Entretien.
Samedi 28 février, le lancement d’un deuxième puits-pilote cette semaine par la compagnie américaine Halliburton, avec la Sonatrach, a été le détonateur de violents heurts à proximité du site gazier situé à 10 km de In Salah. Un « climat d’émeute » dira Abdelkader Bouhafs, militant anti-gaz de schiste, où les femmes participent aussi aux affrontements.
Mardi 24 février, à l’occasion d’un rassemblement devant le consulat d’Algérie à Paris, nous avons rencontré Zoheir, militant algérien contre l’exploitation du gaz de schiste.
Pourrais-tu nous donner les raisons du mouvement en Algérie et de ce rassemblement ici à Paris ?
Aujourd’hui, en Algérie des manifestations ont lieu à travers tout le pays pour soutenir la lutte des populations de In Salah qui manifestent depuis plus de 62 jours quotidiennement contre l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste.
Des rassemblements ont lieu le même jour en Europe : Londres, Genève, Hambourg, Lyon et donc ici Paris à l’appel de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) – France regroupant les représentants des partis Jil Jadid, RCD, MSP et Aladala, ainsi que le Collectif contre le gaz de schiste en Algérie, des associations comme ACA (Action pour le changement en Algérie), Initiative Ibtikar et des étudiants algériens de l’Association des étudiants nord-africains et des membres d’organisations françaises.
Pour la première fois depuis l’indépendance, toutes les régions du pays se sont unifiées avec les mêmes mots d’ordre contre le gaz de schiste, contre ce régime illégitime. Les Algériens se sont mobilisés malgré la répression et des arrestations, notamment à Alger, et la présence de très nombreuses forces de l’ordre.
Le 24 février 1971 est le jour de la nationalisation des hydrocarbures par Boumédiene… Cela touche donc à la souveraineté nationale. Les slogans des manifestantEs, « Nous ne voulons pas d’un néocolonialisme déguisé », exprime cela. L’exploration et l’exploitation du gaz de schiste se fait sans consultation de la population. Comme à son habitude, ce régime tente de passer en force, interdisant toute expression démocratique, alors que cela engage le présent et les générations futures.
Alors qu’en France, l’exploration est actuellement arrêtée pour des raisons d’environnement et de santé publique, Total est néanmoins soutenu par les autorités françaises pour participer à son exploration en Algérie…. C’est mauvais pour les Français, mais c’est bon pour les Algériens ? La première bombe nucléaire française avait été testée dans le sud, à Reggane. À l’époque on nous a dit que cela serait sans impact. Or à ce jour, des personnes souffrent encore des séquelles dues à ces explosions. Les populations du sud ont déjà donné !
Alors que l’Algérie est un producteur important du pétrole, pourquoi le gouvernement se lance-t-il dans le gaz de schiste ?
Il n’y a quasiment pas d’industrie, le niveau des importations est très élevé : biens de consommation courants et produits finis financés par les exportations d’hydrocarbures qui assurent 98 % des ressources. Cela permet en outre d’assurer la paix sociale. Or, le cours du pétrole a fortement baissé et le risque à terme est de ne plus pouvoir être en capacité d’assurer la rente. Le gaz de schiste est donc ce « nouvel El Dorado » qui devrait sauver la rente. Le régime n’a pas de stratégie de développement à moyen et long terme pour sortir de cette dépendance.
L’énergie solaire serait un moyen mais de la même façon, les investissements ne sont pas faits pour garantir l’avenir.
Et pour ce qui concerne l’eau ?
La fracturation a un impact sur la nappe phréatique. Or l’eau est vitale, notamment pour le sud. En touchant à la nappe phréatique, on se coupe un bras. Les risques sont très importants. De plus, il faut
des quantités d’eau très importantes, mélangées à des produits toxiques, dans une région qui en manque. Les études d’impact ne nous satisfont pas car la confiance est nulle envers l’État. Ce sujet est d’ampleur nationale et cristallise l’opposition de toutes les organisations politiques et environnementales, et d’abord de toute la population.
Cela peut-il être une activité créatrice d’emplois ?
En Algérie, les entreprises étrangères viennent avec leur savoir-faire, leurs moyens et leur personnels. Il en sera de même pour le gaz de schiste. Un exemple : l’autoroute Est-Ouest a été réalisée par des travailleurs chinois, et les chômeurs algériens assis au bord de la route les regardaient travailler… L’Algérie sert-elle à régler les problèmes du chômage chinois ?
Quel soutien pouvons-nous apporter ?
Il faut comprendre qu’il y a des forces qui luttent pour un changement démocratique. Il est nécessaire de médiatiser, et d’informer sur la lutte menée contre le gaz de schiste en Algérie, que les populations du sud sachent qu’elles sont soutenues dans leur lutte contre le gaz de schiste par des organisations et associations françaises.
Source : NPA