Organisation de la production et de la commercialisation agroalimentaire
Mais, l’industrialisation du travail agricole s’accompagne d’une « rationalisation » des zones de production et des échanges marchands de produits agricoles. L’agroindustrie pousse à l’homogénéisation des territoires et de la production et donc de la nature, à l’exploitation des ressources et des travailleurs, ainsi qu’à la concentration du capital. Les politiques agricoles (PAC, OMC) sont des leviers de l’industrialisation de l’agriculture. A ce constat il faut rajouter les tendances à la financiarisation (terres, matières premières, produits agricoles). Mais face à cette situation alarmante, on peut imaginer un autre modèle, les expériences alternatives qui se développent un peu partout nous apportent de nouveaux éléments :
- La question de la propriété : collectiviser vs importance de posséder ses terres. Les avantages du fermage.
Contrairement à ce qui se dit dans l’extrême gauche, le paysan n’est pas un petit (ou gros) propriétaire. En France près des deux tiers des exploitants sont en fermage, véritable bouclier pour garantir les droits des agriculteurs face aux propriétaires.
Les luttes paysannes sur le foncier ont fait émerger des pistes d’alternatives comme sur le Larzac où la coopérative des Groupements Fonciers Agricoles[2] gère collectivement les terres agricoles. Chacun de fermiers présents sur le plateau paie un fermage (fixé par arrêté). Lorsque le bail prend fin, le fermier « rend » les terres aux GFA.
Le GFA mutuel reste l’outil de gestion collective du foncier : pour que la terre ne soit plus un bien de spéculation, pour installer des paysans plutôt qu’agrandir des exploitations, pour permettre une gestion cohérente et durable du foncier tant au niveau environnemental qu’au niveau humain, pour discuter, concilier et partager les différents usages de la terre.
Cet exemple, montre qu’il est tout à fait possible de concilier gestion collective et droit d’usage sur ses terres. Le bail fermier est le garant de ce statut de propriété temporaire, le GFA est la structure où la décision collective se prend. Il devient donc possible de penser autrement la propriété privée (en tout cas agricole).
Quand on est paysan on doit pouvoir investir durablement ses terres, mais il n’est pas nécessaire d’en être propriétaire. Le travail agricole nécessite de soigner le lien à la terre, à son outil de production (sol, plantes, troupeau). C’est pourquoi, il est absolument fondamental que chaque paysan (ou actif) travaille sur une ferme à taille humaine, ce qui nécessite qu’il en ait la maîtrise. Ces exemples remettent en cause l’idéal de la collectivisation qui a prévalu comme forme d’organisation de la propriété agricole.
- Pour une démocratie agro-alimentaire : les systèmes de garantie participative.
La Garantie Participative[3], est une piste très intéressante pour la réflexion sur la prise de décision entre consommateurs et agriculteurs (décision des usagers) pour les questions alimentaires. Ces systèmes participatifs permettent en impliquant localement des producteurs et des consommateurs, dans une démarche de progrès et non de pénalisation, d’avancer dans la réflexion sur le mode de production, et le mode de commercialisation sur la base de la confiance.
Elle se développe en Amérique Latine où elle connaît un énorme succès (plusieurs millions d’adhérents) mais aussi dans le cadre d’IFOAM, organisation internationale de l’agriculture biologique).
Exemple :
Une ferme reçoit la visite d’un d’un agriculteur de la région et d’un consommateur membre. Contrairement à la certification privée (qui est la seule permettant d’avoir le logo européen AB), le système de garantie participative n’est pas payant et n’aboutit pas à une sanction systématique en cas de non respect du cahier de charges. En effet, les « garantisseurs » vont évaluer les raisons de non respect du cahier, et si ceux là sont légitimes (problèmes techniques ou économiques, aléas climatiques, mineurs) ils pourront donner exceptionnellement la mention N&P (en assurant qu’une démarche de résolution du problème est engagée).
Ce système a l’avantage de rester en contact avec la réalité du terrain et de ne pas se fier à une vision bureaucratique des normes à respecter (ce qui est très important quand on travaille avec le vivant). Il facilite également l’échange et la formation des paysans et des consommateurs et crée un réseau de décision alimentaire très intéressant. Par ailleurs ce système est particulièrement utile pour les petites fermes qui ne peuvent pas financer la certification privée ou qui ne souhaitent pas rentrer dans une logique marchande. Il s’agit d’une expérience de prise de décision démocratique sur que produire, comment et avec quel contrôle, qui a la caractéristique d’être participative, sur le terrain, et « bottom up ».
- Relocaliser la production, les expériences des circuits courts, dépasser les intermédiaires/sortir du marché, organiser autrement le travail en agriculture
L’agriculture est typiquement un domaine où il existe des expériences concrètes où l’on produit autrement. Ces îlots de modes de production alternatifs démontrent concrètement qu’il est possible de travailler différemment en agricultur. Ces modes de production ont la caractéristique de ne pas être applicables à l’échelle industrielle. En même temps elles préservent les savoirs, savoir-faire pour pouvoir produire en dehors de l’agriculture industrielle. Il existe en parallèle aux modes de production, des modes de commercialisation[4] qui prônent le local ou des circuits avec le moins d’intermédiaires possibles : comme les AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), les paniers paysans, les coopératives alimentaires ou certaines formes de commerce équitable, etc. qui constituent des pistes d’organisation des échanges alimentaires hors du marché et qui permettent de limiter le pouvoir de l’agroindustrie. En effet ces expériences montrent les avantages et les difficultés d’une organisation alimentaire et agricole alternative. Elles permettent de commencer à décoloniser notre imaginaire du supermarché, du surgelé, de la bouffe rapide et de la malbouffe.