terme, remettre à l’honneur des formations ou, oserai-je employer le terme, une éducation populaire, qui ne se résume pas à la défense de nos droits et la connaissance de la législation sociale. « Tous ensemble » ? Oui, à condition qu’une bonne partie de ces « tous » et « toutes » ne se sentent pas rejeté/e/s !
Source : http://www.irenekaufer.be/