Le 31 Aout 2014 était le dernier jour des vacances scolaires d’été dans le Land de Saxe. Mais cela n’explique pas le déclin de la participation aux élections régionales de ce jour, qui est tombé au seuil historiquement bas de 49,2% des 3,4 millions de citoyennes et de citoyens ayant le droit de vote.
Dans ce Land, la CDU chrétienne-conservatrice est le parti dominant depuis 1990. Ce parti était sorti gagnant des dernières élections en l’an 2009 et avait réalisé une coalition avec le FDP libéral. Puisque celui-ci s’est retrouvé clairement en-dessous du seuil des 5% dans les sondages et a effectivement manqué l’entrée au parlement, son leader, le ministre-président Stanislaw Tillich doit trouver un autre partenaire. La Saxe aura probablement une « grande coalition » de la CDU avec le SPD social-démocrate. Une coalition du CDU avec le Parti des Verts est bien moins probable, entre autre parce que les Verts du Land de Saxe sont pour la fin de l’extraction de lignite. Et, avant les élections, le SPD comme les Verts avaient tous les deux exclu catégoriquement une coalition « rouge-rouge-verte » avec le parti Die Linke (La Gauche).
La CDU arrive à 39,4% avec 650.000 voix en perdant 0,8 points en pourcentage par rapport aux dernières élections régionales en Saxe en l’an 2009. Die Linke se maintient comme deuxième parti en arrivant à 18,9% en perdant 1,7 points. Le SPD gagne 2 pour cent pour arriver à 12, 4 %. Les Verts obtiennent 5,7% en perdant 0,7 points. La AfD, Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne, nouveau parti ultra-conservateur, ultra-néolibéral et droitier), se présentant la première fois aux élections régionales du Land de Saxe, obtient spectaculairement 9,7%, tandis que le FDP libéral perd 6,2 points et tombe à 3,8%. Le NPD, parti d’extrême droite, qui avait son meilleur résultat en Saxe en l’an 2004, rate de justesse la barrière des 5% en obtenant 4,95% des voix – il ne lui manquait qu’un peu plus de 900 voix. Mais il faut ajouter que les 159.000 voix pour l’AfD signifient une légère perte mesuré aux élections européennes, où ce parti avait pu mobiliser 164.000 électeurs en Saxe.
Dans le nouveau parlement de Saxe, il y aura 59 députés pour la CDU, 27 pour Die Linke, 18 pour le SPD, 14 pour l’AfD et 8 pour les Verts. On remarque qu’il n’y a pas de majorité rouge-rouge-verte possible, et que la CDU pourrait, théoriquement, former une coalition avec l’AfD. Son leader Tillich ne l’avait pas exclu avant les élections, mais après que la direction de la CDU au niveau fédéral s’est prononcée contre, il a dit après les élections que cette variante ne pourrait pas marcher, l’AfD étant « un parti de protestation ».
L’AfD profite
L’AfD a pu prendre des voix à presque tous les autres partis – 33.000 à la CDU, 18.000 au FDP, 13.000 au NPD – mais aussi 15.000 à Die Linke ! Il s’ajoute à cela 16.000 qui avaient boudé les urnes en 2009. Le déclin du FDP est une tendance lourde au niveau fédéral, il a encore une fois été confirmé, La CDU lui a pris 20.000, l’AfD 18.000, le SPD 12.000, et 20.000 personnes qui avaient voté pour les libéraux en 2009 n’ont pas participé à l’élection. La CDU gagnante a seulement pris des voix au FDP, mais perdu 33.000 au profit de l’AfD et 11.000 au profit du SPD, tandis que 11.000 électeurs de 2009 de la CDU sont restés à la maison. Le SPD a pris 12.000 voix au FDP, 11.000 à la CDU, 7.000 aux Verts et a perdu 8.000 au profit de l’AfD et n’a pas pu mobiliser 5.000 de celles et ceux qui avaient voté pour lui en 2009.
Il est clair que l’échec du NPD est dû à la candidature de l’AfD qui lui a pris 13.000 voix. Il ne perd que 1.000 voix au profit du SPD et n’a pas réussi à mobiliser 10.000 électeurs qui avaient voté pour lui en 2009. Il est donc peu réconfortant que le NPD rate de justesse d’avoir des élus, si une force aussi droitière et démagogique que l’AfD s’établi au Landtag de Saxe avec presque 10% des voix. En tant que force militante, le NPD en tant que tel n’est pas si fort, il a moins de 1.000 membres en Saxe. Les mobilisations racistes, notamment contre les réfugiés, se basent sur des coopérations avec des groupes néo-nazis et prêts à la violence qui ne s’organisent pas dans une perspective électoraliste. Mais les succès électoraux de l’AfD tendent à encourager ce genre de mobilisations.
Le parti Die Linke a perdu 15.000 voix au profit de l’AfD. Cela signifie qu’il n’a pas pu se présenter comme une opposition conséquente, ce qui est maintenant l’image de l’AfD. Même s’il a proclamé le rôle « d’opposition à la politique dominante », il a surtout mené campagne dans le sens de « 25 ans de CDU, ça suffit » et reproché amèrement au SPD et aux Verts de ne pas être prêts à l’accepter comme partenaire junior d’une coalition gouvernementale. C’est la logique d’une campagne électorale partant de « deux camps », un camp progressiste du SPD, des Verts et de Die Linke, et l’autre camp, conservateur et de droite. La co-porte-parole du parti Die Linke au niveau fédéral, Katja Kipping, a soutenu cet approche en déclarant : « Qui fuit la campagne électorale de camp comme le diable l’eau bénite, ne doit pas être surpris que la CDU reste en selle. »
Mais même avec une campagne électorale « de camp » de La Gauche contre elle, la CDU est « restée en selle » dans le Land de Saxe. Il est vrai que Die Linke a pris quelques voix au FDP (5.000), mais aussi quelques-unes aux Verts (5.000). Mais en plus de perdre assez massivement au profit de l’AfD, il n’a pas pu mobiliser 13.000 électrices et électeurs qui avaient voté pour lui en 2009. Et il n’a pas pris de voix à la CDU. Il est donc douteux qu’une logique des « camps » soit vraiment opérationnelle. La « politique dominante » en Allemagne n’est-elle pas plutôt une politique soutenue par la CDU et le SPD ainsi que par le FDP et les Verts ? Cela signifierait qu’un profil d’opposition qui exige vraiment une « autre politique », une politique dans l’intérêt des salariés ne devrait pas situer La Gauche dans le même camp que ceux qui co-gouvernent sous Angela Merkel au niveau fédéral.
Les co-gouvernementalistes à Brandenburg…
A Brandenburg, Die Linke est toujours et encore partenaire junior d’une coalition dirigée par le SPD. Jusqu’à nouvel ordre, c’est le seul Land où elle joue ce rôle. Comme elle veut rester au gouvernement avec le SPD, c’est à plus forte raison qu’elle mène une campagne électorale « de camps » pour les élections régionales de ce Land qui auront lieu le 14 septembre.
Si on regarde les deux derniers sondages d’opinion de Infratest dimap du 27 Août et de la Forschungsgruppe Wahlen du 4 septembre, on s’attend à 33% pour le SPD, 21% pour Die Linke, 25% respectivement 27% pour la CDU, 6% respectivement 5% pour Verts, 8% respectivement 6% pour l’AfD et 2% pour le FDP, qui échouera donc à la barrière des 5%. Puisque le SPD a déclaré qu’il veut poursuivre la coopération avec Die Linke et qu’une majorité absolue des deux partis est probable, on peut donc s’attendre à la poursuite de la coalition dite « rouge-rouge » dans le Land de Brandenburg.
Ce qui saute quand-même à l’œil, c’est le déclin du soutien électoral pour le parti Die Linke, même en pourcentage (le déclin en chiffres absolus devrait être encore plus important vu que la participation aux élections est en baisse) : En 2009, Die Linke avait encore obtenu 27,2%, et maintenant, d’après les sondages, il perdra quelques 6 points ! Comme dans les périodes de co-gouvernance passées, surtout dans le Land de Berlin, la participation aux gouvernements menés pas le SPD ne semble pas être « payante » du point de vue électoral pour le parti Die Linke.
Bien entendu, il faut y regarder de plus près. A l’ouest du pays, comme en Rhénanie du Nord-Westphalie en 2012, Die Linke a aussi essuyé de lourdes défaites électorales en perdant la moitié de son électorat, même avec un profil clairement oppositionnel et plutôt radical. Mais, c’étaient les tendances lourdes au niveau fédéral qui prévalaient : déclin massif de Die Linke dans les sondages, disputes publiques entre ses membres les plus médiatisés, ascension des Pirates (vite terminée après une année d’essor), perte de crédibilité y compris comme parti de contestation et comme parti de gouvernement potentiel.
A Brandenburg, Die Linke est perçue comme faisant partie de la politique établie. Il est vrai qu’une bonne partie de sa clientèle électorale attend du parti de gouverner à toute occasion pour réaliser en pratique tant soit peu de ses propositions, même au prix de renoncer à une politique dans le sens de ses convictions d’ensemble, exprimées dans le programme du parti au niveau fédéral, qui parle d’un dépassement socialiste de la société de classe capitaliste. Mais il y a un prix à payer quand l’adaptation à la politique de gestion de la crise capitaliste structurelle mène à se faire co-responsable de mesures d’austérité ainsi que de d’autres décisions incompatibles avec le consensus des milieux plus ou moins progressistes dans l’électorat.
Dans le gouvernement de Brandenburg, Die Linke a eu les rênes des finances, de l’Economie et de la justice – ce qui ne l’a pas aidé à se profiler comme parti de gauche du gouvernement. Son cheval de bataille préféré en 2009, c’était la création d’un « secteur d’emplois publics » avec quelques 15.000 emplois. Il s’agissait là dès le départ d’une goutte d’eau dans l’océan du chômage, mais même cette petitesse était vite devenue la victime des mesures d’austérité liées au « frein à l’endettement » et au renoncement à toute mesure fiscale qui pourrait mettre en colère les « investisseurs ». Et les rênes de l’Economie, au niveau des Länder, ça sert surtout à distribuer des subventions directes ou indirectes aux firmes privées pour les intéresser à venir ou à rester dans la région. Dans sa plate-forme électorale (Kurzwahlprogramm), Die Linke Brandenburg parle de critères sociaux et écologiques qu’elle veut introduire dans les conditions à remplir pour toucher des subventions « pour stopper la spirale en baisse des salaires, pour garantir l’emploi et en créer du nouveau et pour renforcer un patronat socialement responsable. » Voilà qui n’émane pas d’une stratégie de « dépassement socialiste de la société capitaliste », et voilà qui est peu crédible vu l’expérience des cinq dernières années « rouge-rouge » dans le Land de Brandenburg.
Dans sa plate-forme électorale on peut aussi lire que Die Linke s’engage pour un tournant énergétique régional et financièrement abordable, avec des mesures pour le développement de technologies appropriées et de concepts de réalisation au niveau local. Mais en pratique, Die Linke n’a pu imposer aucune démarche de sortie de l’extraction de lignite, même pas à moyen terme. Donc, sa crédibilité dans la lutte contre le changement climatique est ramenée à zéro.
… et leurs amis à Thüringen
Dans le Land de Thüringen, il y a aussi des élections régionales le 14 septembre. D’après les deux derniers sondages d’opinion du 4 septembre, la CDU peut s’attendre à 34% contre 36% des voix, le SPD à 16%, le parti des Verts à 5% contre 6%, le FDP libéral à 3%, Die Linke à 28% contre 26%, le AfD à 7% contre 8% et le NPD à 4%. Il est donc possible que le NPD n’aura pas d’élus, mais il n’est pas exclu que le parti des Verts échoue aussi à prendre la barrière des 5%. Puisque le FDP ne rentrera pas au parlement régional, une poursuite de la « grande coalition » de la CDU avec le SPD semble la variante la plus probable.
Ce n’est pas l’idée du chef de file du parti Die Linke, Bodo Ramelow, pour qui « la CDU est usée ». Il bat le tambour pour un gouvernement « rouge-rouge » ou « rouge-rouge-vert » comme partenaire junior du SPD, pour réaliser des améliorations dans le secteur de l’enseignement, pour assurer le financement des crèches et pour, comme il dit, « remodeler la gestion du Land » pour qu’elle devienne « plus efficace », « plus proche des citoyens » – « sinon, il faudrait 1 millions de citoyens en plus, et où les prendre ? » Cette dernière idée, comment la comprendre ? Il semble que Ramelow met en avant un argument pour justifier son soutien futur aux suppressions d’emplois dans les services publics…
Il est donc clair que la ligne politique du parti Die Linke à Thüringen est la même que dans les Länder de Brandenburg et de Saxe. Il se présente comme parti gouvernemental potentiel menant une campagne électorale « de camp » contre la CDU, même s’il semble très peu probable participer au gouvernement à Thüringen.
Il faut ajouter deux considérations :
L’une, c’est que Die Linke dans ces Länder n’intègre pas les thèmes cruciaux de la politique au niveau fédéral dans ses campagnes et ses plateformes électorales, comme surtout la participation de la Bundeswehr aux opérations guerrières de par le monde, qui sont en contradiction flagrante avec la constitution allemande, avec le « Grundgesetz » qui n’attribue à l’armée que des tâches de défense du territoire de l’Allemagne. Or les Länder, dans la chambre qui les représente, le Bundesrat, ont leur voix au chapitre pour les décisions politiques au niveau fédéral. Donc, Die Linke devrait, surtout si elle entend co-gouverner avec le SPD, clarifier d’avance l’attitude du Land respectif et son comportement dans les votes sur ces questions au Bundesrat.
L’autre, c’est que le parti Die Linke, dans les nouveaux Länder à l’est de l’Allemagne, ne risque pas seulement de perdre son image de parti en conflit avec la politique pro-capitaliste établie, mais aussi son profil de défense de la mémoire (et pour certains, de la nostalgie) de ce qu’il y avait comme acquis, notamment en matière de social et de sécurité d’existence en RDA. Déjà, des candidats de l’AfD, souvent des petits patrons, qui parlent contre l’Euro et les « sacrifices allemands pour la Grèce » etc., qui articulent des revendications pseudo-démocratiques plébiscitaires et veulent restreindre l’immigration, disent aussi publiquement (mais seulement dans les nouveaux Länder de l’est de l’Allemagne) pour canaliser à leur avantage la révolte contre la misère et le manque de perspectives « qu’en RDA c’était même mieux qu’aujourd’hui ».
*Manuel Kellner est membre de la isl (internationale sozialistische linke, gauche socialiste internationale), une des deux organisations de la IVème Internationale en Allemagne, et rédacteur de la SoZ – Sozialistische Zeitung (Journal Socialiste)