Chroniqueur scientifique de Libération, Sylvestre Huet dirige la collection « 360 » aux Editions La ville brûle. Le dernier ouvrage paru traite de la situation actuelle de la biodiversité.
Les livres publiés dans cette collection sont organisés selon le même principe : une réunion de trois ou quatre spécialistes du thème traité qui, sous la conduite de Sylvestre Huet, débattent des aspects les plus saillants de la question. Il s’agit là d’une forme assez vivante de vulgarisation scientifique, qui échappe à la lourdeur pédagogique d’autres présentations. Il faut néanmoins avoir une vague idée de ce dont il retourne, car ce ne sont pas des ouvrages d’initiation.
Moment de l’extinction et dette d’extinction
Annoncé avec le titre Biodiversité : vers une sixième extinction de masse ?, ce livre est paru sans son point d’interrogation. Un petit changement qui renvoie directement à la deuxième question débattue, celle de « la difficile mesure de l’extinction », à laquelle nous avions consacré une partie de notre dossier sur la biodiversité (no 247, 29.4.2014). Les quatre scientifiques débatteurs sont Raphaël Billé (coordinateur de projet au Secrétariat général de la communauté du Pacifique à Nouméa), Phlippe Cury (directeur du Centre de recherche halieutique méditerranéenne et tropicale de Sète), Michel Loreau (écologue et directeur de recherche au CNRS) et Virginie Maris (philosophe de l’environnement). C’est à Michel Loreau que l’on doit la précision suivante concernant le moment présent de l’extinction de la biodiversité :
« Il y a effectivement un consensus sur le fait que nous entrons dans une extinction de masse… si tout se poursuit comme actuellement. Sur ce point, il n’y a pas de débat. Le débat peut porter sur le fait de savoir si on est déjà entré dans cette phase ou pas. Toutes les projections montrent que nous y entrons et que cela risque de devenir catastrophique. Le débat scientifique est de savoir à quel terme cela se joue. Est-ce que l’on peut déjà parler de sixième extinction de masse ou bien faut-il attendre encore un peu pour le dire ? C’est une question d’échéance, mais pas une question de réalité du phénomène.»
Il définira plus loin une notion intéressante, qui permet de tenir compte de la durée dans le processus d’extinction d’une espèce, celle de « dette d’extinction » : « L’extinction globale d’une espèce, comme on l’a déjà mentionné, est un processus très long et très complexe. Il faut d’abord que tous les individus d’une population disparaissent – il s’agit alors d’une extinction locale. Puis que l’ensemble des populations d’une espèce ait disparu de manière certaine pour aboutir à une extinction globale. A moins d’une destruction complète d’un habitat – ce qui arrive de plus en plus malheureusement – c’est donc un processus extraordinairement long et complexe. L’extinction est comme une lente agonie qui peut prendre des décennies, voire même des siècles, dans des conditions normales, pour arriver à son terme et de nombreuses espèces qui vivent encore à l’heure actuelle sont en réalité d’ores et déjà condamnées à l’extinction; nous avons donc une « dette d’extinction » vis-à-vis des générations futures, et c’est un problème qui n’est sans doute pas suffisamment mis en exergue.»
La place du capitalisme
Difficile, à travers quelques brefs extraits, de donner une idée de la richesse des questions abordées et des réponses apportées. Mentionnons cependant, à titre d’exemple, la différence qu’il peut y avoir entre les destructions environnementales antérieures au capitalisme et celle d’aujourd’hui, telle que l’analyse Virginie Maris :
« D’un point de vue historique, si l’on compare les destructions actuelles en milieux tropicaux au peuplement européen ou aux grandes colonisations, on dispose, aujourd’hui de moyens techniques d’exploitation et de destruction qui sont infiniment plus puissants. Lorsqu’il s’agit d’abattre une forêt, on peut faire en une journée ce qui aurait pris trente ans il y a cinq siècles !
Et surtout, la destruction du milieu ne correspond plus du tout aux mêmes logiques vivrières que du temps des grandes migrations humaines. Longtemps, on a demandé aux écosystèmes de produire ce qui allait être consommé par les habitants. Aujourd’hui, dans les zones tropicales, la déforestation n’est pas un enjeu de subsistance, ce n’est pas la pression des populations locales qui est significative, mais le fait que l’on exploite des milieux pour exporter d’abord le bois puis, après que la forêt a été remplacée par des cultures ou des pâturages, les produits agricoles sont envoyés sur les marchés mondiaux.
L’ampleur et la distribution de l’impact écologique sont donc radicalement différentes […] ».
Evidemment, lorsqu’il s’agit, dans la deuxième partie de l’ouvrage, de partir à la recherche des causes profondes de la biodiversité, c’est-à-dire de s’avancer dans un domaine qui est habituellement celui des sciences dites humaines, le pied de nos scientifiques se fait moins sûr et la démarche plus hésitante. Donner sa juste place — soit la première — au capitalisme dans la situation actuelle ne va pas de soi, même s’il arrive à Virginie Maris (souvent) et à Michel Loreau (quelquefois) de le faire.
Les questions abordées
Les océans : de la surexploitation des ressources aux transformations des écosystèmes
La difficile mesure de l’extinction
Les mécanismes de l’extinction des espèces
Le futur de la biodiversité
Les causes profondes de la sixième extinction de masse
La défense de la biodiversité
Les actions de conservation ou de protection de la biodiversité
Marchés, subventions et monétarisation de la biodiversité
Quels enjeux de société
Eviter ou limiter la sixième extinction : utopie ou réalisme ?
Source : solidaritéS
Photo : Thierry Tillier