D’où viennent ces traités de libre-échange ?
Au-delà de l’idéologie néolibérale défendue par les élites politiques, l’apparition de ces traités s’explique par l’état actuel du système capitaliste. Les fusions d’entreprises en grands groupes monopolistiques, étroitement liés à l’oligarchie financière et maîtrisant tous les niveaux de la chaîne de production, de communication, de transport et de distribution, s’étendent aujourd’hui aux quatre coins du globe. Ces trusts se mènent une guerre permanente pour gagner des parts de marché et accroître leurs bénéfices. Et comme dans toute guerre, ce qui fait obstacle à leur objectif doit être détruit. Dans ce marché devenu mondial, la diversité des réglementations nationales, fruit du maintien des États nationaux, est pointée du doigt par ces groupes comme un frein à l’investissement et une source d’insécurité, surtout lorsque ces réglementations leur imposent une certaine redistribution locale des richesses. L’expansion aveugle de ces multinationales les pousse inexorablement à vouloir éliminer toute règle contraignante établie à l’échelle d’un ou plusieurs pays, à chercher à tout prix à imposer leurs normes au-dessus des Parlements. L’apparition des traités de libre-échange, tout comme la naissance de l’Union européenne (UE) elle-même, est l’expression du capitalisme actuel : globalisé, financiarisé et despotique. Ils s’ajoutent aux lois d’austérité et de compétitivité dans l’arsenal moderne des multinationales pour éliminer les barrières posées par les législations sociales et environnementales.
Le PS et le cdH ont-ils obtenu un « nouveau CETA » ?
Lorsque Paul Magnette a déclaré qu’il ne donnerait pas les pleins pouvoirs au gouvernement fédéral pour signer le CETA, il a soulevé une immense vague d’espoir dans la population. Cette opposition a duré 10 jours : 10 jours d’intenses pressions de la part du gouvernement fédéral et de l’UE, 10 jours pendant lesquels un sommet européen prévu de longue date a été reporté, mais 10 jours au bout desquels les parlements francophones ont finalement ratifié le traité. Le PS et le cdH ont présenté cette signature, associée à l’obtention d’une déclaration interprétative, comme une victoire. Qu’en est-il ?
- Le principe d’un tribunal d’arbitrage international (ICS en anglais) reste approuvé, même si son application est reportée. Il serait réservé aux firmes privées et leur permettrait d’exiger des millions d’euros de compensation si l’apparition d’une réglementation venait gêner la réalisation de leur profit. La volonté du PS de le composer de juges hautement qualifiés, nommés et payés par le Conseil européen n’y change quasiment rien puisque les dispositions mêmes du traité (à interpréter par les juges) ne sont pas modifiées et que le risque que les investisseu.ses.rs y recourent n’est pas diminué. A titre de comparaison, la Cour de justice européenne (CJUE) répond déjà à ces conditions : cela ne l’empêche pas de faire primer constamment les « libertés économiques » sur les droits sociaux, en particulier sur les actions de grève visant à faire respecter l’égalité de traitement des travailleu.ses.rs sur un même territoire quelle que soit leur nationalité (voir les affaires Viking, Laval et Rüffert).
- Un forum de coopération réglementaire est créé. Son but est d’homogénéiser les normes européennes et canadiennes en matière de protection sociale, sanitaire, alimentaire et environnementale afin de favoriser le commerce de produits et services. Quand bien même ne serait-il composé que de fonctionnaires (comme le demande le PS), les lobbies d’entreprises y trouveront un espace rêvé pour faire infléchir les normes existantes et prévenir toute mesure publique défavorable à leurs intérêts. Les représentants de l’agro-industrie, en particulier, intensifieront leur pression pour autoriser les viandes traitées aux hormones, les produits chimiques et les OGM encore actuellement interdits en Europe.
- Magnette assure que les droits des travailleu.ses.rs seront respectés grâce aux conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail mais ces conventions n’ont jamais empêché les multinationales d’exercer un chantage permanent à la délocalisation pour forcer l’abaissement des salaires, le recours massifs aux contrats temporaires et les restrictions des libertés syndicales.
- Le secteur agricole subira de plein fouet la concurrence. L’objectif du CETA est de maintenir des prix agricoles bas en prévoyant de relever les quotas d’importations de viande, de blé et de maïs pour plusieurs centaines de milliers de tonnes. Le gagnant : l’agro-business canadien et européen. Le traité organise également le contournement (légalisé) des normes environnementales et sanitaires ainsi que des appellations d’origine protégées (AOP) belges. Le PS et cdH se vantent d’avoir permis à la Wallonie d’activer une clause de sauvegarde (qui existait déjà) en cas de soudain « déséquilibrage » du marché agricole. Mais son caractère flou, tardif et temporaire vide cette mesure de tout effet.
- Les mutuelles se disent satisfaites d’avoir obtenu d’être explicitement retirées du champ du traité mais de très nombreux autres services d’intérêt général (transport, poste, services sociaux et de santé, gestion et protection de l’environnement…) seraient dorénavant libéralisés, avec notamment le risque de hausses de prix. Les marchés publics doivent à présent être ouverts aux investisseurs étrangers sans qu’aucun critère territorial ne puisse y être introduit pour promouvoir les circuits courts et préserver l’emploi local.
- Bien que le TTIP semble enterré pour l’instant, les filiales américaines installées au Canada pourront bien bénéficier des avantages octroyés par le CETA.
En conclusion, une fois de plus, l’UE crée de nouveaux droits pour les investisseurs étrangers sans les assortir d’aucune sanction en cas de non-respect des maigres garanties sociales et environnementales contenues dans le traité. Le « nouveau CETA » ne concrétise en rien le succès du mouvement social qui a émergé. C’est une mystification ! En 2009 et 2011, le PS était au gouvernement fédéral lorsque le mandat de négociation CETA a été rédigé ; il a ensuite dirigé ce même gouvernement durant toute la procédure de négociation : quelle action a-t-il menée à son encontre ? Paul Magnette dirige aujourd’hui le gouvernement wallon mais malgré ses déclarations offensives, il n’a finalement pris aucune décision s’opposant réellement aux intérêts des multinationales. En signant le pacte d’austérité budgétaire européen (TSCG) en 2013 et aujourd’hui le CETA, le PS démontre définitivement qu’il n’est pas un rempart contre le néo-libéralisme. A tous les niveaux de pouvoir, il collabore à la construction d’un État qui ne prétend plus simplement faciliter l’échange mais qui travaille activement à étendre et protéger la sphère marchande, par la réduction des normes et la mise en compétition généralisée des travailleurs et des services. Le PS est pleinement acquis à la gestion du capitalisme actuel : il ne faut pas compter sur lui pour engranger des avancées pour le monde du travail.
La lutte contre le CETA est-elle pour autant perdue ? Non, car ce « moment CETA » a offert une forte audience médiatique aux arguments des opposants. Aujourd’hui l’opinion publique est majoritairement opposée à ce type de traités. Après la conclusion de l’accord, un sondage RTBF attestait même que seuls 5% des sondé.e.s estimaient que le gouvernement wallon avait obtenu de vraies améliorations. La mobilisation sociale a permis de donner une grande visibilité à cette lutte et de démasquer, espérons définitivement, le PS et le cdH comme de faux alliés.
Quelle a été la force de ce mouvement ?
- Un large mobilisation populaire, dirigée par certaines associations (y compris de petits agriculteurs) et certaines centrales syndicales, même si les directions syndicales n’ont pas réellement informé et mobilisé les travailleu.ses.rs, en expliquant l’impact de ces traités sur leur secteur et leur entreprise. A cette base, se sont ensuite ralliées des mutuelles, des associations de défense des consommateurs (Test-Achat) et jusqu’à la principale organisation patronale des PME (l’UCM).
- Un mouvement ayant des bases locales, qui se sont organisées pour faire pression collectivement sur les élus locaux et déclarer leurs communes « hors TTIP ».
- Un mouvement sur la durée, ayant démarré dès 2013.
- Un mouvement massif, articulé autour d’actions radicales et perturbatrices, comme l’encerclement des sommets européens, et de multiples actions décentralisées, le tout culminant avec une manifestation de 15000 personnes en septembre 2016 ;
- Une revendication claire : « Stop CETA ! » incluant toutes les revendications sociales et environnementales. C’est en effet sur la totalité du traité qu’il faut se battre, et non pas seulement sur ses aspects les plus symboliques, comme les tribunaux d’arbitrages.
Les coalitions D19-20 et Stop TTIP sont maintenant face à des défis importants :
- Faire un bilan du « moment CETA » pour se servir des points forts et des points faibles qui en ont émergé ;
- Approfondir la mobilisation dans les couches populaires et à la base des organisations syndicales, sans oublier de fortifier les liens internationaux ;
- Promouvoir l’implication des militant.e.s dans tous les domaines de la construction du mouvement, y compris dans la définition du positionnement politique.
Pour une tout autre mondialisation
Partout dans le monde, le ras-le-bol des populations augmente. Le rejet de l’establishment est massif. Les dirigeants européens répondent par le musellement des peuples : toutes les initiatives démocratiques (Initiative Citoyenne Européenne, référendum…) sont méprisées et repoussées. Le discrédit des théories néolibérales ouvre une possibilité de changement mais le vide laissé par le manque d’alternative politique, matérialisant la solidarité entre les peuples, alimente le développement des idées et des partis d’extrême-droite. Ceux-ci mettent en avant leur opposition au libre-échange pour s’attirer la sympathie. Mais derrière cette façade, leur projet est de multiplier les cadeaux fiscaux aux entreprises et aux riches familles tout en cassant les droits sociaux et syndicaux des travailleurs, en particulier des migrants, jusqu’à les ramener au niveau de ceux des pays à bas coût. Ce programme veut encourager les multinationales installées sur le territoire national à exploiter plus durement la main-d’œuvre locale plutôt que celle d’autres pays : cela n’aidera pas les ouvrier.e.s victimes des délocalisations.
Nous devons lutter pour un projet international solidaire et anticapitaliste, contre le nationalisme. Un projet dans lequel :
- Les peuples se prononcent directement sur les traités de libre-échange par référendum – la Constitution belge doit le prévoir – et cela à la suite d’une large campagne d’information et de mobilisation contre ces traités, dans la rue, sur les lieux de travail et au sein des organisations syndicales et des mouvements associatifs ;
- Les normes sociales, sanitaires, alimentaires et environnementales sont harmonisées par le haut, en imposant, par exemple, un salaire minimum identique revalorisé sur tous les sites de production liés aux échanges internationaux : un « Tout Autre Traité », comme l’envisage le CNCD, devrait imposer ces principes.
- Ces normes priment sur le droit des investisseurs et la liberté de circulation du capital : elles sont rendues contraignantes et assorties de sanctions pour éviter la concurrence entre travailleu.ses.rs et entre systèmes de sécurité sociale et de protection environnementale ;
- La libre circulation des personnes, quant à elle, est garantie par la régularisation de tous les migrant.e.s « sans-papiers ».
Un tel projet est impossible sans une rupture avec le modèle capitaliste actuel, c’est-à-dire sans une opposition aux grands actionnaires des monopoles multinationaux, qui choisissent dans quels pays s’implanter selon le taux de profit attendu et selon leur capacité à désamorcer les luttes populaires, sociales et environnementales.
La lutte continue
La Commission européenne, fin janvier, puis le Parlement européen, début février, approuveront probablement le traité. Des actions s’organisent pour le 21 janvier et le 2 février. Ensuite, le traité devra être ratifié par les Parlements des États membres, ce qui inclut la possibilité d’un référendum aux Pays-Bas. Ce processus peut donc encore prendre des années. Renforçons l’organisation du mouvement : la lutte contre les traités de libre-échange continue !