À l’heure où l’on parle tellement de démocratie directe, alors que nous avons suivi avec intérêt ces «círculos» qui en Espagne furent à l’origine de Podemos, notre camarade Freddy Dewille (syndicaliste, conseiller communal et membre de la LCR) revient sur les balbutiements d’une expérience de démocratie citoyenne communale – sans équivalent dans notre pays – que le groupe « Gauche » a contribué à mettre en place à Anderlues.
Le premier Conseil communal citoyen (CCC) s’est tenu le 1er mars 2016 à Anderlues. Dernier village ravitaillé par les corbeaux pour certains, commune pilote et avant-gardiste depuis un certain temps, pour d’autres !
Dès le début de mon mandat de conseiller communal dans l’opposition, en janvier 1989, j’ai été interpellé par le manque de démocratie à un niveau de pouvoir où il semblerait si facile de la mettre en œuvre… Ce fossé entre la population et le monde politique m’a toujours préoccupé. Quelles qu’en soient les causes, il me fallait trouver des idées, des projets et surtout… la manière de les mettre en œuvre! Ma première tentative a été de proposer en 1990 le droit d’interpellation du public au Conseil communal… Bien que ma proposition fût rejetée au niveau local, elle fut a posteriori encouragée puisque inscrite dans la nouvelle loi communale quelques années plus tard au niveau fédéral!
Mais force fut de constater que ça ne fonctionnait pas… Et pour cause : les citoyen.ne.s devaient envoyer leurs questions, d’intérêt général, préalablement au Collège qui décidait si oui ou non la question serait « brièvement débattue »… deux mois plus tard! En 1992 je proposai un Conseil communal des Enfants qui lui aussi fut rejeté, et seulement mis en place à Anderlues un peu plus de 20 ans plus tard!
L’inspiration de Porto Alegre
Mais c’est surtout dès 2001 que les choses se précisèrent, suite à l’expérience de démocratie participative de Porto Alegre. Une délégation de « Socialisme sans frontière », avec des élu.e.s d’autres communes et un élu au Parlement fédéral (Vincent Decroly), revient enthousiaste du Brésil et lance le défi au PS via la réponse à une carte blanche d’Elio Di Rupo. Effet d’annonce? La majorité absolue PS d’Anderlues (18 sur 21) propose et inscrit à cet effet un budget de 7500 € au budget 2001. Mais cette initiative restera sans lendemain, malgré plusieurs tentatives et, sans projet concret, mourra de sa belle mort.
Suite aux élections de 2012 la nouvelle majorité, toujours PS, propose contre toute attente une alliance avec le groupe «Gauche» dont je fais partie. En préalable aux négociations, nous exigeons un véritable débat démocratique avec l’opposition ainsi que notre liberté de critique et de vote au sein de la majorité. Une fois ces points acceptés, les négociations de programmes commencent et aboutissent à l’inscription dans la note de politique générale (pour six ans) d’enfin donner la parole aux citoyens: le système consistait, lors de chaque réunion du Conseil communal, à laisser en fin de séance un temps de parole et de question des citoyens aux élus, via une suspension de séance. Mais au bout de six mois, les élus PS reviennent en arrière et y mettent fin sous de faux prétextes. Le groupe «Gauche» fait illico voler en éclats le pacte de majorité et rejoint symboliquement le banc de l’opposition… mais ne désespère pas d’un retour en arrière de la majorité. En décembre 2015, je soumets à nouveau ce point au vote… et c’est le non qui l’emportera, majorité contre opposition. Je remets ma démission dans les mains du bourgmestre et quitte la séance sur le champ. Par solidarité une partie du reste de l’opposition quitte également la séance. Restent les trois représentants du MR qui ne veulent surtout pas se couper d’un possible retour dans la majorité, échevinat à la clé! Une aubaine pour le PS qui laisse entrevoir une ouverture contre-nature pour constituer une nouvelle majorité.
Le lendemain de ma démission, le bourgmestre Philippe Tison vient sonner à ma porte… Et me propose de revoir ma position et de rencontrer le Collège le 30 décembre (ma lettre de démission ne devenant officielle que lors de la séance suivante…). De retour du Collège où j’ai pu réexpliquer en quoi ce retour en arrière est inacceptable pour la démocratie citoyenne, les choses semblent évoluer… mais il faudra encore attendre l’exécutif du comité central ; bref, rien n’est joué…
Enfin, la bonne nouvelle arrive. Victoire!
Le Collège a pris la décision d’organiser, une heure avant chaque Conseil, pendant les trois ans du reste de la législature un Conseil communal citoyen en présence du Collège et des élu(e)s qui le souhaitent. Publicité sera faite tant sur le site de la commune que dans le bulletin communal, les médias, etc. Mon accord n’est plus nécessaire puisque le Collège a déjà voté mais je suis satisfait puisque le temps dévolu au CCC passe d’un quart d’heure à une heure, et surtout en présence du bourgmestre et des échevins.
La première séance s’est tenue le mardi 1er mars à 19h, en présence du ministre des Pouvoirs locaux! Et même s’il y a clairement récupération politique, cela importe peu, finalement. Seul le projet politique est important. Il faudra évidemment le peaufiner, l’améliorer, encore et encore innover… Mais le groupe « Gauche » ne mettra jamais de bâtons dans les roues du CCC et se fiche bien d’en réclamer la paternité, les querelles de bac à sable de l’opposition ne nous intéressent pas.
Etendre à d’autres communes
Notre souhait est de donner un large écho à ces rencontres citoyennes (dix fois par an, minimum) afin d’étendre cette expérience à d’autres communes. D’autant que nous avons l’appui du ministre des Pouvoirs locaux pour une extension possible à l’avenir! Certes, le cadre de ces CCC reste limité aux questions concernant Anderlues mais combien de sujets régionaux, fédéraux, européens, mondiaux ne concernent pas, finalement, chaque commune? Qu’il s’agisse du TTIP, de la chasse aux chômeurs, de fiscalité (audit de la dette par exemple), etc.
Personnellement, je pense qu’il est important pour tou.te.s les militant.e.s et les citoyen.ne.s qui se revendiquent de la gauche de les développer et de s’investir dans ces CCC. À condition qu’ils nous permettent vraiment d’interpeller les élus, de proposer analyses et réflexions, de conscientiser nos concitoyen.ne.s, de nous réapproprier ces espaces de démocratie de proximité comme caisse de résonance pour l’auto-organisation de nos luttes… Retroussons nos manches, il y a du pain sur la planche!