Le 7 novembre, 200.000 personnes manifestaient dans les rues de Madrid contre la violence machiste qui a tué 52 femmes en 2013 dans ce pays de 46 millions d’habitants. La même année, en Belgique, avec 11 millions d’habitants, ce sont 162 femmes qui sont mortes sous les coups de leur (ex)conjoint… Trois fois plus pour une population cinq fois moindre. Dans le silence. Sans faire de vagues. La violence conjugale est meurtrière partout. Mais elle reste largement taboue en Belgique. Malgré des prises de position et des plans d’actions officiels, les pouvoirs publics ne mobilisent toujours pas les moyens nécessaires pour éradiquer l’inacceptable. De leur côté, les organisations féministes, malgré leur travail d’alerte, de vigilance et de terrain, ne parviennent pas à imposer -tant aux pouvoirs publics qu’aux autres mouvements sociaux- une prise en compte à juste titre des violences machistes qui sont loin de se limiter aux violences conjugales.
A l’occasion du 25 novembre, la journée internationale contre les violences faites aux femmes, les campagnes et débats fleurissent partout. En Belgique, rien que du côté francophone, on en recense tout un tas, à l’initiative d’associations (1) ou des pouvoirs publics. Si l’approche des associations féministes est plus claire, celle des pouvoirs publics l’est nettement moins. Cette année, l’Institut pur l’Egalité des Femmes et des Hommes (IEFH, fédéral) et les entités fédérées francophones (Cocof, Région Wallonne et Fédération Wallonie-Bruxelles) s’adressent à un public jeune. Mais, dans les deux cas, si l’intention est louable, les campagnes sont mal calibrées.
La campagne « Réagissez avant d’agir » de l’IEFH s’articule autour de trois vidéos qui invitent les hommes de 18 à 25 ans à réfléchir avant de passer à l’acte. La vidéo s’arrête après quelques secondes et un message apparait en invitant à laisser nom et e-mail : «Ne donnez aucune chance à la violence. Soutenez l’action en ajoutant du temps de réflexion au compteur symbolique. Réagissez vite avant qu’il ne soit trop tard ». Sauf que chaque clip représente une situation déjà bien violente… où il est déjà trop tard, où les dégâts sont déjà faits.
La violence, ce n’est pas seulement frapper, violer, tuer, ça recouvre aussi tout ce qui s’installe avant : la pression, les intimidations, les cris, les attouchements, etc. En effet, les violences machistes sont multiformes et parfois subtiles. Identifier un stade à partir duquel les violences deviennent graves et condamnables revient à tolérer les expressions plus discrètes de ces violences, sur lesquelles se fondent pourtant les expressions les plus évidentes. Par exemple, le sexisme quotidien, ce qui passe pour de simples blagues ou de la drague pas bien méchante, renforcent encore la domination masculine envers les femmes représentées comme faibles, idiotes, effacées, passives, …. Il est nécessaire de mettre le doigt sur ce lien, ce continuum, entre toutes les formes de violences machistes pour s’y attaquer à la racine et espérer les éradiquer. La lutte contre les violences est ainsi indissociable de la lutte contre le sexisme et le patriarcat.
La campagne « No Violence » portée par les entités fédérées francophones s’inscrit quant à elle dans le cadre du plan d’action intrafrancophone de lutte contre les violences sexistes et intrafamiliales adopté cet été. A travers un site internet, la campagne interpelle les jeunes couples sur la violence qui peut s’installer dans leur relation. Mais les violences machistes se retrouvent noyées au sein des mécanismes de violences interpersonnelles. Les jeunes sont interpelé-e-s sur leur comportement individuel au sein de leur couple, comme s’ils et elles vivaient hors du monde et des rapports de pouvoir genrés qui s’y jouent et auxquels ils et elles prennent inévitablement part.
Il est vrai que, chez les plus jeunes, garçons et filles apparaissent dans des proportions plus similaires parmi les auteurs de violences envers leur partenaire. Mais, l’âge avançant, l’écart se creuse et les violences machistes se révèlent de plus en plus clairement de la part des garçons. C’est à l’adolescence, et même dès l’enfance, qu’il est nécessaire de prévenir ces violences machistes. Mais, pour ça, il faut les nommer comme telles avec leurs particularités et admettre que garçons et filles ne sont pas égaux face aux violences.
De beaux engagements. Oui mais…
Au-delà de ces campagnes avec leurs limites, le fédéral s’apprête à ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (dite Convention d’Istanbul). Cette Convention est le premier instrument contraignant proposant un cadre juridique complet basé sur une définition du genre et visant à vise à « prévenir », « protéger », « poursuivre » et « coordonner ». Rien de révolutionnaire pour la Belgique puisque les mesures que cette Convention préconise sont pour la plupart déjà intégrées dans les textes de loi et se traduisent encore à travers le nouveau plan d’action national 2015-2019 contre les violences basées sur le genre que le gouvernement fédéral vient d’adopter. La conscience est sauve, donc !
Mais les intentions affichées ont du mal à se concrétiser et les moyens ne suivent toujours pas. La collaboration entre les administrations et niveaux de pouvoir reste difficile. Le paysage institutionnel aussi compliqué que nous connaissons n’arrange rien mais c’est surtout la volonté politique qui n’y est pas. La circulaire dite « Tolérance 0 », qui impose un protocole entre la police et le parquet pour l’accueil des victimes de violences conjugales et le traitement des plainte, a permis une relative diminution des dossiers classés sans suite mais elle est peu ou mal appliquée dans les faits. Les zones de police sont peu nombreuses à former leurs agents à l’accueil et l’accompagnement des victimes. Du coup, malgré près de 40.000 plaintes enregistrées chaque année, il n’est pas rare que des femmes qui dénoncent une situation de violence conjugale au commissariat soient rabrouées et renvoyée chez elle sans aucun soutien.
En plus, la possibilité d’éloigner l’auteur de violences du domicile reste théorique ; les hébergements spécialisés pour femmes en situation de violences ne sont qu’au nombre de trois (!) en Fédération Wallonie Bruxelles ; le ligne téléphonique d’écoute et d’orientation n’est pas une ligne d’urgence, elle est exclusivement consacrée aux violences conjugales et accessible uniquement aux heures de bureaux et en français ; les femmes dont le titre de séjour dépend d’un regroupement familial risquent de perdre leurs papiers si elles dénoncent les violences qu’elles subissent ; en moyenne 8 viols sont enregistrés par jour mais le manque d’accompagnement et la lourdeur de la procédure pour dénoncer des violences sexuelles découragent et, de toute façon, seuls 4% des plaintes aboutissent ; le Set d’Agression Sexuelle (SAS) qui permet de récolter des preuves médico-légales n’est pas utilisé dans les hôpitaux qui ne sont pour la plupart pas préparés à accueillir et accompagner les victimes ; … Et la liste est encore longue…
Besoin urgent d’un sursaut féministe
Les violences machistes relèvent d’une responsabilité collective. L’Etat et ses institutions se doivent de prendre en charge une lutte efficace contre ces violences à travers des services publics adaptés et pas seulement à coup de campagnes de sensibilisation, qui plus est, mal calibrées. Mais il est tout autant indispensable que le mouvement féministe reprenne la main sur ce terrain. Sans ça, on ne peut pas espérer qu’une meilleure compréhension des violences machistes tombe du ciel ni, par conséquent, que des mesures adéquates soient mise en œuvre pour garantir l’intégrité, la sécurité et l’autonomie de toutes les femmes.
Les copines de l’Etat Espagnol, entre autres, montrent la voie. A travers des années de lutte, elles parviennent à ce que les violences machistes soient davantage considérées comme telles et mieux combattues à travers les pouvoirs publics, les mouvements sociaux et même les médias. C’est encore loin d’être gagné mais elles réussissent néanmoins à peser pour faire pencher le rapport de force. En Belgique, à l’heure où les femmes s’en prennent plein la tronche -au propre comme au figuré- en première ligne des mesures antisociales, racistes et sécuritaires, il est plus que temps d’unir nos forces pour nous engager dans un tel mouvement. Pas une de plus ne doit tomber sous les coups !
- Citons notamment « En dehors de ça, tout va bien entre nous » des Femmes Prévoyantes Socialistes ou les actions décentralisées de Vie Féminine, les deux grandes organisations de femmes en Belgique francophone.