Près de quatre-vingts personnes ont participé samedi 20 janvier au colloque « Actionnaires Tortionnaires » organisé à Charleroi par la Formation Léon Lesoil, en partenariat avec le GRESEA, le Centre Zénobe Gramme de l’ULB, l’asbl « L’avenir a son syndicat », et le CEPAG de Verviers.
Par cette journée de débats, la Formation Lesoil entendait contribuer à l’analyse du capitalisme financiarisé et mondialisé d’aujourd’hui ainsi qu’à la réflexion stratégique dont le mouvement syndical a un urgent besoin pour faire face en particulier à des phénomènes tels que les licenciements boursiers, dont la fermeture de Caterpillar-Gosselies est un « bel » exemple.
Reproduire ici les treize contributions présentées dans le cadre des six panels qui se sont succédés au cours de ce colloque serait fastidieux. Les personnes désireuses de connaître le détail des débats verront d’ailleurs leur curiosité satisfaite dans quelques mois: les organisateurs ont en effet annoncé l’édition d’un livre rédigé sur base des travaux de cette journée. Par ailleurs, nous mettrons prochainement en ligne les vidéos du panel final, avec Michel Husson et Felipe Van Keirsbilck, présidé par Bruno Bauraind.
En introduction des travaux, Matéo Alaluf a brossé un tableau vigoureux et rigoureux de la phase actuelle de développement du capitalisme et de la situation difficile dans laquelle se trouve le mouvement syndical. S’appuyant sur une citation visionnaire d’Ernest Mandel – sur les conséquences pour les syndicats du passage d’un capitalisme national à un capitalisme mondialisé – le sociologue a insisté sur le fait que plus de 50% de la richesse nationale échappe au capital et que la sécurité sociale reste debout, malgré les coups encaissés. En dépit des reculs, voire des défaites, l’avenir reste donc ouvert, selon Matéo Alaluf. La seule certitude est qu’il n’y a pas de certitude quant à l’évolution des rapports de forces, donc de nos sociétés. Elle dépend avant tout de nos luttes et de notre capacité d’adapter nos luttes au contexte nouveau.
Tout au long des travaux, les intervenant-e-s ont eu le loisir de préciser l’analyse et de discuter les conclusions stratégiques.
Bruno Bauraind (Gresea) a décortiqué la stratégie boursière de la multinationale Caterpillar et jeté une lumière très critique sur la politique wallonne visant à « attirer les investisseurs » multinationaux.
Aline Bingen (ULB), Gérald Scheepmans (secrétaire CNE Industries) et Freddy Mathieu (ex-secrétaire interprofessionnel de la FGTB) ont analysé le carcan de la loi Renault et les contradictions dont les syndicalistes peuvent malgré tout se saisir – ou pas.
Marco Van Hees (député PTB-GO), Guy Raulin (ex-délégué CNE de Caterpillar) et Daniel Richard (secrétaire interprofessionnel FGTB de Verviers) se sont penchés en détail sur les mécanismes patronaux de siphonnage des bénéfices, la complicité active des gouvernements et les conséquences en termes sociaux globaux. Grippé, Jean Batou (député SolidaritéS au canton de Genève) avait envoyé le texte de sa communication, qui a été lu à l’assemblée.
Céline Caudron (historienne, co-auteure de « L’épopée des verriers du Pays Noir » et Ingrid Servaye (déléguée CNE du secteur financier) ont permis à chacun-e de toucher du doigt les conséquences en termes de luttes des classes du changement d’époque évoqué par Matéo Alaluf, en particulier du fait de la désindustrialisation et de la digitalisation.
Michel Husson (économiste Marxiste, IRES) et Felipe Van Keirsbilck (secrétaire national de la CNE) ont fermé la boucle – mais pas le débat – en proposant trois pistes stratégiques susceptibles de forcer, en faveur des travailleur-euse-s un avenir autre que la peste trumpiste ou le choléra de la gouvernance néolibérale mondialisée: la réduction massive du temps de travail, l’interdiction des licenciements et la remise en cause du droit de propriété des actionnaires sur les entreprises.
De la salle, au cours du débat final, Daniel Richard a suggéré de revendiquer un fonds public d’investissement, notamment dans la transition écologique, comme une des concrétisations possibles de la remise en cause du droit de propriété capitaliste. Freddy Mathieu a embrayé en rappelant qu’une revendication de ce genre figure dans le programme « 10 objectifs anticapitalistes » de la FGTB de Charleroi.
Rien de tout cela n’étant possible sans rapport de force, plusieurs intervenant-e-s ont évoqué la nécessité d’une meilleure formation idéologique des militant-e-s ainsi que d’un changement profond des structures syndicales et de leur fonctionnement. Afin que l’individualisme et « l’unité pour ne rien faire » – qui caractérisent la conjoncture actuelle- cèdent la place à une unité de combat sur des objectifs communs de transformation sociale.
Au final, une excellente journée, très dense et très riche. Une journée bien conçue sur le plan du programme, et bien organisée sur le plan technique et logistique (merci à la fine équipe!). Seule ombre au tableau: l’absence du délégué principal de Caterpillar, Ivan Del Percio (grippé) et celle de son camarade Antonio Cocciolo (président des métallos FGTB Hainaut-Namur), retenu par des contraintes d’agenda imprévues.
Photos Dalila Larabi :