À moins d’un mois des élections législatives en Turquie, une vague de grèves sans précédent se poursuit dans l’automobile. S’appuyant sur le syndicat jaune Türk Metal, le patronat s’efforce de limiter l’impact et l’extension du mouvement (voir l’Anticapitaliste n°290).
Dans cette situation pré-électorale, le gouvernement n’est guère pressé de déployer l’appareil répressif. Une mobilisation qui est un enjeu important non seulement en Turquie, mais aussi dans tout le secteur automobile, spécialement en Europe.
La « Chine de l’Europe »…
Depuis longtemps, Erdogan rêve de transformer la Turquie en « Chine de l’Europe ». Plus de 5 millions de personnes travaillent au salaire minimum d’environ 330 euros et, avec plus de 1 000 mortEs par an, la Turquie a le taux le plus élevé de décès par accidents du travail de toute l’Europe et la troisième place dans le monde entier.
Dans l’automobile, presque tous les grands constructeurs y possèdent une usine de production, essentiellement pour l’exportation vers l’Europe, et l’emploi y a été multiplié par 3,5 entre 2009 et 2014. La grande majorité des travailleurEs est inorganisée, avec 5 % de syndiquéEs dont la majorité dans des « syndicats jaunes ».
Rejet de la convention collective
Les négociations collectives pour la période 2015-2017 ont commencé en janvier avec une forte présence de Türk Metal et une minorité pour Birlesik Metal IS, syndicat opposé aux actuelles conventions. Ce dernier exigeait un réajustement des salaires des plus jeunes (60 à 70 % des effectifs) en raison d’un écart énorme (jusqu’à 50 %) avec ceux des travailleurs « âgés ». Le patronat veut appliquer les augmentations de salaires en pourcentage, augmentant les écarts, de nouvelles mesures de flexibilité et l’allongement de la durée d’application de la convention collective à 3 ans, rien pour les bas salaires et, pour compenser, une augmentation de salaires de 9,78 % pendant les six prochains mois.
Türk Metal a signé rapidement l’accord provoquant un énorme mécontentement, notamment chez les plus jeunes. Les mobilisations ont alors commencé, réunissant 15 000 travailleurs dans environ 50 usines. Au deuxième jour, le gouvernement a publié un décret interdisant la grève pour raison de « sécurité nationale ». Cela s’est terminé par des protocoles locaux avec des employeurs qui donnaient des avantages supplémentaires par rapport à l’accord initial de l’Union des employeurs de la métallurgie.
La grève démarre chez Renault
Dans la majorité des entreprises où Türk Metal est présent, la question des bas salaires n’avait pas été abordée. Le 18 avril, les travailleurs de Renault Bursa commencèrent les manifestations en scandant « nous ne voulons pas de syndicat qui nous vende ». Cette explosion de colère fut déclenchée après la signature chez Bosch d’une convention plus favorable (+ 60 % de salaires).
À Bursa, à Renault, 4 800 ouvriers, les salaires varient entre 450 et 700 euros. Après la mobilisation du 5 mai, la direction annonçait que tous les travailleurs licenciés seraient réintégrés, que chacun était libre de rejoindre le syndicat de son choix, qu’il n’y aurait aucun licenciement pour motif de syndicalisation, et demandait d’attendre 15 jours pour les augmentations de salaires.
Les manifestations ont continué dans les usine « contrôlées » par Türk Metal, les travailleurs démissionnant massivement du syndicat. Le 13 mai, la direction de Renault annonçait qu’il « n’y aura pas d’augmentation de salaires et, si il y a de nouveaux arrêts de travail, des licenciements seront prononcés ». Les travailleurs de l’équipe du soir ne quittèrent pas l’usine, et depuis la production est arrêtée. Dans le même temps, la direction écrivait aux grévistes : « leurs manifestations perturbent le travail, constituent un crime, et seront licenciés ceux qui poursuivent ces actions ».
Les travailleurs de Renault sont parmi les mieux organisés : dans chaque UET (unités de production d’environ 20 travailleurs), il y a un représentant qui fait partie de la délégation de l’usine. La direction Renault et même le gouverneur de la région de Bursa ont été contraints d’accepter ces délégués qui, à chaque fois, sont revenus demander l’avis aux travailleurs. Dans les jours qui ont suivi, d’autres entreprises du secteur ont rejoint la mobilisation.
Un soutien indispensable et urgent
Ce lundi 25 mai, le travail a repris à Tofas et chez Mako, avec un accord prévoyant le versement d’une prime mensuelle et stipulant qu’aucun gréviste ne sera licencié, le départ de Türk Metal et l’organisation prochaine d’élections avec de vrais représentants des travailleurs. Chez Renault, les négociations se sont poursuivies dimanche jusqu’à 3 heures du matin, la direction proposant des primes de 350 euros maintenant, 200 en fin d’année et un bonus de 170 euros, ainsi que des négociations sur les salaires dans un mois. Les salariés ont repoussé les propositions et doivent en faire de nouvelles.
L’enjeu de cette lutte est double : la question des salaires, avec le refus de la politique d’austérité « à la turque », ainsi que la liberté d’organisation, notamment syndicale. Dans un pays aux faibles traditions démocratiques, la mise en cause du syndicat pro-patronal ouvre la voie à la constitution, au renforcement d’organisations prenant réellement en charge la défense des droits des travailleurs.
Notre solidarité doit être à la hauteur de ces enjeux et de la formidable combativité déployée par ces travailleurs.
Source : NPA