Pirouettes rhétoriques, concepts farfelus, inversion des rôles, travestissement des réalités… et toujours le refus de l’égalité
Voici un petit livre qui mériterait une très large diffusion. Bien écrit, bien argumenté, sans simplisme ni évitement de questions dérangeantes, les auteur-e-s nous proposent des analyses et des contre-arguments face aux écrits et actions des masculinistes, de ceux qui refusent l’égalité réelle entre les êtres humains. Ces masculinistes entendent défendre leurs privilèges de dominants – des hommes – dans les rapports sociaux de sexe (système de genre, patriarcat).
« Le texte se découpe en quatre parties. Nous commençons par une mise en contexte, au travers de laquelle nous tentons une définition du masculinisme et retraçons l’histoire de ce mouvement en présentant ses principaux acteurs. Ensuite, nous décortiquons les thèmes favoris des masculinistes : “les pères bafoués” et “les violences subies par les hommes”. Enfin, nous abordons la question de la prétendue “crise de la masculinité”. »
Les bases politiques et théoriques des auteur-e-s sont issues du féminisme radical et du matérialisme (1), des apports du black feminism (2) et du féminisme dit post-colonial (3).
La « différence des sexes », les assignations genrées sont des constructions sociales. La bi-catégorisation masque un continuum des sexes (4).
Les termes « homme » ou « femme » doivent donc être compris, comme des nominations unilatérales d’êtres humains socialisés, ou construits comme « homme » ou « femme ».
Dans le premier chapitre « Le masculinisme, qu’est-ce que c’est ? », les auteur-e-s analysent « cette forme aiguë “d’androcentrisme” », cette mouvance réactionnaire, la contestation de la légitimité du combat des femmes contre l’oppression et pour l’égalité des droits et l’égalité réelle. La questions du divorce et de ses enjeux (pension alimentaire, garde des enfants…) est souvent au centre des actions des masculinistes.
Dans le deuxième chapitre, « Que cache la “cause” des pères ? », les auteur-e-s analysent les arguments des « pères en lutte » contre la prétendue justice « matriarcale », en soulignant entre autres que dans « 79 % des divorces et 84 % des séparations, c’est à la demande des deux parents que la résidence des enfants est fixée la plupart du temps… chez la mère ».
Tout en soulignant que « les enfants n’ont pas besoin, par nature, d’un père et d’une mère biologiques. Par contre, ils ont besoin d’amour et d’attention de la part d’adultes bienveillant-e-s », la garde alternée et la « co-parentalité » sont discutées, dont le partage des tâches et le souci de ces tâches. Sont aussi traités les litiges sur les pensions alimentaires, les écarts de revenus, les investissements asymétriques, l’emprise sur l’autre « avec la garde alternée, il est quasi impossible de s’extraire de l’emprise de son ex-conjoint ou de refaire sereinement sa vie », le mythe des « nouveaux pères » et, derrière les rares exceptions, les réalités de la domination masculine. Je souligne la qualité des chapitres sur le prétendu « syndrome d’aliénation parental » et les mères manipulatrices, la remise en cause des femmes à disposer de leur corps.
Dans le troisième chapitre, les auteur-e-s reviennent sur les réalités des violences « masculines » (car il s’agit très majoritairement de violences exercées par les hommes et pas d’abstraites violences « domestiques » ou conjugales »), sur les argumentaires des masculinistes autour des « Hommes battus, femmes violentes ? ». Si dans nos sociétés les rapports sociaux sont violents, si les femmes ne sont pas « par nature » non violentes, si « la domination masculine et la culture virile produisent la croyance selon laquelle les garçons possèdent une agressivité innée et qu’il faut même les encourager à la cultiver (“c’est bon pour la confiance en soi”), les filles, quant à elles, disposeraient d’autres “armes” telles que la douceur, la sensibilité, l’empathie… ». La rhétorique des masculinistes cache mal les réalités : « l’inégalité persistante des rapports sociaux de sexe et la prévalence des violences masculines ». Il n’y a pas de « coresponsabilité » de la violence au sein de rapports sociaux asymétriques. Et réagir contre la violence des hommes relève de l’autodéfense nécessaire.
Parmi les violences, les auteur-e-s analysent particulièrement les viols (« le viol reste un crime sexiste »), qui ne sont pas des « accidents isolés » et dont la fonction est de consolider les hiérarchies entre hommes et femmes, et parfois entre hommes. « Environ 92 % des victimes de viol sont des femmes, et 96 % des personnes mises en cause sont des hommes ».
Les auteur-e-s ajoutent : « il faut sans cesse rappeler l’ampleur et la banalité des violences sexuelles qui fonctionnent comme un moyen puissant de coercition et de punition des femmes, de toutes les femmes ». Les hommes n’ont pas de besoins sexuels irrépressibles, il n’existe ni trop-plein de testostérone, ni de testicules prêtes à éclater. « Le viol c’est de la violence, pas de la sexualité. »
Dans le quatrième chapitre « Des hommes en crise ? », au-delà d’analyses pertinentes sur les présentations des masculinistes, sur leur refus de renoncer à leurs privilèges, les auteur-e-s soulignent que « le terme même d’identité pose problème ». Et ajoutent : « nous ne croyons pas qu’en développant, contre le modèle du masculin viril, une multitude de masculinités différentes, même “positives”, la hiérarchie des classes de sexe et l’oppression des femmes disparaîtront ». C’est bien la virilité et le système de genre qu’il faut défaire.
« Après avoir été légèrement ébranlés par les critiques féministes, les hommes sont simplement en train de renouveler et réaffirmer leur position de pouvoir », ou du moins d’essayer, en s’appuyant, encore et toujours, sur la naturalisation des rapports sociaux, la négation du pouvoir et des violences systémiques qu’ils exercent sur les femmes.
J’espère que, au-delà des quelques thèmes que j’ai abordés, cette note sera une incitation, un prélude à la lecture du livre et aux débats.
* Collectif Stop Masculinisme : Contre le masculinisme, guide d’autodéfense intellectuelle, éditions Bambule, Lyon 2013, 159 pages, 8 €
1. Voir par exemple : « Questions féministes 1977-1980 – réédition des 8 numéros », éditions Syllepse 2012.
2. « Anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000 », textes choisis et présentés par Elsa Dorlin, éditions L’Harmattan 2008.
3. Voir par exemple : les Cahiers du CEDREF : « Théories féministes et queers décoloniales : interventions Chicanas et Latinas étatsuniennes », coordonné par Paola Bacchetta et Jules Falquet avec Norma Alarcon, université Paris Diderot, éditions iXe, Paris 2011.
4. Voir par exemple : Anne Fausto-Sterling, « Corps en tous genres – La dualité des sexes à l’épreuve de la science », La Découverte, Institut Émilie-du-Châtelet 2012
Source : inprecor