Une nouvelle épreuve de force a débuté en Belgique entre le gouvernement de droite et le mouvement syndical. Le 24 mai, 80.000 personnes ont manifesté à Bruxelles à l’appel du front commun FGTB-CSC-CGSLB ; le 31 mai, la fonction publique sera paralysée par une grève nationale ; la FGTB appelle le 24 juin à une grève de 24 heures appuyée par la Centrale Nationale des Employés (principale centrale du syndicat chrétien CSC dans la partie francophone du pays) ; une nouvelle manifestation de masse et une deuxième journée de grève sont planifiées pour la rentrée sociale.
Les mobilisations sont dirigées en premier lieu contre les projets de flexisécurité du ministre de l’emploi et du travail. Comme Valls et Hollande, le démocrate-chrétien Kris Peeters veut porter le fer dans l’organisation du travail : annualisation du temps de travail (jusqu’à 45 heures/semaine), contrats intérimaires à durée indéterminée, remise au travail des malades de longue durée,… Mais le mécontentement dans la population est général : il porte aussi sur l’allongement de la carrière, les exclusions du chômage, et autres mesures de régression qui contrastent avec les cadeaux aux riches et aux patrons.
Face au rouleau compresseur néolibéral, la vague de luttes de l’automne 2014 avait mis en lumière la force exceptionnelle du syndicalisme belge et sa capacité de porter une alternative. Trois mois de mobilisation avaient pourtant fini en queue de poisson, les directions syndicales décidant unilatéralement de tout arrêter « pour donner une chance à la concertation ». Celle-ci n’a strictement rien apporté. Va-t-on revivre le même scénario ? Telle est la question que se posent beaucoup de syndicalistes.
Les appareils restent mobilisés avant tout en défense de la concertation, qui leur permet d’accompagner l’austérité en limitant les dégâts et en maintenant leur puissant dispositif d’encadrement de la classe ouvrière. Mais le gouvernement n’en veut plus : grisé par ses succès et profitant du climat plombé par les attentats, il veut non seulement transformer les sommets syndicaux en courroies de transmission de l’austérité mais aussi pousser les délégations d’entreprise dans les cordes en mettant les piquets de grève hors-la-loi et enlevant aux délégués le droit de s’opposer à la flexibilisation et à la précarisation du travail. C’est une attaque frontale, d’inspiration thatchérienne.
Face à cela, la stratégie syndicale de concertation est en crise et celle-ci se manifeste à deux niveaux, qui sont combinés : le retour des débrayages spontanés, d’une part, et la cacophonie dans les prises de position des structures syndicales à tous les niveaux, d’autre part.
Les contrôleurs aériens se sont croisés les bras spontanément pendant plusieurs jours après les attentats, pour dénoncer leurs conditions de travail. Les gardiens de prison francophones sont en grève depuis 5 semaines contre le manque de personnel. Les cheminots francophones les ont rejoints depuis le 25 mai, contre un diktat de la direction qui veut allonger leur temps de travail avec perte de salaire. Ces mouvements spontanés en front commun ont amené la CGSP wallonne (centrale FGTB du secteur public) à adopter une résolution qui couvre toutes les actions au-delà du 31 mai. On parle de grève au finish. Typique du mouvement ouvrier belge, la dynamique par laquelle la radicalisation à la base se répercute au sein des instances syndicales est donc en marche.
Pour le moment, elle se déploie quasi exclusivement dans le secteur public au Sud du pays, où flotte un parfum de grève générale pour chasser le gouvernement Michel. Du coup, la polarisation entre gauche et droite au sein des syndicats s’aiguise et prend un tour communautaire. Si les appareils les plus droitiers en Flandre ne sont pas débordés à leur tour, on peut craindre la déchirure de certains secteurs syndicaux. Celle-ci aurait des conséquences graves pour tous les travailleur-euse-s. En particulier, elle rapprocherait la classe dominante de son objectif stratégique : le démantèlement de la sécurité sociale – combiné éventuellement à sa scission communautaire, qui est exigée par les libéraux-nationalistes de la NVA.
Le gouvernement mise sur le décalage Nord-Sud pour passer en force et infliger à la classe ouvrière une défaite majeure. Il reste donc sourd aux appels d’une partie de la presse bourgeoise. Loin de lâcher du lest, de « reconnaître ses erreurs » et de chercher à « rendre le sourire aux travailleurs (et à tous les Belges) », comme l’y invitait récemment le quotidien financier L’Echo, le pouvoir campe sur ses positions, menaçant même de sanctionner les grévistes. Un jeu dangereux. Car si le contrôle des appareils est plus fort au Nord du pays, le mouvement de 2014 et la manifestation du 24 mai montrent que la colère des travailleurs n’est pas plus faible qu’au Sud.
Près de deux ans après la pantalonnade de décembre 2014, la combativité des secteurs en lutte ouvre la possibilité pour une revanche des travailleur-euse-s. Sera-t-elle saisie ? Cela dépend largement de l’initiative des syndicalistes de combat. Les obstacles dans les structures syndicales sont nombreux (et le PTB, avec sa ligne suiviste, ne cherche nullement à les surmonter). Mais la pression monte : faisant volte-face, le responsable des cheminots flamands de la CGSP vient de se rallier à l’appel à la grève des chemins de fer le 31 mai. Si les dominos devaient continuer à tomber de la sorte, le climat social pourrait changer du tout au tout, et même très rapidement.
écrit pour le journal du NPA
photo: Sophie Cordenos