Il n’est pas facile de définir le kitsch. Ce mot allemand recouvre plus que le terme français « art de pacotille » ou « tape-à-l’œil » (en fait c’est un peu les deux à la fois). Voici la définition qu’en donne le Petit Robert: « Se dit d’un style et d’une attitude esthétique caractérisés par l’usage hétéroclite d’éléments démodés (rétro) ou populaires, considérés comme mauvais goût par la culture établie et produits par l’économie industrielle ». Personnellement je considère comme kitsch une certaine relation sentimentale et émotionnelle évoquée par une représentation mensongère sur le monde réel. Le spécialiste de la question, le sociologue français Abraham Moles (Psychologie du Kitsch – L’art du bonheur, 1971) met, si je l’ai bien compris, l’accent sur la relation émotionnelle avec un objet considéré comme artistique. Une aria de Mozart peut être ressentie comme kitsch ou non, cela dépend de l’interprétation, de la façon dont elle est chantée et mise en scène. L’orchestre d’André Rieu (chef d’orchestre et homme d’affaires néerlandais), avec ses pupitres à musique tout sauf sobres, les costumes des musiciens, joue de la musique classique dans le style kitsch (beaucoup d’adagios etc.), ce qui fait son succès parmi les gens qui n’ont pas la patience d’écouter une symphonie de Brahms en entier, pour ne pas parler de la musique dodécaphonique. Je ne critique pas ce public mais le chef d’orchestre en question. Le chef américain Lenny Bernstein faisait le contraire : il éduquait un très jeune public à une musique considérée comme difficile. Le neurologue Antonio Damasio a remarqué qu’en ce qui concerne la musique, le kitsch est lié aux sentiments, la musique en tant que telle aux émotions. Selon l’écrivain autrichien Hermann Broch, qui a consacré plusieurs articles à la question du kitsch la traduction française « art de pacotille » ne convient pas, parce qu’il s’agit d’autre chose qu’une simple œuvre de mauvais goût.
Le kitsch nous donne un faux sentiment d’être compris, de bonheur, de sécurité, etc. L’émotion suscitée par la mort du roi Baudouin, de la princesse Diana sont des sentiments kitsch, commisération par procuration. Le kitsch est un élément important dans la vie courante aujourd’hui. J’ai remarqué que la manière dont l’Église s’adresse aujourd’hui aux visiteurs par des affiches, appels, images, etc. est en fait du kitsch. C’était également le cas des affiches de propagande staliniennes et d’un certain orientalisme.
Ce sont surtout des images et des objets d’art qui nous font ressentir ce qu’est l’attitude kitsch, mais voici un exemple en écriture : « La noblesse des visages, l’élégance de la tenue souillée de poussières, la majesté des gestes, l’intensité des expressions, les scènes de vie, témoignent d’une autre histoire que celle d’un Afghanistan brisé par la guerre. Que les yeux soient bleus, en souvenir d’Alexandre le Grand, ou noirs comme leurs cousins d’Asie centrale, que se soit le chamelier Brahoui ou ce jeune Malang, derviche de Mazar-i-Sherif, ce pashtoun à l’écharpe verte, de Shahr Dara près de Koundouz ou ce maître artisan de Tashqourghan, tous portent cette ‘liberté’ de l’espace dans leur regard, dont parle Le Clézio », etc. Cela ressemble à un reportage à la Leni Riefenstahl (amie d’Hitler) dans le National Geographic Magazine. Mais alors pourquoi tous ces gens heureux portant la liberté dans leurs yeux sont-ils mêlés d’une façon ou d’une autre à cette guerre, aux burkas, au terrorisme, à une interprétation des plus réactionnaires de l’islam ? À cette question les auteurs de cet écrit (« l’Afghanistan, eldorado mystique, 2002) », les voyageurs Roland et Sabrine Michaud, n’ont pas de réponse.
En fin de compte le kitsch édulcore, cache et ment. Mais le mensonge fait partie de notre culture. Le nier est contreproductif. Condamner le kitsch (on a tous un petit côté kitsch) ne résout cependant pas le problème. Tout comme les Lumières et les réalisations sociales qui les ont suivies ont détruit un bon nombre de superstitions, un combat social sur le plan des sentiments pourra combattre l’attitude kitsch. Le théâtre de Brecht en était un bon exemple.
photo d’André Rieu trouvée ici