Au Brésil, grand nombre de politiciens, de chefs d’entreprises, de fonctionnaires haut placés, de patrons des médias… ont vécu ce week-end un certain suspense. Ils attendaient la divulgation de la liste rendue publique par le Tribunal Suprême Fédéral, des hommes et des femmes politiques inculpés dans le scandale de la plus importante entreprise du pays, la Petrobras. Il s’agissait de leur implication ou pas, dans l’opération « Lava Jato », un mécanisme de lavage d’argent. Des responsables de six importantes entreprises de construction mécanique versaient des liquidités à des politiques ou à des intermédiaires, l’équivalent de 1% à 5% du montant des contrats, à travers des fausses factures ou à des fausses sociétés, pour obtenir des contrats avec la Petrobras. Opérations parfaitement illégales. Système bien rodé et structuré autour de trois activités : l’alimentation des pot-de-vin, la distribution des valeurs et les tâches internationales. Selon le Parquet fédéral, chaque activité était sous la direction de partis politiques eux aussi directement impliqués.
Ce vendredi 6 mars, la Cour Suprême fédérale a autorisé l’ouverture d’une enquête contre 47 hommes et femmes politiques – 22 députés, 12 sénateurs, 12 anciens députés, un ancien gouverneur, membres de six partis politiques différents, dont le Parti des travailleurs, parti de la présidente Dilma Roussef – soupçonnés d’avoir participé à l’opération « Lava Jato ». Parmi les inculpés : le président du Sénat, Renan Calheiros (PMDB, de l’État de Alagoas), le président de la Chambre de députés, Eduardo Cunha (PMDB du Rio de Janeiro) et de l’ex-gouverneur du Maranhão Roseana Sarney (PMDB du Maranhão). Selon la police fédérale, cette corruption a atteint des transactions s’élevant à presque 3 milliards d’euros et servant au lavage d’argent et aux rétrocommissions.
Ce système dure depuis plus de dix ans et constitue probablement le cas de corruption le plus important de l’histoire du pays. Précisément parce que le déroulement des faits pèsent sur la politique intérieure. Jusqu’alors, la parution des plaintes de corruption servaient souvent à détruire la place ou le rôle d’une personnalité politique, à ruiner les intérêts économiques de certaines familles, et non pas à construire des mécanismes de lutte contre la corruption. Le « Lava Jato » atteint l’un des secteurs clés de l’économie du pays. Les 22 grands patrons des grands groupes nationaux, bastions de l’économie capitaliste, sont eux-aussi inculpés et mis en prison, accusés d’utiliser des fonds publics pour la constitution d’organisations criminelles.
Cette situation aussi inédite s’explique-t-elle par l’arrivée d’une génération de magistrats assoiffés de justice et de mesures réduisant les inégalités sociales ou bien s’agit-il d’une nouvelle étape d’accumulation d’expérience de lutte et de résistance du mouvement social exigeant des réponses auprès des représentants de l’État ?
A qui profite le scandale ?
Le Brésil vit actuellement les débuts d’une crise de récession provoquant une dispute violente entre le capital international et le capital national. Dans les financements de ses projets, la Pétrobras est au centre de cette dispute. Cette firme nationale, implantée internationalement, est spécialisée dans l’exploitation énergétique et accumule d’énormes profits grâce à l’exploitation exclusive du pré-sal. Cette réserve est convoitée par d’autres multinationales, des industries consommatrices de combustibles, des banques, des compagnies d’assurance, des fournisseurs de biens et des services intéressés soit par sa privatisation, soit par l’ouverture à la concurrence de l’extraction du pétrole. Le scandale du « Lava Jato » reflète la fragilité des politiciens chargés du destin du pays.
Parallèlement, le sud-est brésilien vient de vivre une profonde crise de manque d’eau et d’énergie électrique dans les foyers, causée par les activités de l’agro-business, le plus grand consommateur d’eau et exterminateur des forêts, causée aussi par les entreprises de construction des méga-projets. En somme, l’approvisionnement de l’énergie dans le pays est totalement subordonné aux firmes multinationales qui, en réalité, définissent à qui vont et où se trouvent les besoins.
Une crise politique majeure vient donc se juxtaposer aux autres crises – économique, sociale, environnementale – et le PT, qui gouverne depuis 12 ans, étale au grand jour une politique totalement soumise aux intérêts du capitalisme international. Lors de son investiture, Dilma Roussef a nommé des ministres liés au capital financier et industriel, a édité des mesures draconiennes, augmentant les taux d’intérêts pour satisfaire le capital financier, autorisant l’augmentation du prix de l’essence, de l’électricité, ordonnant des coupes généralisées dans les dépenses publiques (1/3 dans les universités). Son gouvernement, composé en majorité de ministres de droite, a complètement ouvert les portes aux intérêts du capital au détriment des besoins de la majorité de la population.
Actuellement, une polarisation se développe entre ceux de la droite qui veulent faire tomber le gouvernement Dilma par un impeachment, méthode pour reprendre la direction du pays, et hégémonisés par le PSDB ; et ceux qui, autour du PT, martèlent que tout cela n’est qu’une manœuvre de la droite, qu’il y a menace de coup d’État et qu’il faut absolument défendre la Présidente.
Les premiers convoquent une manifestation le 15 mars dans plusieurs villes du pays pour créer un rapport de forces contre le PT, sous le mot d’ordre « contre le gouvernement Dilma, impeachment ». La CUT (Centrale unique des travailleurs), à son tour, convoque aussi une manifestation le 13 mars, « jour de lutte contre l’impeachment, pour la défense du mandat constitutionnel de Dilma, en défense de la Petrobras, contre la corruption… ». La distance entre les paroles de la gauche gouvernementale et ses actes, font que ce discours s’adresse aux murs.
L’enjeu se situe dans la capacité de la population à comprendre qu’une alternative crédible ne peut passer par ces partis et que les révoltes qui se sont déroulées durant l’été 2013 doivent reprendre.
Le contexte brésilien laisse ouvert le champ à l’action de la gauche anti-capitaliste. Le Parti socialisme et liberté (PSOL) pourrait remplir l’espace de l’alternative en lien avec les mouvements sociaux, avec les syndicats, avec les mouvements des indigènes, des femmes, des noirs, des anti-nucléaires… Dénoncer le régime bourgeois de gouvernance, proposer de réelles mesures pour une autre répartition des richesses, un plan d’urgence … les thèmes ne manquent pas !
Beatrice Whitaker, Recife, 10 mars 2015.
Source : ENSEMBLE