Caterpillar s’ajoute donc à la (longue) liste des fermetures et restructurations. Ce qui est frappant, en ne remontant pas très loin pourtant, c’est qu’à chaque fois la soudaineté des annonces de licenciements en masse, conduit à les présenter comme des accidents inévitables, voire naturels. La CSC nationale parle même d’apocalypse dans un communiqué… Comme si les « Monsieurs Thompson » qui ont été diligentés dans des centaines d’entreprises pour annoncer ces tristes nouvelles, étaient les envoyés de Dieu, au jugement duquel nul ne peut se soustraire…
Faisons les comptes : entre janvier 2010 et juin 2016, en Belgique, 60.627 travailleurs ont fait l’objet de licenciements collectifs dans 735 entreprises. Et plus de 180.000 ont été victimes d’une faillite. Derrière ces chiffres il y a des visages, des femmes des hommes. Et derrière ces restructurations, ces fermetures, il y a aussi des noms : Ford Genk, Solvay, Carrefour, NMLK-Duferco, Carsid, Caterpillar, Arcelor Mittal, Mediamarkt, Danone, ING, Belfius, … Ce sont les Conseils d’Administration et les actionnaires de ces entreprises qui décident de jeter à la rue des travailleurs-euses. C’est la sauvagerie quotidienne d’un système, le capitalisme, qui est à l’œuvre. Au passage, il faudrait peut-être souligner à quel point « la loi du marché », cette main invisible sensée réguler « harmonieusement et naturellement » l’économie, est tout sauf une réussite.
« On a tout accepté… »
Autres similitudes entre les différentes « catastrophes », les travailleurs ont le sentiment d’avoir été trompés ; car avant la décision fatale, ils ont accepté tous les sacrifices pour « sauver » l’entreprise, bien plus que les actionnaires qui en voulaient toujours plus. A Arcelor Mittal à Liège, « les travailleurs ont accepté depuis 2008 des mesures en matière de flexibilité, de transferts, de gels de salaires ; ils ont dit oui à tout et ça n’a pas suffi », explique en 2011, Jordan Atanasov, secrétaire général de la CSC-Métal.
A Caterpillar, se souvient un ancien permanent, il a fallu attendre « 1973, alors que le siège belge existe depuis 8 ans (plus de 5000 travailleurs étant occupés), pour que la première délégation syndicale ouvrière de l’entreprise décide de déposer un cahier de revendications. La riposte ne se fait pas attendre : sur ordre des Etats Unis, l’entièreté de la délégation est licenciée. »
Et en 2013, après une restructuration qui coûte 1.400 emplois directs (avant le plan de restructuration, 400 Contrats à Durée Déterminée sur les 600 n’ont pas été renouvelés), l’entreprise devient un modèle de flexibilité, le temps de travail a été annualisé, les heures supplémentaires sont obligatoires le samedi ; « C’est un avant-goût de la loi Peeters » estime un haut responsable de la FGTB. Là aussi les travailleurs « ont tout donné » se fiant, à contrecœur certes, aux discours de la direction. « Ces suppressions d’emplois se situent dans le cadre plus large d’un plan industriel qui vise à recentrer vers le marché européen l’activité du site et à assurer sa viabilité pour les prochaines années, assure Nicolas Polutnik, l’administrateur délégué de Caterpillar Belgium. Le même qui avoue « …choisir la magnitude à donner au séisme. Je préfère annoncer 1.400 pertes d’emploi qu’avoir à annoncer la fermeture pure et simple de l’usine et le licenciement des 3.700 travailleurs. »
Même son de cloche en 2012 quand le géant américain Ford décide la fermeture totale de son siège de Genk : « Depuis des années, les travailleurs font des sacrifices en tout genre pour soi-disant assurer l’avenir de l’usine. Lors de la dernière convention collective de travail en 2010, ils ont même perdu 12%. Cela fait cinquante ans que les travailleurs de Genk produisent des voitures de très haute qualité et produisent d’énormes profits pour l’entreprise. En 2011, Ford a réalisé dans le monde un profit record de 8 milliards d’euros. Cette année, elle s’attend à 6 milliards, et ce malgré les pertes en Europe. » Le citron sera pressé jusqu’au bout : à 6 mois de la fermeture, la direction de Ford Genk demande à ses travailleurs de faire des heures supplémentaires afin de compenser un arriéré de production suite à une panne dans un atelier de peinture. Le 18 décembre 2014, l’usine ferme définitivement ses portes avec 10.000 emplois, directs ou indirects qui s’envolent.
Tout ça pour ça ?
Combien parmi ces 250.000 licenciés en 6 ans ne sont pas posé cette question : à quoi ont abouti nos sacrifices ? Certes, certains ont pu « rebondir », comme dit encore aujourd’hui le patron de la FEB, mais pour un qui retrouve du boulot (à quel prix ?) il y a un jeune qui n’en trouvera pas et la pression est mise sur tou-te-s pour qu’ils/elles acceptent n’importe quelles conditions. Le cycle infernal des salaires à la baisse, de la flexibilité, de la concurrence entre tous.
- Mark Thompson, le directeur financier du groupe Caterpillar qui est venu annoncer la fermeture de Gosselies.