05 09 2016 (midi)–
A PROPOS DE LA GREVE DES AGENTS PENITENTIAIRES
(TITRE OFFICIEL DES SURVEILLANTS)Un miroir significatif
DITES, CE SONT DES HALLUCINATIONS ?
Des objets qui volent par les fenêtres, en feu ou non, dans la cour d’une prison, des cris, au JT, dites-moi , c’est une hallucination ? ça me ramène en 1980 à Lantin, où l’administration pénitentiaire avait du fourrer en catastrophe les détenus de la prison St-Léonard saccagée quelques mois plus tôt. .
.Et était-ce une autre hallucination, le 2 mai, à la télé, ce rassemblement d’agents pénitentiaires (c’est le titre officiel pour « surveillants ») battant la semelle sur le trottoir du Ministère de la Justice à Bruxelles en attendant le résultat d’une réunion de leurs représentants syndicaux avec le Ministre ? Ah, je le connais bien, l’intérieur de ce bâtiment. La salle est au 1er étage, à gauche. J’étais déléguée syndicale CGSP-Justice , l’impression d’être à bord d’un rafiot qui, tangue au fil de l’actualité, prend l’eau de toutes parts, (prisons, tribunaux, maisons de justice) et tient plus ou moins le coup grâce au personnel qui écope ferme.
TOUJOURS LES MEMES REVENDICATIONS, LES MEMES DEMANDES, DANS UN CONTEXTE AGGRAVE MAINTENANT
Voilà plus de 40 ans que les agents pénitentiaires veulent du personnel en suffisance pour bien exécuter toutes leurs tâches, certains insistent sur la sécurité, d’autres sur le facteur humain. En 1982, des affiliés à la CGSP et à l’ACOD ont mené une étude approfondie sur leur fonction, elle a abouti à une monographie où ils déclaraient qu’ils ne seraient plus jamais simplement des porte-clés.
SI VOUS VOULEZ ARRETER LE TEMPS, ENTREZ DONC DANS LA BULLE DU MINISTERE DE LA JUSTICE.
Et si vous voulez reculer encore davantage dans le temps, suivez le guide : le premier Ministre lui-même en personne qui semble rêver de retourner au XIXe siècle. …
JEUDI
Communication du Ministre Koen Geens ce jeudi à la télé
Il a déclaré à la télé avec un sérieux qui l’honore qu’il avait avancé des « propositions avec une forte attractivité ».
Pensez donc, « on va remplacer toute personne qui part ». C’est gentil, ça. Le trou dans le cadre du personnel ne va plus s’agrandir. Ce cadre avait été fixé par l’administration pénitentiaire, établissement par établissement.. Il y avait 8135 agents en 2015, ils sont 6000 et des en 2016, alors qu’il y a toujours une surpopulation de détenus (11.076 pour 9903 places, en février) .
Puis il fait mousser une prime pour « les agents qui s’engagent dans l’optimalisation » .
C’est quoi, ça? Parions que c’est un beau programme pour un rendement maximum avec un minimum de personnel… L’exemple donné à la télé par le Ministre est déjà croquignolet : on installerait un téléphone dans chaque cellule pour réduire la circulation des détenus dans l’établissement.
Dans cette optique, on gère une prison comme une entreprise où les méthodes de management sont les mêmes quelle que soit la matière à traiter– détenus ou petits pois, kif-kif. L’ennui, c’est qu’un détenu, ce n’est pas un petit pois .
UN TRAITEMENT INHUMAIN DES DETENUS
Des gens actuellement confinés 24 heures sur 24 dans des petites cellules, surpeuplées dans certaines prisons (à Forest, par ex), sans repas corrects, sans douches, sans eau courante, sans visites, c’est clair que c’est inacceptable. Mais qui est responsable ?
Les « duos » (cellules pour 2) devenus trios en fait, (2 lits superposés et un matelas par terre ), les cellules sans eau courante (et donc ni lavabo ni WC), perdurent au travers des années sans émouvoir grand monde en-dehors des périodes de grève des surveillants.
LA RECLAMATION D’ UN « SERVICE MINIMUM »
Bien entendu, des voix se sont élevées maintenant pour réclamer, un service minimum à imposer aux grévistes. au nom du « respect de la dignité humaine » et des droits des détenus,
Il faudrait nous expliquer comment cette dignité et ces droits seraient restaurés d’office lorsque les surveillants auront repris le travail, alors que tout le reste n’aura pas changé:;
Ils ont bon dos, la dignité humaine et les droits de détenus, ici. , où leurs défenseurs occasionnels les inscrivent dans la ronde de droits individuels brandis comme autant d’armes dans la guerre contre les syndicats.
L’ETAT CONDAMNE EN REFERE MERCREDI POUR MAUVAIS TRAITEMENT
Cette semaine, des détenus de Nivelles et Ittre ont déposé plainte contre l’Etat et obtenu gain de cause. La Justice a condamné l’Etat à leur fournir trois repas par jour, un accès normal aux douches, une heure de promenade quotidienne (pas du luxe pour aérer les cellules et permettre aux gens de se dérouiller les jambes ) , l’accès quotidien au téléphone, les visites de leur avocat et les visites de leur famille, le tout avec une astreinte de 1000 euros par personne et par jour si ces injonctions ne sont pas respectées. Des détenus d’autres prisons ont également déposé plainte.
Ce jugement n’est pas un coup de baguette magique, il ne va rien changer dans l’immédiat – d’autant plus que l’Etat va probablement interjeter appel – mais il est important pour le principe ;
LA RATIONALISATION-OPTIMALISATION, VOIE DE LA DESHUMANISATION
Au stade final de l’ « optimalisation », on pourrait concevoir des prisons gérées au maximum par l’informatique, pour l’ouverture et la fermeture des portes, les caméras de surveillance, etc. Diminution assurée du poste « salaires personnel ». Et diminution des contacts humains, mais qui s’en soucie dans le monde de la rentabilisation ?
On pourrait aussi confier la gestion des prisons au secteur privé , « business juteux » aux Etats-Unis. On imagine ce qui attend les détenus pauvres quand il faut tout s’acheter – et aux prix fixés par le concessionnaire privé.
VENDREDI 6 MAI
Rencontres au Ministère de la Justice entre le Ministre, les directeurs de prison et les organisations syndicales.
Les directeurs de prisons soutiennent les surveillants contre la rationalisation, le président de leur association le dit à la télé. Ils sortent du ministère sur le coup de midi . Les infos de la RTBF nous apprennent ensuite que le Ministre est en réunion avec « les syndicats », qu’il a demandé une suspension de séance (pour les initiés, ça signifie qu’il est le bec dans l’eau et parti demander en haut lieu si on pouvait lui octroyer un peu de rab pour répondre aux revendications), et en fin d’après-midi, qu’il y a un protocole d’accord.
A la sortie de la réunion, le secrétaire national de la CGSP-administration pénitentiaire dit qu’il y aura 7000 agents à la fin de 2016 et que les assemblées de base doivent se prononcer sur cette proposition ;
A PROPOS DU TERME « LES SYNDICATS »
Les médias – RTBF y comprise – parlent des « syndicats » , sans nuance. On y est habitués. Les journaux annoncent donc un « accord entre « les syndicats » et le ministre » alors que c’est un protocole d’accord. Mais voilà que Tournai, Mons, Lantin, etc, toutes les assemblées disent non.
Et oui ! Il arrive que certains syndiqués s’inclinent quand « le syndicat » a parlé en leur nom. Mais quand les syndiqués dans la rue pour se faire entendre, ils sont debout !
LA BASE DECIDE
Même si ça ne plait pas à tout le monde, y compris dans les structures syndicales, il y a toujours intérêt à rappeler que le syndicat, c’est l’ensemble des syndiqués .
DIMANCHE
Le Ministre de la Justice déclare qu’il est pour le dialogue social, qu il a déjà dépassé les limites du budget qui lui avait été alloué et qu’il devait en référer au Conseil des Ministres lundi. C’est ce qui s’appelle refiler la patate chaude aux copains.
Dimanche soir
La patate était vraiment très chaude. Il y a eu une réunion du Conseil des Ministres restreint ce dimanche après-midi. Charles Michel, le¨ Premier ministre lui-même, a annoncé qu’’il envoie l’armée dans les prisons. Six pelotons, c’est-à-dire 180 hommes .
Voilà qui peut susciter beaucoup de réflexions .
Primo, du point de vue le plus pragmatique : 180 hommes, c’est trop peu .
Secundo, : les militaires rouspètent par la voix de leur représentant syndical
Tertio : l’armée dans les prisons, ça donne un drôle de goût à notre « démocratie »
Etc…Passons. Bornons-nous, ici, pour le moment, à l’action des surveillants.
Samedi et dimanche dans des prisons flamandes
Des « troubles » ont éclaté à Merksplas et Anvers, alors que là, les agents pénitentiaires travaillent normalement. Ils ont été assez sérieux à Merksplas pour qu’on transfère une série de détenus dans d’autres prisons. Ceci dit juste pour info et réflexion.
LES AGENTS PENITENTIAIRES EN LUTTE POUR LA DEFENSE DES SERVICES PUBLICS, DES VALEURS HUMAINES ET DE LA DEMOCRATIE SYNDICALE.
Au JT de 13h. le 5 mai, un délégué CGSP le disait clairement et simplement. la « rationalisation » est une attaque contre les services publics.
Les grévistes savent ce qui risque de les attendre quand ils rentreront dans les prisons. Un d’entre eux l’a dit au J.T. de 19 h. le 5 mai, des détenus les menacent de représailles.
Si les surveillants se contentaient d’être des porte-clés, ils ne resteraient pas dehors Ils deviendraient des techniciens « pousse-boutons » spécialisés . En plus, ils y gagneraient une note « très bon » lors de leur évaluation professionnelle.
Mais, pour la grande majorité, ils ont le respect naturel de la dignité humaine -et je ne parle pas ici en théorie, mais d’expérience.
Ils ont l’appui des directeurs de prison et, paraît-il, celui de certains détenus.
Ils s’opposent aux méthodes de « rationalisation-optimalisation » qu’on entend leur imposer au nom des sacro-saintes exigences budgétaires, au détriment de l’humain. Et ils prennent leur destin en main, y compris vis-à-vis de leurs propres structures syndicales. C’est probablement ça l’enjeu réel de ce bras de fer actuel entre le gouvernement et eux..
— Michèle Marteaux, ancienne déléguée CGSP-Justice