L’Afrique dans un cercle aux couleurs noir, rouge, jaune et vert – évoquant le rastafarisme, le reggae et les drapeaux du continent. Le titre – Africa Unite ![1] – réfère à l’un des morceaux emblématiques de l’album Survival de Bob Marley.
C’est une histoire du panafricanisme que l’historien Amzat Boukari-Yabara se propose d’aborder comme « une énigme historique » en renouvelant le regard sur le continent africain et en explorant l’esclavage, la traite transatlantique puis la violence des colonisations et la période des décolonisations, mettant bien en évidence résistances et révoltes.
Analysée en tant qu’outil d’émancipation, de libération d’une communauté de destin, lié à l’anticolonialisme, au combat anti-apartheid, au jeu des grandes puissances, cette idée, revisitée par Amzat Boukari-Yabara est ici actualisée et synthétisée.
Le panafricanisme est envisagé à la fois comme « concept philosophique » et « mouvement sociopolitique » né des « mouvements émancipateurs et abolitionnistes de la seconde moitié du XVIIIe » et de la confluence de discours politiques anticoloniaux développés depuis l’Afrique, les Amériques et les Antilles « entre la fin du XIXe et la fin de la Seconde Guerre mondiale ».
Exalté par l’énergie du blues, du funk, du reggae et de l’afrobeat, cet ouvrage majeur permet de suivre des trajectoires individuelles et collectives, la « circulation des hommes, des idées et des luttes ».
Trois grands axes structurent Africa Unite !, dont les titres reprennent les slogans qui ont scandé l’histoire du panafricanisme, donnant à voir son évolution et sa complexification du XIXe à nos jours.
Dans une première partie, Boukari-Yabara décrit la maturation d’une prise de conscience historique et transcontinentale face à la colonisation et à la traite, des débuts de l’abolitionnisme en Europe et en Amérique jusqu’aux mouvements pour le retour en Afrique du début des années 1930. L’historien fait se croiser les figures de Toussaint Louverture, Anténor Firmin, W.E.B. Dubois, Alioune Diop ou encore Marcus Garvey. Le panafricanisme est ainsi appréhendé à travers discours, rencontres, alliances, conflits, bouillonnement d’idées et d’initiatives à la fois politiques, philosophiques et esthétiques. Surtout après l’indépendance du Liberia en 1847, la prise de conscience d’avoir été arraché à une terre précède celle du retour en Afrique, la terre du Liberia devant permettre le retour d’esclaves affranchis sur leur continent d’origine. Loin de toute idéalisation, Boukari Yabara expose ce retour comme une série de mises en tension.
Les pages consacrées à Antenor Firmin et Bénito Sylvain, deux savants haïtiens, permettent de jeter un regard totalement neuf sur l’histoire des études africaines en France et sur l’impact de la victoire éthiopienne d’Adoua dans les cercles panafricains de la diaspora. L’un des apports de l’ouvrage est ainsi de montrer la récurrence du motif éthiopien dans la littérature et l’activisme issus du panafricanisme, par exemple sa survivance en Jamaïque au XX è siècle dans le rastafarisme et le mouvement créé par Marcus Garvey, ainsi que sa revitalisation lors de l’agression italienne en 1936.
Dans la seconde partie, « “Africa for the Africans” : les rêves de libération et d’unité », l’auteur ouvre la séquence historique de la lutte anticoloniale, avec le retour de Kwame Nkrumah à Londres, après son long séjour en Amérique, appuyé par le Trinidadien George Padmore, intellectuel et activiste panafricaniste proche du mouvement communiste international. Est mis en lumière le rôle des centaines d’activistes afro-diasporiques, qui rejoignirent ce bastion du panafricanisme qu’était devenu le Ghana de Nkrumah jusqu’à sa chute en 1966.
L’auteur convoque Senghor, Césaire et Fanon pour rappeler que le mouvement de la négritude « a fondé la contestation de la domination blanche et occidentale, et [qu’] il a apporté à l’intelligentsia noire une nouvelle conscience de son rôle dans l’histoire ». Il met en avant la vigilance critique du mouvement face aux discours de domination, en évoquant l’émergence de figures telles Cheikh Anta Diop et Joseph Ki-Zerbo. la profusion de publications et revues, comme par exemple Présence Africaine, l’impact des organisations étudiantes et leur investissement actif sur le terrain intellectuel, posant ainsi les bases d’un projet politique et social.
La troisième et dernière partie de l’ouvrage « Don’t agonize, organize ! » est à la fois politique et musicale. Boukari-Yabara décrit notamment la conscientisation d’artistes qui, de la Caraïbe à l’Afrique, ont chanté le panafricanisme et enrichi l’esthétique musicale de nouveaux genres comme le reggae et l’afrobeat, notamment l’icône mondiale Bob Marley. Sur le continent africain, le Nigérian Fela Kuti et la Sud-Africaine Miriam Makeba, par exemple, ont également participé à cette diffusion. Le premier, créateur de l’afrobeat, multiplie les attaques contre les gouvernements corrompus au point de faire l’objet de menaces et d’intimidations. Dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, Miriam Makeba, en prenant la parole à la tribune de l’ONU en 1963, devient l’une des voix les plus respectées du panafricanisme. Sa dénonciation de la violence de l’apartheid et son appel à faire pression sur le régime lui valent le soutien de la plupart des leaders nationalistes africains.
L’écriture de Boukari-Yabara se fait plus forte et politique avec le récit de la naissance de l’Organisation de l’unité africaine en 1963, l’essor du pôle tanzanien, et le parcours de Thomas Sankara au Burkina Faso, avancées concrètes du panafricanisme sur le continent.
Le livre s’achève sur des interrogations brûlantes comme celles du reflux des régimes panafricanistes, de la « recolonisation » de l’Afrique par l’ingérence occidentale dans les conflits internes, et les enjeux de pouvoir et de contrôle des ressources naturelles.
La conclusion de cette fresque foisonnante en fait un élément de la renaissance du panafricanisme à la lumière des expériences et enseignements du passé.
Gisèle Felhendler. Publié dans le numéro 28 d’Afriques en lutte.
[1] Africa Unite ! Une histoire du panafricanisme, Paris, La Découverte, 2014, 318 p
Source : Ensemble