90 jours après la fuite de Compaoré, aidé par ses complices du gouvernement français, où en est-on au Burkina ?
Essai de bilan d’étape :
La situation post insurrectionnelle est complexe. Le gouvernement et le Conseil National de Transition (CNT), ont été mis en place. Toutes les assemblées territoriales ont été dissoutes. La plupart étaient dirigées par des équipes du CDP, le parti de Blaise Compaoré. Des délégations spéciales s’installent peu à peu, composées de fonctionnaires des différents services (santé, agriculture…), de « personnalités de la société civile »….
La mobilisation n’est pas retombée ou pas complètement, c’est un aspect très positif. Ainsi, par exemple, deux ministres ont été contraints à la démission. L’un, celui de la Culture, trois jours seulement après sa prise de fonction. Il avait été un des procureurs dans l’affaire Norbert Zongo, qui avait décrété un non lieu. L’indignation populaire a obtenu son départ. L’autre, celui des Transports et des Infrastructures, après une plus longue mobilisation, des agents de son ministère notamment. Il a un passé peu clair, il a été emprisonné aux Etats-Unis pour des soupçons de malversations, il est accusé de pratiques non transparentes dans l’attribution des premiers marchés. Exit donc !!
Des directeurs d’organismes divers, souvent soupçonnés de corruption, de prévarication ont été poussés vers la sortie par les travailleurs, les usagers. Un néologisme est apparu que certains essaient de combattre : la « ruecratie ». Si parfois on peut enregistrer quelques excès, la plupart du temps la mobilisation se fait de façon très responsable, ce qui n’exclut pas la détermination. Pour l’anecdote, j’ai en mémoire les bouchers de Bobo Dioulasso qui sillonnaient la ville en mobylette avec leurs outils de travail à la main : les couteaux, machettes et autres fouets de bouvier avaient de quoi impressionner. Mais il n’y a eu, à ma connaissance, aucun incident et ils ont obtenu le départ du directeur des abattoirs sur lequel pesaient les accusations de mauvaise gestion, voire de corruption.
Les syndicats jouent aussi leur rôle en continuant à appeler à l’action dans différents domaines, en particulier pour une baisse du prix des carburants. D’autres organisations de la société civile sont aussi en mouvement. La volonté s’exprime pour que justice soit faite afin d’élucider les crimes concernant Thomas Sankara, Norbert Zongo et autres victimes, y compris celles de l’insurrection.
Malheureusement, d’autres sujets pourtant décisifs paraissent absents du débat public. En tout cas, ils sont plutôt inaudibles. On peut citer :
– la question de la dette et d’un moratoire à exiger pour faire un audit à son sujet et d’en récuser au moins une fraction.
– la non ratification des accords de partenariat économiques (APE) imposés par l’Europe et qui sont une catastrophe pour l’agriculture africaine. Héritage de l’ancien régime, le gouvernement et le Conseil National de Transition peuvent très bien refuser ce cadeau empoisonné.
– le retour sur les lois foncières et semencières que le gouvernement Compaoré s’apprêtait à adopter. Comme hélas la majorité des gouvernements africains, celui de Compaoré avait commencé à modifier les lois burkinabè pour les adapter à la stratégie de l’agro business. La privatisation des terres et des semences est essentielle à l’épanouissement de ce modèle d’entreprise en Afrique. L’accaparement des terres est inscrit dans un tel projet. Ce serait long à développer, mais on peut trouver sur le site de Grain une étude récente très fine sur ce sujet. GRAIN est une petite organisation internationale qui soutient la lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes alimentaires fondés sur la biodiversité.
– le grave problème de l’extractivisme, de l’or en particulier. Des mouvements sociaux ont lieu sur les sites de production, pour l’amélioration des conditions de vie et de salaires. Mais c’est l’ensemble du système qui mérite d’être revu et corrigé.
Les élections présidentielles et législatives ont été fixées pour octobre. C’est une bonne chose. Mais des questions « techniques » sont à régler absolument, car elles conditionnent fortement leur caractère démocratique :
– La taille des circonscriptions. Si le système électoral était formellement de type proportionnel, la taille réduite des circonscriptions électorales produisait un effet de type majoritaire. Il faudrait revenir à ce qui existait en 2002 où le Faso avait été redécoupé en 13 circonscriptions électorales, ce qui permettait d’élire en moyenne 7 députés par circonscription. Ceci permettrait une représentation des différentes sensibilités. L’enjeu est démocratique mais pas seulement. La stabilité post électorale en dépend également. Le Faso vit en effet une phase constituante qui se prolongera au-delà de la période de la transition.
– Les moyens mis à disposition de la CENI pour s’assurer du plafonnement des dépenses électorales, en particulier pour les présidentielles. A ce sujet, l’UE a un rôle essentiel à jouer en accompagnant le processus en moyens financier et humain.
Bien évidemment, les grandes manœuvres des partis politiques ont commencé. La candidature d’un ancien dignitaire du régime, bien en cour au niveau international, le général Djibril Bassolé, Ministre des Affaires Etrangères sous l’Ancien Régime, est soi-disant « réclamé » par une jeunesse autoproclamée. On peut se demander où cette « jeunesse » trouve les moyens financiers pour organiser meetings et campagnes d’affichage à ce sujet… Les autres partis de droite, MPP (qui se définit comme social démocrate) et UPC (un libéralisme sans complexe) s’activent à tous les niveaux. Le camp sankariste travaille à son unification.
D’ici à octobre, beaucoup de choses peuvent encore se produire, rien n’est joué, même si un tournant « révolutionnaire » semble peu probable.
Source : ENSEMBLE