Combien étions-nous ce matin au départ de la gare de Charleroi-Sud? Dix ou douze mille? Bien plus nombreux en tout cas que les 5 000 annoncés par la police !
Météo à l’exemple de nos coups de gueule ; grosses rafales glaciales qui font claquer drapeaux et calicots, qui dispersent aux quatre vents nos slogans sur les boulevards Carolos qui en ont vu d’autres…
Notre peloton de militants LCR démarre en presque queue de cortège. Ben oui, c’est qu’on était resté après le départ, à distribuer nos tracts « cocktail explosif » à la sortie de la gare, aux derniers syndicalistes déversés des trains retardés par l’affluence inespérée de ce 1er avril.
Tout Autre Chose ?
Ah camarades, quel bonheur de tendre un tract à quelqu’un qui vous regarde droit dans les yeux, qui s’en empare en souriant, qui s’arrête, même s’il est pressé, gsm collé à l’oreille, de retrouver parmi les milliers de manifestants sa délégation qui lui a donné rendez-vous- ah çà, c’est malin, tiens !- « tu verras, on est juste devant la gare ! ». Et qui tend la main pour le saisir, votre tract, quand vous n’arrivez pas à approvisionner assez vite le flot humain qui déboule du grand hall vitré…
Bon, je vous dis ça parce qu’il y a trois jours, dimanche, c’était, comment dire… tout autre chose ! Voyez-vous, j’étais à la sortie de la Gare du Nord à Bxl à me demander ce que j’étais venu faire dans cette galère. Un défilé indescriptible de manifestants trop disciplinés, affublés d’accessoires de carnaval mais qui se seraient bien bouché le nez à la vue d’un tract. Qui vous évitent ostensiblement, ou vous lancent un regard furieux (on vous avait bien dit « pas de casaque syndicale, pas de tract, pas de signe politique ostentatoire ! »).Bref, qui avaient l’air de débarquer pour une fancy-fair alternative , une zinneke parade de l’anti-austérité bon enfant plutôt que pour dire à un gouvernement mi droite décomplexée mi facho mal assumé qu’il était temps qu’il dégage !
Ceux du peloton LCR
Mais revenons à nos Carolos d’un jour, puisque pas mal d’entre nous venaient de Mons-Borinage, La Louvière ou Nivelles. Donc nous, du peloton LCR, décidons de « remonter » la manif, histoire d’être aux premières loges pour écouter la harangue des caciques rouge-vert-bleu-blanc-belge en fin de parcours. Mais voilà qu’à mi-parcours, nous croisons le groupe des jeunes FGTB dont les slogans combatifs résonnent agréablement à nos oreilles d’anticapitalistes. Nous décidons de nous joindre à ce bloc dynamique et de reprendre à l’unisson leurs appels à une véritable action et à des revendications offensives (32h, grève générale, etc…). En remontant les boulevards au pas de charge, nous en profitons pour apprécier au passage les stigmates laissés dans le paysage urbain par Paul le bâtisseur, dont la désormais célèbre tour de Pise bleu-gendarme que Jan Jambon aurait tant voulu inaugurer et qui reflète de toutes ses vitres une magnifique éclaircie dans le ciel tragique de la re-mobilisation tardive.
Merci beaucoup, maintenant rentrez chez-vous ! On vous fera signe pour la prochaine fois…
Déjà le temps est venu des discours d’avant dislocation. Je me faufile avec quelques téméraires jusque sur l’estrade des apparatchiks et nous déployons par-dessus leur tête, bien visible pour tous, notre calicot « Grève générale », chaleureusement applaudis par les premiers rangs de l’assemblée. Au micro, les orateurs se succèdent et s’indignent. On nous rabâche pour la xième fois combien les mesures gouvernementales imposées en bafouant, ô sacrilège, le sacro-saint principe de concertation sont insupportables… et moi j’en viens à me demander si ce n’est pas avant tout ce « sans respect des règles de la concertation » qui est insupportable à certains des orateurs…
En bas de la tribune et autour de moi, ça râle sec et sans se cacher…Pendant combien de temps encore les états-majors syndicaux feindront-t-ils de croire qu’il y a encore quelque chose à attendre de la concertation ?
Nous avions imposé fin décembre un fantastique rapport de force, le gouvernement n’avait encore rien voté et était ébranlé, nous avions un plan d’action clair et en front commun autour de quatre points indissociables… et ils ont accepté d’aller nous perdre à mégoter sur les détails d’un saucissonnage imposé par le patronat et le gouvernement. Entre-temps, tout ce qui était déclaré inacceptable est en train d’être accouché aux forceps. Des milliers de chômeurs sont exclus, les pensionnés sont dans la galère et les jeunes dans la misère, les prépensionnés sont devenus de vrais chômeurs, et le saut d’index sera entériné dans les jours qui viennent. Et comme si ça ne suffisait pas, le front commun est en train de voler en éclats et… Youpie ! Marc Goblet s’affiche en compagnie des socialo-libéraux qui ont défendu les plans d’austérité « parce qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement » et défriché le terrain pour ce gouvernement de malheur…
Et on nous demande de rester mobilisés ? Et on nous dit que la lutte sera longue, qu’elle ne fait que commencer ? Mais alors qu’est-ce qu’on attend, bon sang ?
Parce que là, ça commence à bien faire, non ?
Aujourd’hui, c’était un jour de manif- promenade comme presque tous les autres : qui s’est terminé sans réelles perspectives et devant une bière à la Maison des huit heures. J’ai entendu des « on nous mène en bateau » des « à force, les gars de ma boîte n’y croient plus », j’ai sursauté à l’explosion d’un pétard, je me suis tapé un fou rire quand mon drapeau s’est envolé, j’ai croisé des militants déboussolés, des délégués désabusés, un bureaucrate carrément gêné, un flic en service affichant fièrement sur son uniforme un énorme autocollant CGSP, des élus socialo-libéraux inconscients ou cyniques (mais comment osent-ils encore parader dans nos manifs ?). Et même un courageux militant du PTB qui s’est décidé à ranger son attirail à pétition et à venir me parler sans le sourire obligatoire et sans arrière-pensée racoleuse!
Mais j’ai marché parmi beaucoup de gens qui, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, sont quand même venus battre le pavé. Même s’ils en ont marre qu’on les fasse toujours reculer pour ne jamais sauter. Et qui gardent la rage au ventre et l’envie d’enfin en découdre parce que là, vraiment, ça commence à bien faire, non ?