Le 10 décembre
C’était donc là qu’on avait rendez-vous, à l’ombre du monstrueux pachyderme strié d’échafaudages, écrasant symbole de la justice de classe conçu par Poelaert- le « schieven architek »-, en cette journée internationale des droits de l’homme. Rassemblés devant l’escalier monumental du Palais de Justice de Bruxelles(1), pour dire à l’appel de plusieurs organisations(2) « qu’on ne lutte pas contre le terrorisme en limitant la démocratie » !
Symboliquement, l’action était scénarisée et scénographiée comme suit : un mini arc de triomphe au fronton duquel figurait « Bienvenue dans l’état d’exception » incitait les utilisateurs de l’escalier à fouler aux pieds un tapis rouge sur lequel étaient imprimés les droits et libertés démocratiques mis à mal par l’état d’urgence.
Donc à 13h, sous l’œil vigilant de quelques militaires en treillis engoncés dans leur gilet pare-balles, nous étions là, à quelques dizaines de personnes, à attendre l’arrivée des retardataires pour lancer la prise de parole. C’est alors qu’un officier de police, après un simulacre de palabre avec les organisateurs, décidait abruptement de déplacer le lieu du rassemblement (« parce qu’ici vous mettez la sécurité des usagers du bâtiment en danger » !) sur l’esplanade qui domine le bas de la ville, à quelques pas de là. Aussitôt dit, aussitôt fait, une escouade de policiers même pas robocopisés empoignent manu militari la structure métallique, la portent à l’épaule, pendant que d’autres arrachent puis roulent presque soigneusement notre tapis rouge sous les sifflets, les applaudissements narquois et le quelques « Police partout-Justice nulle part ! » proférés sans trop de conviction par les manifestants… Et c’est sous le regard médusé de quelques touristes venus se prendre en photo devant le célèbre panorama Bruxellois que l’étrange procession se déplace jusqu’au pied de l’obélisque du très laid monument en l’honneur de l’infanterie belge. Surréalisme à la belge donc ; en tête de cortège les flics débonnaires transportent la structure « Bienvenue dans l’Etat d’exception » !
Suivent, les drapeaux et banderoles des manifestants qui, entre-temps se sont heureusement multipliés. Les caméras TV se sont déplacées, profitant du socle du monument patriotique pour filmer la prise de parole au mégaphone qui se déroula dans la foulée quasi comme si de rien n’était…
Après Manu Lambert de la LDH et Joke Callewaerts de Progress Lawyers Network qui détaillèrent rapidement en quoi les 18 nouvelles mesures d’exception sont au mieux inutiles (et servent surtout de com sécuritaire au gouvernement) ou au pire représentent un nouveau coup de rabot aux principes de base de la justice en démocratie (voir doc) ce fut au tour de Herman Vanderhaegen ( LBC de l’ACV) trop rare écharpe verte du rassemblement puis de Najar Lahouari ( MWB de la FGTB), quasi seule veste rouge lui aussi, d’alerter l’assistance sur l’attaque en règle que représentent ces mesures liberticides prises tambour battant contre les travailleurs et leurs organisations dés lors qu’elles limitent de facto les actions lors des grèves et manifestations.
Une heure plus tard, tracts distribués, interviews enregistrées, drapeaux repliés, structure démontée, manif remballée, nous étions encore quelques uns au pied du monument à commenter mi figue mi raisin la frileuse mobilisation de ce 10 décembre…
Accrochée de guingois au cul du martial bas-relief, la pancarte des copains anars constatait avec humour : « La liberté se meurt en toute sécurité.
Notes :
1-Un quartier populaire tout entier – mal famé, dit-on – fit place à sa construction à la fin du XIXe siècle. Les petites gens déplacées n’eurent d’autre revanche que le sobriquet dont ils affublèrent l’architecte Joseph Poelaert dans le patois bruxellois de la Marolle : schieven architek, qu’on pourrait traduire à peu près par « architecte de guingois ».
2-
Organisé par Ligue des droits de l’Homme, Syndicat des Avocats pour la Démocratie, Progress Lawyers Network, CNAPD, Vrede, Bruxelles Laïque, Campagne Stop Répression, Liga voor mensenrechten, CSC-BHV, Centrale générale de la FGTB, Liga voor mensenrechten, Climate Express, FGTB Métallurgistes Wallonie Bruxelles, CNE, MRAX et CADTM.
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