Depuis quelques mois déjà, une initiative citoyenne se développe dans le centre-ville de Charleroi. Alliant lutte contre le gaspillage, solidarité avec les plus démunis et convivialité, « co une rawette » offre un repas gratuit et une ambiance festive à qui le veut. Ca se passe tous les premiers samedis du mois au café Toute Une Histoire, au coin de la place Albert Ier (rue de Marcinelle). Dans le cadre de notre série d’interviews avec des femmes activistes et engagées, Femke Urbain a parlé avec Little Shiva, fondatrice de « co une rawette ».
Femke Urbain: Alors d’où ça sort, ce truc?
Little Shiva: Eh ben j’habite Charleroi, je participe de temps en temps aux activités d’Occupy Charleroi, et donc je suis venue au parc lors de leur deuxième « Opération un peu de Chaleur » le 28 juillet 2013. Là j’ai vu des gens s’amener avec des caddies de supermarché plein de légumes, avec des panneaux dessinés à la main: « opération anti-gaspi, dégustation de bon sens » et « créer le monde que nous voulons est bien plus puissant que de détruire celui dont nous ne voulons plus. » Ces gens se sont installés autour d’une longue table et se sont mis à préparer à manger, avec l’aide de plusieurs personnes. Ca avait l’air très chouette, et il y avait une ambiance un peu hors du commun autour de cette table, même pour des gens qui aiment faire la bouffe (qui sont en général plus « fun » que les autres, je trouve).
Je me suis approchée de la table, curieuse: c’était une équipe du groupe « Dégustation de Bon Sens Belgique » (l’équipe de Namur, je pense). Ils m’ont expliqué que c’était un repas fait avec des invendus qu’ils ont pu récupérer. « Waou », j’ai dit, « on devrait faire ça à Charleroi! » Un type souriant m’a lancé « eh ben fais-le! » Ok, fallait pas me le dire deux fois: je suis activiste anti-gaspi depuis longtemps et j’adore faire la bouffe, donc… Le soir même je me suis mise à la recherche d’un nom, pour créer une identité bien carolo. Quoi de mieux que le wallon? J’ai trouvé une expression qui collait parfaitement à ce que je voulais faire: « co une rawette » veut dire « encore un p’tit peu. » Ensuite j’ai crée le logo. Le lendemain je suis entrée pour la première fois au café au bout de ma rue, Toute Une Histoire, et j’ai demandé à Olivier et sa femme Rita (qui tiennent l’établissement) s’ils seraient d’accord qu’on fasse une bouffe une fois par mois sur le trottoir devant leur café. Ils ont non seulement dit oui pour le trottoir, mais ils m’ont proposé leur cuisine! Waou, quelle chance! Avec un nom, un logo, un lieu et une page facebook, le truc était lancé.
FU: Et comment est-ce passé du virtuel au réel, pour devenir quelque chose de concret?
LS: Ah, bonne question. Quelques personnes ont rejoint l’initiative avec enthousiasme, et on s’est mis d’accord pour faire un test. J’avais contacté quelqu’un du réseau Dégustation de Bon Sens pour connaître la périodicité des activités dans les autres villes où ils font ça, et ça se passait sur différents samedis du mois. Le seul samedi qui n’était pas pris c’était le premier, et ça tombait super bien parce que justement, il y a un marché du samedi à Charleroi à la Place Albert I devant Toute Une Histoire. Donc on a pris les premiers samedis pour s’accorder avec les activités du réseau étendu, au cas où les gens auraient envie de passer d’une ville à l’autre. Mais en réalité, ça ne se passe pas comme ça.
FU: Tu parlais du test: reviens un peu sur ça, explique comment ça a démarré.
LS: Ah oui. Ben on a fait un test mi-août pour avoir une idée du temps que ça prendrait: aller récolter des invendus chez les maraîchers, revenir préparer les ingrédients pour la soupe ou la salade (laver, couper, trier), faire un tour dans le quartier pour avertir les gens dans la rue qu’ils peuvent venir manger, faire cuire la soupe, servir le repas, s’engager avec les gens, nettoyer les tables et faire la vaisselle au fur et à mesure, et assurer que quand on a fini on laisse la cuisine bien propre. Ca a super bien marché, et à partir de ce test on a déterminé l’horaire qu’on utilise depuis lors: l’équipe se réunit à midi, la soupe est servie à 15h, et à 18h c’est fini.
FU: Combien de personnes font partie de l’équipe, et combien viennent manger?
LS: Il y a quelques personnes qui sont toujours là, ou presque. Mais ce qui est génial c’est que sur les 6 heures on a des vagues de participation, pour l’équipe mais aussi pour les gens qui viennent manger. Il y a des gens qui viennent donner un coup de main au début avec la récolte des invendus et pour préparer ce qu’on reçoit, d’autres qui arrivent un peu plus tard et qui font un tour du quartier pour avertir les gens dans la rue à venir manger, d’autres qui aident en cuisine, ou en vérifiant que les tables soient nettoyées, d’autres qui sont plus actifs vers la fin. C’est vraiment très chouette, et l’organisation se fait collectivement. Par rapport au nombre de personnes servies je ne sais pas… la salle s’est remplie plusieurs fois la dernière fois qu’on l’a fait, mais j’étais trop occupée pour compter. On fait toujours un énorme pot de soupe, une salade si on reçoit de quoi en faire, et on reçoit souvent des fonds de fromage et de saucisses qu’on coupe en dés. Parfois on a aussi du pain. Il y a toujours assez pour que chaque personne qui vient puisse manger, mais on ne sait jamais à l’avance ce qu’on va faire.
FU: Et la co-existence avec le café, ça se passe bien? Comment vous faites maintenant qu’il fait froid?
LS: Oh, avec le café ça se passe super bien! En fait, Toute Une Histoire c’est toute une famille, et ce sont des gens extraordinaires: gentils, chaleureux… La première fois qu’il a plu pendant qu’on préparait la bouffe dehors, ils nous ont dit qu’on pouvait rentrer, y compris les sdf’s, bien entendu! Pendant deux mois nous avons effectivement occupé la salle puisqu’il faisait trop froid dehors, mais pour le reste de l’hiver on va servir à l’étage, question de ne pas bloquer le commerce. Avec les travaux à Charleroi, les commerces ont très dur, et les loyers ne sont pas réduits lorsque la circulation devient difficile voire impossible. Donc j’appelle tout le monde d’aller manger chez eux, ou boire un verre, en solidarité!
FU: Il paraît que co une rawette aurait été sélectionné dans un concours pour initiatives citoyennes. Raconte.
LS: Oui, c’est vrai. Un jour ma belle-mère m’a téléphoné toute enthousiaste pour me parler d’un truc qui s’appelle « Dans ma rue ». Elle m’a dit que c’était un concours pour les initiatives citoyennes, que co une rawette correspondait parfaitement aux critères, et que je devrais poser ma candidature. « Ok, why not? je me suis dit… et quelques semaines plus tard un journaliste est venu nous interviewer. On peut entendre le clip ici.
FU: Et qu’est ce qu’on peut faire si on veut aider?
LS: Il y a trois choses. Si t’es à Charleroi, viens manger ou boire un verre à Toute Une Histoire. Si tu veux participer à co une rawette, c’est tous les premiers samedis du mois, et tu peux venir quand tu veux, on a besoin d’un coup de main du début jusqu’à la fin. Justement, tout le monde n’a pas 6 heures à donner, donc viens quand tu peux. Si tu chantes ou joues un instrument portable et t’as envie de participer de façon musicale, on serait ravis. Et puis, dans une autre optique, c’est très bien de faire ça une fois par mois à cet endroit précis, mais il y a des gens précarisés partout, qui ont faim tous les jours. Des institutions existent pour subvenir à leurs besoins, un peu, mais les initiatives citoyennes de ce genre sont toujours un plus, parce que ça apporte un charme humain à l’affaire. Donc je dirais qu’une autre très bonne façon d’aider ce serait de lancer une initiative dans ta propre rue, et de la faire vivre.
photos: Little Shiva