La victoire du Brexit entraîne une déstabilisation importante de l’organisation des classes dominantes de l’Union européenne. Les grandes manœuvres sont donc déclenchées, où chaque secteur du capital cherche à tirer son épingle du jeu.
Le premier sujet des manœuvres concerne le processus de retrait de l’Union européenne du Royaume-Uni. Il s’agit de la mise en œuvre du fameux « article 50 » des traités européen qui organise la sortie d’un pays membre à sa demande. Un tel processus visant à remplacer le cadre multilatéral de l’UE par une multitude de traités bilatéraux, est très complexe, mais ne peut pas dépasser deux ans. Dans la mesure où ce sera au successeur conservateur du Premier ministre britannique David Cameron de déclencher le processus, les autorités britanniques sont tentées d’utiliser l’entre-deux actuel pour retirer le plus possible d’avantages des négociations avec l’Union européenne.
Comme dans ce processus complexe, les intérêts croisés entre États européens sont aussi fort que les sujets de concurrence, les dirigeants de l’UE ont commencé à se diviser dès le lendemain du référendum. D’un côté ceux, en particulier du nord de l’Europe, favorables à permettre aux dirigeants anglais de s’en sortir au mieux, en leur donnant tout le temps nécessaire pour négocier, voire limiter au minimum les effets du référendum. De l’autre, ceux comme Hollande ou Renzi… et Tsipras, qui veulent aller vite et « faire payer » au capitalisme britannique le résultat du référendum pour empêcher la Grande-Bretagne d’obtenir de trop bonnes conditions comme un dumping fiscal renforcé, afin de dissuader d’organiser des référendums de sortie de l’UE dans d’autres pays… et au passage tenter de profiter des éventuelles conséquences négatives du Brexit sur la place financière de la City. Entre les deux, Merkel cherche à maintenir les meilleures conditions de stabilité de l’UE au bénéfice du capitalisme allemand. Au sommet européen du mercredi 29 juin, la fermeté et l’exigence de décisions rapides du gouvernement britannique ont dominé, mais la route du repositionnement de la Grande-Bretagne par rapport à l’UE est encore longue !
Le Royaume-Uni « leave »… mais le capitalisme « remain » !
Par ailleurs, la sortie de l’Union européenne, a fortiori pour un État à l’économie aussi imbriquée dans l’UE, est très loin de signifier une rupture avec ses principes de fonctionnement. Ainsi, sous des formes diverses, les États européens non membres de l’UE comme la Norvège, l’Islande ou la Suisse, ont été obligés au cours des années de signer des accords bilatéraux impliquant la transcription automatique dans leur droit national et commercial de la plupart des directives de l’UE.
L’organisation de la libre circulation des marchandises et des capitaux est une pression écrasante de l’ensemble des structures du capitalisme mondialisé. La libre circulation des personnes à l’intérieur des espaces intégrés, associée à l’établissement de murs toujours plus étanches à l’extérieur, est également une contrainte à laquelle il est difficile à un quelconque État d’échapper…
Fuite en avant des classes dirigeantes
Mais évidemment, la crise de l’Union européenne, que le Brexit accélère, va bien au-delà de ces problèmes de relations économiques entre la Grande-Bretagne et le reste de l’UE. Dans une Europe dont la position internationale s’affaiblit à tous les niveaux, elle manifeste une fragilité supplémentaire face à tout rebond de la crise mondiale, elle matérialise l’impasse du proto-état capitaliste européen, et surtout elle signe l’illégitimité profonde des orientations de cette construction.
En réaction, les couches dirigeantes européennes cherchent à reprendre l’offensive sur le sens de l’UE, mais chaque initiative ne fait que montrer les plaies béantes : ainsi Jean-Marc Ayrault et Sigmar Gabriel, le ministre et dirigeant principal du SPD allemand, ont dégainé un texte commun en réaction au Brexit, texte se voulant social-démocrate et plaidant pour une intégration renforcée d’un « noyau dur » européen autour de projets d’investissement partagés. En réponse, le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble propose quant à lui d’approfondir la soumission des budgets nationaux aux critères de Maastricht sur les finances publiques, la dictature financière !
Toutes les autorités de l’UE sont conscientes que si une relance de « l’intégration » est nécessaire pour éviter un effritement mortifère tant au niveau politique qu’économique, la crise même de légitimité de l’UE rend totalement illusoire sa validation démocratique dans la période.
Rompre avec leur Europe pour construire la nôtre
Face à ces convulsions et à ces fuites en avant des classes et partis dirigeants en Europe qui nous mènent aux pires catastrophes, il est clair pour nous que la solution ne réside ni dans l’idéalisation des passés nationaux ni dans une énième réforme de l’Union européenne.
Ses institutions antidémocratiques et vouées à la défense d’une minorité de possédants doivent être défaites, mais pour laisser la place à une Europe libérée de l’exploitation et de l’oppression. Seule la construction concrète de la convergence des peuples, européens et non européens, autour de leurs aspirations, de leurs revendications sociales, démocratiques, environnementales, nous fera avancer dans ce sens.
Source : NPA