La manifestation du front commun syndical le mardi 24 a de nouveau connu une participation énorme. Comme souvent, il est difficile pour chacun de compter précisément, mais nous étions certainement au moins 60.000. Un véritable succès, d’autant plus lorsqu’on sait que la manifestation a été lancée dans un délai relativement court, au milieu de la campagne pour les élections sociales. Et par-dessus le marché dans un climat politique et social qui est encore marqué très profondément par les suites des attentats terroristes. Un climat aussi dans lequel les directions des syndicats avaient mis pour ainsi dire toutes les actions en veilleuse, et démobilisé ainsi beaucoup de membres et militants, pour ne pas dire démoralisé.
Une fois de plus, l’incroyable ténacité et résistance du mouvement ouvrier belge a été démontrée, tout comme la mesure dans laquelle des dizaines de milliers de militant.e.s actifs restent, à travers vents et tempêtes, en toutes circonstances, attachés à leurs syndicats comme les piliers centraux de la résistance sociale. Une fois de plus, on a vu comment des dizaines et des dizaines de milliers d’entre eux refusent de plier devant le rouleau compresseur de la politique d’austérité de droite, et continuent envers et contre tout à agir dans la résistance sociale.
La manifestation vient à un moment où le gouvernement Michel-De Wever semble affaibli. Après les attentats à Paris et à Bruxelles, il a essayé d’utiliser la passivité des directions syndicales, qui annulaient toutes les actions et se soumettaient passivement à la politique de sécurité répressive, pour envoyer ses attaques sur nos droits sociaux et démocratiques à une vitesse accélérée. Mais la sécurité, la politique sécuritaire et l’agitation du tambour de guerre ont aussi un prix : des millions en extra pour la police et de nouveaux avions de combat, mais en même temps, les coupes budgétaires massives du côté du personnel des prisons, des aéroports etc, ne se font pas impunément. Il y a donc eu rapidement une nouvelle série de grèves et actions sociales.
Les partis de droite du gouvernement ne se portent pas bien dans les récents sondages d’opinion non plus. La N-VA recevrait des claques importantes si des élections devaient avoir lieu maintenant et les autres partis de la majorité reculeraient aussi solidement. En Wallonie et à Bruxelles, ce serait surtout le PTB qui avancerait, en Flandre ce serait hélas le Vlaams Belang qui gagnerait en importance, encore qu’il soit question ici principalement d’un transfert vers la droite, de la N-VA (en retour) vers le Vlaams Belang. La « gauche » dans son ensemble, SP.A, Groen et PVDA, avancerait aussi en Flandre, ce qui est naturellement une remarquable nouvelle. Mais il y a donc encore clairement du pain sur la planche pour construire partout une alternative politique de gauche crédible, solidement enracinée et clairement anticapitaliste.
A bas la loi Peeters
Les directions syndicales, Rudy De Leeuw en tête, affirment partout que l’objectif par excellence des actions actuelles est de bloquer la « loi Peeters » sur la hausse de la durée du temps de travail. Une victoire contre ces plans serait certainement bonne, et un coup de fouet pour la résistance sociale. Mais même autour de cet objectif tout compte fait assez limité, il s’agit aussi de nous donner les moyens d’y arriver.
Le gouvernement aimerait en effet faire passer au parlement un tas de législation à ce sujet, de préférence déjà dans le mois d’été, avant les congés parlementaires. Compter uniquement sur les nouvelles actions de septembre (une nouvelle manifestation du front commun syndical) et octobre (une nouvelle grève de 24 heures, cette fois bien avec le soutien de la CSC-ACVV et de la CGSLB-ACLVB) ne suffit donc pas. La FGTB appelle à une nouvelle manifestation le 24 juin, mais les directions de la CSC-ACV (à l’exception des employés francophones de la CNE) et de la CGSLB-ACLVB ne veulent momentanément pas soutenir cet appel à la grève.
La CSC-ACV et la CGSLB-ACLVB pensent-elles dès lors que le gouvernement changera d’avis avec une manifestation ? Ou est-ce qu’une paire de concessions techniques de Peeters à la table de négociation leur suffirait ?
On peut le dire : des déclarations comme celles du président de la FGTB Marc Goblet ne nous inspirent pas non plus beaucoup de confiance. Dire à la RTBF le soir de la manifestation que tout ce que Peeters propose peut déjà se faire aujourd’hui, mais pour autant que ce soit « négocié avec les syndicats », est en soi peut-être bien correct, mais comme perspective, le maintien « négocié » d’un allongement de la durée du temps de travail et de la flexibilité est très maigre pour la plupart d’entre nous.
Qu’en est-il de l’exigence de la réduction du temps de travail avec maintien du salaire et embauches compensatoires, comme elle se trouvait dans le cahier de revendications du front commun syndical avant la manifestation ? Cette revendication ne peut pas y être seulement pour la propagande ou nos beaux yeux, mais doit devenir de nouveau une véritable perspective dans notre lutte, pour laquelle nous nous engageons à fond tou.te.s ensemble. Et qu’en est-il de l’exigence de retrait de toutes les mesures antisociales prises sur notre dos au cours des dernières années, par Michel-De Wever et avant eux, par le gouvernement Di Rupo (contre lequel nous avons aussi mené des actions !) ?
Sauvez nos services publics
Le fait que nombre de dirigeants syndicaux mettent uniquement la Loi Peeters comme point central menace aussi d’abandonner en grande partie les services publics à leur sort. De fait, le personnel des services publics n’est pas seulement confronté à ces mesures, mais aussi à de lourdes économies sur leur fonctionnement, à une nouvelle attaque sur leur pension et beaucoup plus encore.
Gardiens de prison, personnel des chemins de fer, contrôleurs aériens à l’aéroport de Zaventem… sont déjà entrés plusieurs fois en action au cours des dernières semaines, avec ou sans le soutien d’une partie de la direction de leurs syndicats. Les gardiens de prison francophones continuent courageusement à faire grève durant des semaines ; le jour suivant la manifestation, des grèves ont éclaté spontanément dans les chemins de fer à différents endroits contre la direction de HR-Rail qui veut déjà unilatéralement faire travailler le personnel plus longtemps, sans attendre Peeters.
Qu’attendent la CGSP-ACOD, les centrales syndicales chrétiennes et le syndicat libre de la fonction publique VSOA pour relier tous ces mouvements et les faire converger vers un mouvement généralisé ? Pour l’amélioration des conditions de travail dans tous les secteurs publics. Pour un refinancement urgent, indispensable de tous les équipements publics (chemin de fer, poste, enseignement, monde pénitentiaire…) ? Bref, pour la résistance contre toute la politique de démolition néolibérale ?
Le 31 mai, il y aura grève dans différents services publics. Il y aura aussi des manifestations et/ou des concentrations de militants à Bruxelles, Wavre (domicile du premier ministre Michel) et Gand. Hélas, ces actions se font en ordre dispersé : la CSC-ACV attire ses membres (francophones et flamands) à Bruxelles, l’ACOD (CGSP flamande) mène une action à Gand et la CGSP francophone va à Wavre . Jusqu’à présent (26 mai), la direction de l’ACOD en Flandre n’a, contrairement à ses équivalents en Wallonie et à Bruxelles, pas encore réussi à laisser un appel clair à la grève des chemins de fer le 31 mai franchir ses lèvres, quoique des actions spontanées démarrent.
Quant à la solidarité interprofessionnelle promise, il y a jusqu’ici encore peu à remarquer, les régionales ou centrales n’appellent pas encore dans les entreprises privées à témoigner un soutien ou à prendre part à la journée d’action des services publics. Il n’est pas trop tard pour amener du changement sur cet aspect, mais le temps commence à bien presser !
Construire la grève générale
Les récents mouvements spontanés et le succès de la dernière manifestation prouvent une fois de plus que les gens, les forces actives du mouvement syndical en tête, en ont marre. Marre d’encaisser des coups sans pouvoir opposer une résistance à niveau égal, marre de voir jour après jour nos conquêtes sociales et démocratiques démolies. Manifester, et même une nouvelle grève unique en juin, ne suffit plus depuis longtemps. Nous devons oser tirer les leçons du mouvement de grève en 2014.
Plaider uniquement pour une « vraie concertation sociale », comme le font De Leeuw et Leemans, après avoir constaté eux-mêmes pour la centième fois qu’avec les actuels gouvernements de droite et le patronat, ça n’a pas de sens de négocier, n’est pas seulement envoyer promener les affilié.e.s et militant.e.s syndicaux, mais carrément les prendre pour des imbéciles.
Non, nous devons oser construire un mouvement de grève générale. Un mouvement de grève générale est plus qu’une grève nationale de 24 heures. C’est un mouvement qui ose aller jusqu’au bout, jusqu’à ce que les revendications soient accordées. « Jusqu’au finish ». Un mouvement qui connaîtra aussi des hauts et des bas, où un secteur qui est déjà en action entraîne l’autre, où de nouvelles forces se mettent en mouvement pour la première fois, avec toutes les illusions et imperfections de celles-ci mais aussi avec des idées fraîches et une approche originale.
Un mouvement aussi où il doit y avoir une grande place pour l’implication active de la base et de l’arrière-ban, avec un pouvoir de décision démocratique aussi grand que possible chez les membres et militant.e.s des syndicats mêmes, et pas seulement au niveau des directions. A partir de maintenant, des assemblées générales à tous les niveaux, des entreprises à l’interprofessionnel, avec des votes démocratiques sur la poursuite des actions et le cahier de revendications !
Ajoutons à ça que nous ne devons pas seulement faire entendre notre voix à l’intérieur de nos syndicats, et certainement pas attendre passivement des mots d’ordre venus d’en haut, mais prendre nous-mêmes des initiatives où c’est possible dans les entreprises et les secteurs. Les gardiens de prisons, les travailleur.se.s des chemins de fer, les contrôleurs aériens, nous ont donné ici l’exemple. Tous les combats n’aboutissent pas à la victoire, mais ne pas combattre amène inévitablement à une défaite !
Des pièges et embuscades, mais nous pouvons
les éviter
Facilement ? Sûrement pas, il y a bien assez de dangers et de pièges sur ce chemin. Nous en citons quelques-uns :
-Nous avons déjà parlé ci-dessus du risque de division entre privé et services publics. La meilleure approche est de démarrer ensemble, et à côté de revendications unificatrices qui aident chacun à avancer, de reprendre aussi les revendications et aspirations spécifiques de toutes les composantes de la population travailleuse. A côté de ça, nous devons aussi y aller à fond pour une solidarité active aussi large que possible pour tout qui est déjà ou encore en action à un moment donné.
– Le danger de division communautaire, et même de scissions communautaires à l’intérieur du mouvement syndical. Nous voulons tout de même dire clairement ici que ce danger semblait le moindre durant le plan d’action à la fin de 2014, lorsque nous étions sérieusement en action, en Flandre aussi bien qu’en Wallonie et à Bruxelles. C’est précisément l’approche différente des syndicats eux-mêmes à la table de négociation, où chacun espère décrocher « ses » miettes, chacun avec une autre stratégie (pour autant qu’il en soit question) qui fait grandir énormément ce risque. Un nouveau combat commun, autour de revendications complètes, peut de nouveau faire disparaître ce danger à l’arrière-plan ou même le supprimer.
-Il est clair qu’à côté du fait de taper sur les syndicats qui continue sans diminuer, du moins dans certains médias mais aussi chez des politiciens, l’euro commence à tomber et que certains plaident à nouveau pour une attaque subtile. Il existe de nouveau une chance pour une grande résistance sociale, une explosion qui serait peut-être plus difficile à canaliser cette fois. Il est certain maintenant que pour énormément de syndicalistes, il est devenu clair que le redémarrage des négociations après les grèves de 2014 n’a rien donné, au contraire. La plupart des travailleurs sont, à juste titre, énormément attachés à leur syndicat, ça ne veut pas dire qu’ils sont attachés à leurs directions syndicales actuelles. Et encore moins à leur stratégie ratée de négocier à tout prix qui a apporté uniquement des défaites et un recul social.
Ici et là on plaide donc aussi pour le redémarrage de la concertation, ou même pour de petites concessions autour d’une forme de contribution sur les grandes fortunes (principalement au CD&V). Nous ne pouvons pas tomber dans le même piège qu’après le mouvement de 2014 et nous laisser entraîner dans un nouveau tour de négociations pour des miettes, ou même un nouveau « taxshift » qui a fini par se faire complètement sur le dos des gens.
Nos directions syndicales se trainent-elles de nouveau autour de la table ? Uniquement sous contrôle démocratique, jour après jour, des membres et militant.e.s qui doivent avoir le dernier mot, et pas seulement des directions des centrales. Arrêter ou « suspendre » les actions? Seulement si les revendications sont gagnées, et après l’accord de la base !
Michel-Peeters-De Wever : dégagez
Un tel mouvement de grève ne peut selon nous pas être construit uniquement autour de la revendication « A bas la Loi Peeters ». Un tel mouvement devra inévitablement poser la question du retrait de toutes les mesures d’austérité, depuis la prolongation de l’âge de la pension jusqu’aux attaques contre l’index et aux attaques contre les chômeur.se.s, malades et pensionné.e.s, tout comme la revendication d’un véritable impôt sur la fortune, la suppression des dépenses militaires et la nécessité d’une politique énergétique écologiste alternative.
Un tel mouvement doit aussi prendre sérieusement à son compte et oser mettre sur la table les revendications des femmes pour une égalité réelle et la fin de toute discrimination, des demandeurs d’asile et personnes sans papiers pour une existence digne, de toutes les couches exploitées et opprimées de la société.
Pour durcir ceci, le mouvement syndical devra, en plus de mener l’action sur le terrain social, aussi travailler à une réponse politique propre à toute la politique de droite, dans tous ses aspects.
Pour nous, et des dizaines et dizaines de milliers de syndicalistes combatifs avec nous, c’est déjà clair depuis longtemps : avec la droite, il n’y a rien à négocier, sauf le poids de nos chaînes. Ce gouvernement doit tomber, par notre lutte d’en bas. Gagnons activement à cette idée nos collègues et la grande majorité des syndicats, des mouvements comme Hart boven Hard et tout qui est victime de la politique d’austérité.
Importuner des femmes dans des manifestations syndicales :
y en a assez !
Comme lors de manifestations précédentes, au cours de cette manifestation des manifestantes femmes ont de nouveau été agressées sexuellement, physiquement et verbalement. Que les hommes impliqués aient été complètement saouls ou sobres n’y change rien, un tel comportement ne peut pas être toléré. Il est plus que temps que les syndicats indiquent clairement à leurs membres que ce n’est pas permis, et prennent les mesures nécessaires envers les membres et militants qui se comportent ainsi. Il est aussi urgent de consacrer beaucoup plus d’attention à cette question dans les formations. Il est totalement inacceptable que beaucoup de femmes ne se sentent pas ou se sentent moins en sécurité que les hommes dans des actions syndicales et menacent ainsi d’être repoussées hors du mouvement.
Les petits affrontements et le commissaire Vandersmissen
A la dispersion de la manifestation dans le quartier de la gare du Midi, il y a eu quelques accrochages avec la police. Comme l’a signalé la police elle-même, peu de syndicalistes y étaient impliqués. Le Front Antifasciste et le groupe d’investigation francophone Résistances ont à nouveau remarqué un certain nombre d’infiltrés d’extrême droite, exactement comme lors des petits affrontements après la fin d’autres manifestations syndicales.
Comme on le sait, le commissaire bruxellois Vandersmissen a été blessé à la tête. Nous n’avons aucune sympathie pour ce personnage qui, aussi ce 24 mai, s’est à nouveau comporté de manière très provocante, comme on le voyait sur différentes images vidéo. Nous lui accordons dès lors aussi rapidement que possible de vieux jours tranquilles et sûrs, en pension anticipée ou dans un autre boulot où il peut commettre moins de dégâts avec ses sympathies pour l’extrême droite et son approche dure du métier.
photos: Sophie Cordenos, Valérie Cardinal, Claudy Sempels et Dirk Cosyns
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