Fin juillet, la Sibérie a connu une résurgence de germes d’anthrax, entrainant la mort de 2.500 rennes et touchant les populations locales. L’hospitalisation massive des éleveurs et éleveuses de rennes a confirmé 24 cas d’infection, et n’a pu empêcher la mort d’un enfant de 12 ans. Cette résurgence de la maladie serait due à la réapparition d’une carcasse de rennes emprisonnée dans la glace depuis au moins 1941, date à laquelle la maladie a disparue de Sibérie. La fonte du pergélisol ne fait pas réapparaitre que des momies de mammouths, mais aussi des pathogènes zombies. Ceux-ci, une fois à l’air libre, conservent leur effet infectieux. C’est le cas de l’anthrax, qui peut «survivre» une centaine d’année dans le pergélisol, mais aussi de nombreux autres pathogènes: comme le Pithovirus, un virus géant retrouvé après avoir passé 30.000 ans dans le pergélisol. Ces pathogènes zombies font courir de gros risques aux populations arctiques. Accompagnés d’un réchauffement climatique qui favorise la dispersion des virus et des vecteurs à grande échelle (tel le virus Zika, ou le choléra), ces risques inquiètent la communauté internationale, bien en dehors des frontières de Sibérie.
La fonte du pergélisol a d’autres raison de nous inquiéter
En effet, celle-ci libère une grosse réserve de méthane. La péninsule de Yamal d’où les récents cas d’anthrax sont issus, est une vaste étendue de pergélisol qui contient l’une des plus importantes réserves mondiales de gaz naturel. Ce gaz est exploité par Gazprom sous le nom de Yamal Megaproject. C’est un immense projet d’exploitation qui fournit 90% du gaz naturel russe. Il permet également à la Russie d’être la source de 40% des importations de gaz de l’Union européenne, dont 1/3 pour l’Allemagne.
Ces dernières années, la fonte rapide du sol cause une libération soudaine de méthane. Sous l’effet de la pression, le gaz emprisonné peut être violement expulsé, causant des cratères géants. Ceci est particulièrement visible dans la péninsule de Yamal. Cinq de ces cratères y ont été observés, mais ils suggèrent un nombre beaucoup plus important, de 20 à 30. Le dernier en date (dont l’apparition soudaine en 2014 a lancé de nombreuses rumeurs) mesure 30m de largeur et au moins 70m de profondeur! Lorsque ce méthane s’enflamme, celui-ci peut également provoquer une forte explosion, comme dans la péninsule de Taimyr. Ces évènements peuvent s’avérer dangereux et partiellement destructeurs s’ils touchent les infrastructures d’exploitation de gaz naturel ou les villes récemment construites pour y loger les travailleurs et travailleuses de Gazprom.
Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, bien plus que le CO2
L’emballement semble clair: le réchauffement climatique cause la fonte du pergélisol, libère le méthane, accélérant le réchauffement. En juin, la Sibérie a connu une température record en tant que mois le plus chaud jamais enregistré dans la région depuis 1880 (jusqu’à 35°C, 6°C au-dessus de la normale). On ne le répète jamais assez: les 14 derniers mois ont tous battus les records de température annuelle globale, à ce rythme 2016 sera l’année la plus chaude, battant 2015, qui battait 2014! La région arctique intervient dans de nombreux processus régulateurs de température mondiale, mais elle est aussi la plus sévèrement touchée par le réchauffement climatique. Ceci pourrait faire basculer les prédictions vers des scénarios plus critiques qu’initialement prévus.
L’anthrax est donc l’ingrédient d’un puissant cocktail: – les pathogènes zombies touchant les éleveurs et éleveuses de rennes (et l’ensemble de la population locale), mais également impactant leur commerce de viande car celle-ci peut s’avérer suspecte; – les apparitions de cratères menaçant les villes et infrastructures; – l’emballement climatique suite au dégazage de méthane, dont l’effet est si important qu’il est parfois qualifié de «bombe méthane».
Les processus écologiques, sont longtemps restés peu perceptibles par la majeure partie des citoyen.ne.s, car étalés sur une longe échelle de temps et observables seulement au travers de données scientifiques. Mais ce n’est plus le cas! Les signes d’un réchauffement climatique sont bel et bien perceptibles. La mort par anthrax d’un enfant de 12 ans, ou l’engloutissement de l’île de Tuvalu par la montée des eaux en sont des symptômes clairs. Il est temps d’agir par tous les moyens [voir La Gauche #77 et #78]. Le méthane ne doit pas sortir du sol, ni suite à la fonte du pergélisol, ni par l’exploitation de Gazprom. Les populations arctiques sont face à un dilemme de taille: si l’exploitation de gaz s’arrête cela entraine une crise économique locale et de l’Union européenne, mais si elle continue nous brulerons encore plus de gaz naturel, amplifiant les problèmes. Il est légitime d’exiger plus que de légères promesses ou que de trop faibles compromis issus de la COP21.
Article publié dans La Gauche #79, septembre-octobre 2016.