Oliver Besancenot et Michael Löwy viennent de commettre un petit ouvrage (Affinités révolutionnaires, Nos étoiles rouges et noires, Ed. Mille et Une Nuits, Paris 2014) qui ne manque pas de susciter les interrogations.
Cela commence fort car dès l’avant-propos les auteurs présentent César De Paepe comme un « militant libertaire ». En Belgique, César De Paepe est connu comme un des pionniers du mouvement socialiste et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la clinique fondée par la social-démocratie à Bruxelles porte son nom. En plus d’être un des fondateurs du mouvement socialiste en Belgique, De Paepe, ouvrier typographe, avait fait des études de médecine et soignait les pauvres à Bruxelles. Influencé d’abord par les idées de Proudhon, César de Paepe s’en éloigne et devient collectiviste à l’époque où il est délégué de la section belge auprès de la Première Internationale. Le 31 mai 1869, De Paepe écrit à Marx : « J’ai découvert votre ouvrage Misère de la Philosophie. Je l’avais lu en partie lors de mon voyage à Londres. Je l’ai relu avec la plus grande attention. Proudhon s’y trouve réellement battu, réduit à sa plus simple expression ». Il propose à Marx de publier en Belgique les passages les plus importants tout en sautant les passages les plus caustiques à l’égard de Proudhon. (Correspondance entre Marx et Bakounine, César De Paepe, Ed. Maspero, Paris, 1974), Adoptée en 1884, peu après la mort de De Paepe, par la social-démocratie belge, la Charte de Quaregnon reprendra les thèses collectivistes de César De Paepe.
Les auteurs passent ensuite en revue, pêle-mêle, les martyrs de Chicago, la Charte d’Amiens, Louise Michel, Emma Goldman, Durruti, Benjamin Péret, le commandant Marcos, Makhno, Kronstadt, Daniel Guérin, etc. Au passage, les positions défendues par Rosa Luxemburg sur la révolution d’Octobre ne reflètent pas le véritable point de vue de Rosa. Celle-ci considère que le parti bolchevique est « la force motrice de la révolution » mais que des mesures telles que le partage des terres et le droit à l’autodétermination des peuples à disposer d’eux-mêmes sont des mesures petites bourgeoises. Sur la dissolution de l’Assemblée constituante, élue avant Octobre, Rosa considère que sa composition reflétait le passé et se tournerait donc contre la révolution. Cependant, au lieu de dissoudre l’Assemblée constituante, Rosa pense qu’il aurait fallu la réélire de manière à y refléter les aspirations d’Octobre 1917. (Réforme sociale ou révolution, et autres textes, Ed. Spartacus, Paris, 1997).
Certes bon nombre de personnages anarchistes ou semi-anarchistes passés en revue par les auteurs incarnent des idéaux engagés, désintéressés et sincères. Mais cela ne suffit pas pour développer un projet de renversement du capitalisme et d’instauration d’une société socialiste démocratique. Il est d’ailleurs étonnant qu’après avoir vanté les mérites de personnages qui ont voué leur vie à la lutte, Lénine et Trotsky soient véritablement jetés par-dessus-bord par les auteurs. Il aurait été intéressant de reprendre, par exemple, la polémique que Lénine entretient avec les anarchistes dans L’État et la Révolution (1917) https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/08/er4.htm#c4.2
. Ou encore la polémique de Léon Trotsky avec les anarchistes, dans le bilan qu’il dresse de la Révolution espagnole (Leçons d’Espagne, 1937) où il juge sévèrement les dirigeants de la CNT et de la FAI d’avoir joué le rôle de « cinquième roue de la démocratie bourgeoise » en soutenant et en participant au gouvernement de Front populaire. https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1937/12/lt19371217.htm
Il ne s’agit pas de polémiquer avec les anarchistes pour le plaisir de polémiquer. Il s’agit d’examiner et d’analyser les événements révolutionnaires du passé pour en tirer les leçons stratégiques afin d’éviter de refaire demain les même erreurs. Polémiquer de manière fraternelle, comme l’écrivait César De Paepe. Car les mamours et les déclarations platoniques faites par les deux auteurs ne font pas avancer d’un iota les questions de stratégie et de tactique pour renverser le capitalisme.
Retour vers le futur ? Dans les années 80, un cinéaste américain avait réalisé un film de science-fiction où les deux principaux personnages voyageaient dans le temps et étaient souvent confrontés à des situations cocasses. Le petit ouvrage de Besancenot-Löwy est-il, à sa manière une machine à remonter le temps jusqu’à l’aube de la Première Internationale ? La question vaut la peine d’être posée. Car si les compères pensent que le mouvement révolutionnaire doit être refondé sur une base à mi-chemin entre le marxisme et l’anarchisme, il faudrait qu’ils l’argumentent de manière plus conséquente. Sans quoi, leur petit ouvrage n’est sans doute qu’un « Bonjour en passant », sans lendemain, aux copains anarchistes.