Certains d’entre vous ont sans doute lu dans leurs jeunes années Ivanhoé, le roman historique de l’écrivain écossais Walter Scott (1771-1832). Selon le penseur et critique marxiste Georges Lukács « Dans les romans les plus importants de Scott, ce sont des personnages historiquement inconnus, semi-historiques ou absolument non historiques qui jouent ce rôle de premier plan », c’est-à-dire de remplir une mission historique dans la crise que subit la population : dans le cas de Ivanhoé, antagonisme entre le peuple « anglais » dominé par les envahisseurs normands et les Normands. Cette technique fait, selon Lukács (prononcez Loukatche) la grandeur bourgeoise de cet écrivain. De tels personnages sont, parmi d’autres, dans ce cas-ci les Saxons Cedric, père d’Ivanhoé, et Robin des Bois. Je voudrais cependant m’occuper de deux personnages qui jouent un rôle important dans cette histoire romancée, bien qu’ils ne fassent pas partie de la « crise nationale » qui précéda la formation de la future nation anglaise. Il s’agit du juif Isaac de York et sa belle fille Rebecca.
À première vu le roman donne l’impression qu’il fustige l’antisémitisme de la période médiévale dans laquelle se situe l’histoire (et par extension l’antisémitisme du temps de Scott). Ainsi la belle Rebecca est intelligente, valeureuse, charitable, parée de tous les charmes orientaux et donc hautement désirable. Les préjugés catholiques d’Ivanhoé, bien que celui-ci est fortement attiré par cette créature idéalisée, interdisent qu’il s’éprenne d’elle, ce qui n’est pas facile. Quand Rebecca est condamnée par un maître de l’Ordre des Templiers (encore eux !) à être brulée comme sorcière, Ivanhoé n’hésite pas à se présenter comme le champion de celle qui lui a sauvé la vie grâce à ses connaissances médicales. La brutalité et le mépris des Saxons et des Normands envers elle et son père, « ces chiens de juifs » avec lesquels tout contact humain est tabou, sont la règle. Scott n’hésite pas de le montrer, contre l’idéalisation de la féodalité « chevaleresque » des romantiques. Mais si les qualités humaines de Rebecca ne sont pas celles que les clichés antisémites accordent aux juifs (avarice, l’obséquiosité, couardise, etc.) ce n’est pas le cas quand Scott met en scène son père, Isaac de York. Celui-ci est le portrait vivant de l’image que se fait l’antisémite du juif. Isaac de York est riche comme aucun seigneur normand ne peut l’être, vit comme son peuple de l’usure sur le dos des Nazaréens, avec des trésor cachés dans son sous-sol, ne pense qu’à l’argent au point d’oublier sa fille en danger de mort, et rejette à l’instar des chrétiens tout contacte avec les goïm, sauf évidemment « quand il s’agit de faire du commerce ».
Alors que la charitable Rebecca ne soufre pas trop des tabous religieux entre les deux communautés, celle de chrétiens et des juifs, ce n’est pas le cas non plus du Templier Brian de Bois-Guilbert. Celui-ci, qui a pourtant fait promesse d’abstention, est grand amateur de chair féminine et, épris par Rebecca, la kidnappe pour en faire sa femme, quitte à quitter l’Ordre du Temple. En fait c’est un renégat, qui se moque de foi et entretient des relations louches avec d’autres incroyants, les musulmans. Lui qui n’a pas eu des problèmes de conscience en massacrant les Sarrasins et violant leurs femmes, se retient devant la virginale Rebecca, bien que le lecteur ne s’attende à rien d’autre. On prétend souvent que les Britanniques et surtout les Victoriens évitaient toute référence aux choses sexuelles. Une lecture attentive, par exemple le roman Dracula de l’écrivain Bram Stoker, nous montre la fausseté de cette allégation.
Ivanhoé, malgré lui, comporte sa dose d’antisémitisme.