Sept Belges sur dix estiment que les économies ne sont pas équitablement réparties. Il y a peu de différences entre flamands et francophones à ce sujet. Six Belges sur dix ne soutiennent pas les coupes dans les services publics. Et 60 % estiment que le gouvernement écoute trop peu les citoyens (sondage du Nieuwsblad). Mais Charles Michel n’en a cure : il ne changera pas de politique, n’ouvrira pas de « vraie concertation » et ne fera pas de concessions. Il l’a dit très clairement dans les médias.
Le premier ministre se réfugie derrière sa « légitimité démocratique ». Mais de quelle légitimité parle-t-on ? Plusieurs mesures phares de ce gouvernement – notamment l’allongement de l’âge de la retraite à 67 ans – ne figuraient pas au programme électoral des partis qui le constituent. Le MR avait juré de ne jamais gouverner avec la NVA et de ne pas augmenter la TVA sur l’électricité. La légitimité démocratique est-elle compatible avec le mensonge ?
Selon les sondages, Michel n’a plus de majorité parlementaire. Mais il ne se contente pas de s’accrocher : il continue à attaquer, plus violemment que jamais. De plus, il orchestre des manipulations pour diviser les résistances et les discréditer dans l’opinion publique. Le fait que la circulaire qui a mis le feu aux poudres chez les cheminots est sortie en pleine période d’examens et le lendemain de la manifestation du front commun syndical à Bruxelles est un exemple de cette tactique.
L’objectif de la droite est très clair : même avec un gouvernement affaibli, porter avant 2019 le maximum de coups au monde du travail et à ses organisations syndicales, en misant sur le fait que la coalition suivante ne reviendra pas en arrière. C’est une offensive à la Thatcher, et le CD&V y participe pleinement. Le droit de grève est en danger, les syndicats sont menacés d’être mis sur la touche.
Dans ce contexte, la question se pose : FGTB et CSC peuvent-elles se contenter de leur stratégie traditionnelle, qui est basée sur la concertation, d’une part, et sur l’appui de leurs « amis politiques » au parlement ou au gouvernement, d’autre part ? Autrement dit : est-il possible de gagner en refaisant ce qui a été fait les dernières années, notamment la manifestation et les grèves de l’automne 2014 ?
A la LCR nous pensons que non. Nous pensons que la concertation est morte et que les « amis politiques » sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens ne sont plus des « amis ». Nous pensons donc qu’une autre stratégie est nécessaire. Une stratégie de combat. Les syndicats devraient assumer qu’ils ont un projet de société opposé à celui de Michel & Cie et chasser ce gouvernement des riches et des patrons avant qu’il ait fait encore plus de dégâts. Il y a urgence.
Récemment, deux secteurs syndicaux importants se sont prononcés dans ce sens : la Centrale Nationale des Employés (CNE, affiliée à la CSC) et l’Interrégionale Wallonne de la CGSP (secteur public, affiliée à la FGTB). Elles sont deux secteurs francophones, mais représentatifs de la FGTB et de la CSC, du privé et du public. Nous publions leurs prises de position ci-dessous, en tant que contributions au débat.
Un argument employé pour ne pas chasser le gouvernement est que les syndicats n’ont pas à se mêler de politique. Nous sommes d’accord que les syndicats ne doivent pas jouer le rôle de partis politiques : organisations de défense de tous les travailleurs, ils doivent rester indépendants des partis. Mais l’indépendance n’est pas l’apolitisme. Les syndicats ont le devoir d’agir sur le terrain politique dans l’intérêt de leurs trois millions d’affilié-e-s.
Un autre argument est que chasser le gouvernement ne peut pas être un objectif, parce qu’un autre gouvernement se mettra en place et continuera en gros la même politique. C’est ce que dit le PTB. Selon lui, il faudrait, avant de chasser Michel, attendre qu’une alternative anticapitaliste soit assez forte pour former un gouvernement de rupture. Le problème est qu’on risque d’attendre très longtemps car, en ne chassant pas Michel, on le laisse changer les rapports de forces en faveur de la droite et du patronat.
Il est vrai que, si Michel dégage, le combat des travailleurs pourrait être récupéré par des partis qui n’ont pas d’alternative à l’austérité. C’est ce qui s’est passé en 1987 : le « retour du cœur » a débouché sur 25 années de collaboration du PS à la régression sociale, ce qui a créé beaucoup de désarroi. La stratégie pour chasser Michel doit anticiper sur ce danger de récupération pour le limiter au maximum. Comment ? Les documents de la CNE et de la CGSP wallonne n’abordent pas cette question. Nous faisons ici deux suggestions.
Le premier moyen de contrer le danger de récupération est d’assumer clairement qu’on veut chasser le gouvernement parce qu’il mène une politique d’austérité, et de mener cette lutte jusqu’au bout. L’idée est de faire en sorte qu’il soit très clair pour tout le monde que le gouvernement tombe parce que le monde du travail veut une autre politique, et pas pour autre chose (un prétexte communautaire, par exemple).
Le deuxième moyen est que les syndicats disent clairement quelle autre politique il veut. Au lieu de mettre en avant des revendications floues et qui ne sont pas vraiment discutées en profondeur avec les affilié-e-s, il s’agirait d’occuper le terrain par une mobilisation sur des demandes précises, formant un tout, et d’assumer que l’on veut un gouvernement pour appliquer ce programme-là, pas un autre. De la sorte, en toute indépendance par rapport aux partis, les syndicats réuniraient les conditions pour un gouvernement « aussi fidèle aux intérêts des travailleurs que les gouvernements des dernières années ont été fidèles aux intérêts des patrons ».
(LCR-web)
« Face ils gagnent, pile on perd ? » La position de la CNE
Gardiens de prison, cheminots, magistrats, policiers… d’un peu partout, des grèves éclatent et durent parfois terriblement longtemps. Et chacun s’inquiète pour les prisonniers, les étudiants qui ont besoin de trains, les justiciables qui se trouveront (ce n’est plus arrivé depuis 1917!) devant des tribunaux en grève.
Sans diminuer les conséquences de toute cette violence sociale, je voudrais poser la question « d’où vient cette violence ? ». Ne prenons qu’un exemple : la notification aux cheminots, après dix autres vexations, de la suppression de 2 jours de récupération, en pleine ébullition sociale due aux menaces du « plan Peeters », le lendemain d’une manifestation réunissant plus de 60.000 personnes. Puis des dizaines d’heures de négociations… pour arriver à re-proposer la même chose. Est-ce de cela dont la Belgique avait urgemment besoin ? On peut discuter de l’opportunité du recours à la grève – c’est toujours une question très difficile – mais il y a un point très clair : à chaque fois, les mouvements sont déclenchés par des provocations inutiles de la part du gouvernement de Charles Michel.
Divorce Nord-Sud ?
Un sondage du 28 mai révèle que la politique du gouvernement est rejetée partout, au Nord comme au Sud, et les dirigeants syndicaux du Nord du pays expriment des positions identiques aux nôtres : refus des mesures Peeters et des coupes dans les services publics. Pourtant, pour l’instant, les grèves sont surtout en Wallonie et à Bruxelles. Les commentateurs nous interpellent : ces grèves ne font-elles pas le jeu de la N-VA, qui se délecte dans la presse de la caricature « les Wallons font la grève pendant que les Flamands travaillent… » ?
Mais y a-t-il une bonne façon de réagir aux provocations du gouvernement ? Ou simplement une moins mauvaise ? Car, à chaque fois, c’est la même chose : un ministre N-VA ou CD&V décide, sans concertation avec personne, de mettre à mal les droits d’un groupe de travailleurs, puis attend la réaction. Et là, les travailleurs font face au fameux jeu « Face je gagne, pile tu perds ». S’ils ne réagissent pas, le gouvernement continue à avancer tel un bulldozer à travers leurs droits, et chaque attaque est bientôt suivie d’une autre plus dure, plus absurde encore. La N-VA a donc gagné, dans son projet de détruire la Belgique, les services publics et les syndicats. Soit ils réagissent, Wallons et Bruxellois prenant le risque d’une action collective toujours difficile, coûteuse pour les militants, incertaine dans son résultat et potentiellement en rupture avec la stratégie des collègues du Nord. Les travailleurs paraissent divisés, et la N-VA a encore gagné.
Que faut-il faire ?
Comment en est-on arrivé là ? Le MR, tel un agneau chétif qui se proclamerait soudain chef de la meute des loups, a cru pouvoir dompter la N-VA (avec laquelle il avait juré de ne jamais gouverner). Il se retrouve à devoir gérer un gouvernement dirigé depuis Anvers, où il n’a rien à dire. Donner les clés du pays à un parti dont le but est de le détruire était une faute lourde, dont nous commençons seulement à payer les conséquences…
Mais alors, que faire ? Une stratégie est de faire le gros dos ; tenter de diminuer un peu la violence des coups, entrer dans des simulacres de concertation pour obtenir des micro-réparations aux injustices subies, et attendre 2019 en priant pour que les électeurs du Nord (ceux du Sud, on l’a vu, ne comptent pour rien) votent un peu moins mal… Cette stratégie peut se comprendre, mais a un gros défaut : quand on voit ce que le gouvernement Michel a détruit en moins de deux ans, on peut raisonnablement estimer qu’en 2019 il ne restera plus rien du modèle belge de protection sociale et de concertation. L’autre stratégie, c’est refuser ce jeu de « Face je gagne, pile tu perds » et revendiquer clairement que ce gouvernement fasse demi-tour sur l’ensemble de sa politique… ou qu’il s’en aille. Principal défaut de cette stratégie : son issue incertaine. L’agneau MR a clairement choisi de se cacher derrière les loups N-VA et il tremble de perdre les quelques mangeoires qu’on lui a laissées. Pourtant, tout bien réfléchi, pour la CNE, cette seconde stratégie est moins dangereuse que la première : c’est le sens de notre décision d’appeler à la grève dans le plus possible d’entreprises le 24 juin, et de nous inscrire pleinement dans le plan national d’action pour la rentrée.
Nul ne choisit l’époque où il vit ; dans des temps plus sombres encore, B. Brecht écrivit ces mots, qui pèsent aujourd’hui lourdement sur nous : « Celui qui lutte peut perdre ; mais celui qui ne lutte pas a déjà perdu ! »
(Edito de Felipe Felipe Van Keirsbilck dans « Le droit de l’employé » de Juin)
« En finir avec ce gouvernement » : la motion de l’IRW-CGSP
Réunie ce 26 mai 2016 en Congrès, l’InterRégionale Wallonne de la CGSP a analysé la situation sociale.
Confrontés aux nombreuses attaques contre les services publics, tant de la part du Gouvernement fédéral que des dirigeants responsables des entreprises publiques.
Confrontés aux non-réponses du Gouvernement fédéral quant aux revendications syndicales.
L’ensemble des secteurs et intersectorielles de l’IRW ont décidé d’entrer en actions continues.
Complémentairement aux plans d’actions de la FGTB fédérale et de la CGSP fédérale.
S’appuyant sur le préavis de grève à durée indéterminée déposé le 22 février 2016 par la CGSP/ACOD, tout type d’actions sera couvert.
Chaque secteur appelle ses affiliés à répondre au mot d’ordre dans les prochains jours. Le 31 mai 2016 étant le premier jour d’une grève pour en finir avec ce Gouvernement. Tous mouvements et actions qui se poursuivront après cette date seront couverts.
L’IRW-CGSP appelle tous les travailleurs du privé à se joindre aux actions pour soutenir la défense du seul secteur redistributeur des richesses produites dans ce pays.
(Congrès de l’IRW-CGSP, 25 et 26 mai 2016)