Kén affaire! Donc hier, il y avait la grève « la plus générale depuis 30 ans » – selon les organisateurs. Et un truc « relativement modeste » selon Willy Borsu. Nous, tout ce qu’on sait, c’est qu’on connaissait pas grand monde qui était au boulot. Même nos potes « commerçants indépendants » faisaient grève… Donc hier, il y avait la grève « la plus générale depuis 30 ans » quand soudain, la secrétaire générale du SETCa Namur a été propulsée au rang de star éphémère des massmedias locaux. Sonnez l’hallali, lâchez les chiens…
Dès le journal de la mi-journée de RTL-TVI, il n’aurait plus fallu parler que de cela : la boss du SETCa namurois a, selon le présentateur visiblement ému, fait usage « d’intimidation à l’encontre de commerçants qui tentaient de travailler ». Et il y aurait une preuve : une vidéo, sobrement qualifiée de « choc » en titraille de l’article mis en ligne par la rédac’ de la télévision commerciale privée luxembourgeoise à rayonnement international, montre la permanente syndicale en pleine action. Elle a été filmée par les journalistes de SudPresse, toujours au top de l’info.
On a regardé ces images « chocs ». Et qu’est-ce qu’on y voit au juste ? La mise à sac de Rome, la prise du Palais d’hiver, la Commune de Paris version SETCa? Non, on voit, pendant 58 secondes Raymonde qui entre d’un pas certes décidé dans un magasin de fringues de la capitale wallonne. Elle est suivie par une personne qui porte un bonnet de Père Noël et elle tient son sac de la main gauche. Avec une certaine énergie, de sa main libre, elle déplace une série d’articles pendant à des cintres, les faisant brusquement passer d’une tringle latérale vers les présentoirs qui se trouvent plus au centre de la surface commerciale. Quelqu’un, hors champs, lance un « il n’y a pas de caméra, au moins ? » et elle répond avec un « m’en fous ! » qu’on pourrait aujourd’hui qualifier de visionnaire…
Le déplacement de vêtements, jugé d’une violence inouïe par de très nombreux observateurs, concerne, d’après nos analyses, trois pantalons, cinq cardigans, trois chemisiers, quatre pulls et huit petits hauts. Nous avons réalisé cette estimation en regardant au ralenti les images (il y a une marge d’erreur de deux petits hauts et d’un cardigan parce qu’on voit mal ces passages-là). Aucun de ces articles n’a été endommagé. En conclusion : tout porte à croire qu’on est loin d’une forme de terreur révolutionnaire ou de l’expression d’une dictature violente du prolétariat. Certes, Raymonde fait preuve d’une certaine classe avec son sac à main, mais on ne peut pas dire qu’on assiste à un saccage. C’est juste un peu le carnaval, et ça reste résolument bon enfant comme expression d’un conflit politique.
Oui mais voilà : Raymonde a violé le tout nouveau sacro-saint droit au travail. Et en plus, l’air de rien, elle s’est attaquée à un truc limite divin : la marchandise. Dans dix jours, des hordes déchaînées viendront chambouler les rayons de ce magasin (où elle a fait son entrée remarquée) pendant plusieurs semaines, mais eux c’est pas pareil, ce sont des clients et il le font dans le cadre d’un rite orthodoxe appelé « soldes ». Raymonde, elle, c’est une impie, une barbare, une hérétique. D’ailleurs, on est carrément d’accord avec ce point de vue et c’est même pour cela qu’on a envie de déconstruire ici la méchante cabale montée contre elle.
On ne la connaît pas Raymonde. Et on n’a même pas (encore) pris contact avec elle. Mais si on s’en tient uniquement aux images de cette vidéo de 58 secondes publiée par Sudpress, Raymonde a fait exactement ce que sa fonction de responsable syndicale exige dans un contexte de grève générale. C’est filmé, elle motive son action : « par rapport aux autres, ce n’est vraiment pas correct que vous soyez ouverts« , dit-elle à la gérante.
Si on pense en se plaçant dans les conditions inhérentes au statut de Raymonde, au lieu de le faire selon le point de vue de la gérante, de la FEB ou de Willy Borsu, quelles hypothèses peut-on facilement formuler ? Que la responsable de l’enseigne L&L tente de maintenir « son » magasin « ouvert » quand tous ses concurrents, eux, ont dû fermer. Elle tente de tirer parti de la grève en raflant un max de parts de marché sur la journée. Si Raymonde laisse faire cela, ses affilié-es, celles et ceux qui bossent dans les autres magasins (fermés pour cause de grève) vont se retrouver dans une situation préjudiciable puisque leurs patrons pourraient leur reprocher d’avoir favorisé la concurrence. Si tout le monde est fermé, il n’y a plus de marché, il n’y a plus de concurrence, tous les patrons râlent, mais c’est gérable pour les affiliés que Raymonde représente.
Bref, bien joué Raymonde, t’as fait exactement ce qu’il fallait pour tuteller les intérêts stratégiques des syndiqués de ton secteur. Respect, t’es une bonne cheffe de guerre sur ce coup-là.
une médaille pour Raymonde
Alors pourquoi diable t’en prends-tu plein la tronche depuis hier, nous demanderas-tu?
Et bien, disons que ces dernières semaines, il y a eu un tout gros travail de comm’ et que, sans le faire exprès, ton entrée fracassante dans ce magasin namurois avait tout ce qu’il fallait pour construire un super storytelling sur le mode : « la dictature du syndicat contre le droit (des classes moyennes) à travailler« . On peut même expliquer comment ça marche. Il y a eu préparation du terrain avec des débats tous plus nazes les uns que les autres, et même des articles sur un hypothétique projet de loi foireux. Le but de la démarche est d’imposer un spin qui place dans un max de cerveaux l’idée que « limiter l’impact de la grève, ça n’a rien de politique, c’est pour défendre la liberté – c’est une question de ‘morale’ « . Ensuite Raymonde se pointe avec son sac à main chez L&L à Namur. Sudpress la filme. RTL-TVI répand l’indignation dans le peuple. Et là, on passe aux réseaux sociaux, en mode bashing. Cette phase débouche carrément sur une pétition en faveur d’une sanction contre Raymonde !
Et comme ça fait des semaines qu’on passe des heures sur toutes les antennes à tenter de convaincre tout le monde que le comportement de Raymonde ne doit pas être replacé dans le contexte d’une lutte politique mais qu’il illustre une question morale (« de respect des autres »),ça tourne au procès expéditif avec exécution médiatique à la clé. Et comme ce genre de trucs, ça prolifère très fort, Raymonde passe en trending topic local.
Du coup, on a droit à un second tour gratos (un peu comme quand on attrape la « floche » sur les carrousels à la foire) : tous les titres de presse mettent sur leur site un articles sur ce qu’on dit de l’affaire Raymonde sur la toile. Dans un improbable élan démocratique, certains publientdes textes complètement délirants, sorte de collage de la pensée de BHL et d’un discours de vainqueur de The Voice, sous prétexte qu’ils sont l’expression d’une indignation populaire. Comme s’ils ne l’avaient pas patiemment construite depuis plusieurs semaines…
Bref, nous, avec la rédac de l’Entonnoir, on trouve que cette vidéo de 58 secondes fait honneur à Raymonde. Et dans la foulée, on a décidé de créer un large mouvement populaire pas du tout spontané pour libérer l’image médiatique de Raymonde, une working class hero made in Wallifornie.
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(enfin, si vous voulez bien…)
Source : L’Entonnoir