Le terme cosmopolite est formé par les mots grecs politès (citoyen) et kosmos (monde). Un(e) cosmopolite est donc un(e) citoyen(ne) du monde. Il y a là une contradiction : un citoyen est une personne civique au sein d’un État dans lequel elle jouit de droits et de devoirs. Il ne peut y avoir des citoyens d’un État qui n’existe pas. Mais les gens qui prétendent être des cosmopolites ne suivent pas cette logique et le concept a reçu de la communauté linguistique d’autres significations.
Prenons les définitions du Petit Robert. Celui-ci définit 1° comme vieillie la signification « qui vit indifféremment dans tous les pays, s’accommode de tous ». La signification moderne 2° est définie comme « qui comprend des personnes de tous les pays ; qui subit des influences de nombreux pays (opposé à national) ».
La première définition est irréelle. Pour donner un cas extrême : il n’est pas indifférent pour une féministe française de vivre dans une société tribale, clanique, patriarcale où le crime d’honneur fait loi, comme dans certaines régions de l’Afghanistan. Prenons un cas moins extrême : qui entre vous voudrait aller vivre pour le reste de sa vie au fin fond des forêts de la Papouasie ou sur une petite île du Pacifique ? La deuxième définition par contre répond à une réalité. Nous sommes tous, plus ou moins, influencés par des cultures différentes, la « mondialisation » renforce ces influences et nous agissons parfois dans des groupes composés de nationalités différentes.
Mes lecteurs plus ou moins réguliers ont remarqué mon tic de tirer à tort et à travers des citations de mon évangile apocryphe : le Manifeste (communiste). Celui-ci déclare : « Le marché mondial a donné un immense développement au commerce, à la navigation [aujourd’hui aérienne], aux communications terrestres [aujourd’hui l’internet] ». Plus loin il remarque : « Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie a donné une tournure cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand regret des réactionnaires, elle a sapé sous les pieds de l’industrie sa base nationale. » Nous y voilà. Le cosmopolitisme est un résultat du développement mondial du capitalisme, de la production généralisée des marchandises. Concluons : la bourgeoisie se globalise elle-même, elle devient cosmopolite et ce cosmopolitisme est le pseudo-internationalisme de l’individu libéral, concurrentiel, atomisé. Qui sont aujourd’hui les vrais cosmopolites (et qui le sont en général inconsciemment) ? Ce sont les magnats de la finance, les grands entrepreneurs et dirigeants des institutions internationales qui se rencontrent dans les hôtels de luxe ou dans les aéroports, pour faire des deals et prendre des décisions d’importance internationale. Dans ces lieux, qui se ressemblent partout comme deux gouttes d’eau, on y retrouve les mêmes restaurants et les mêmes boutiques. C’est un véritable monde cosmopolite, mais réservé à une élite.
Nous, qui faisons partie de ceux d’en bas, même si nous vivons pas si mal que ça, partageons parfois une attitude semblable. Nous visitons un pays étranger où, à notre grande satisfaction, nous pouvons boire un coca et manger un bifteck frites. Ce pays c’est cosmopolitisé, en tous cas à nos yeux. Et il est totalement cosmopolitisé quand il offre la nourriture adaptée à tous les goûts du monde. Mais on atteint le summum de la cosmopolitisation quand tout le monde mange la même chose : par exemple un hamburger MacDonald.
Les arts plastiques et autres n’échappent pas, pour le meilleur ou pour le pire, au cosmopolitisme capitaliste. Je laisse le meilleur de côté pour dire quelques mots sur le pire. Les productions cinématographiques ou littéraires, qui se réduisent à des sentiments tellement connus et communs au premier venu, ne nous apprennent rien de nouveau et encore moins sur la diversité culturelle des nations. Elles sont donc extrêmement pauvres en culture. Ce cosmopolitisme ne répond même pas à la deuxième définition du Petit Robert : subir les influences de nombreux pays ; c’est le contraire, il l’efface. J’avais déjà remarqué dans un article précédent que l’universel de la « nature humaine » (pour employer ce terme dangereux) se montre dans sa spécificité, que le général ne devient compréhensible que dans le particulier. Un bon écrivain se base dans ses récits sur la culture qu’il connaît le mieux, la sienne, celle où il vit. Ce n’est qu’à partir de là qu’il peut développer l’universel qu’attend son lecteur : situer le particulier national dans l’universel humain.
Certains à l’extrême gauche du spectre politique se présentent comme cosmopolites. Heureusement ils ne sont qu’une infime minorité au sein d’une minorité. Ils prétendent avoir une attitude au dessus du comportement national et nationaliste. Belle illusion et profondément hypocrite. Un révolutionnaire socialiste est un internationaliste et non pas un cosmopolite. Il (ou elle) met en avant une solidarité internationale concrète et non pas une idée qui est née dans le capitalisme globalisant. L’ambiguïté du terme cosmopolite a peut-être mené à son utilisation par le régime stalinien pour fustiger certains communistes comme des traîtres. Il n’y avait qu’une patrie socialiste, l’URSS. Celui qui mettait en doute, ou semblait mettre en doute la vérité du Petit père des peuples, ou qui simplement ne plaisait pas au grand dirigeant marxiste, fut déclaré cosmopolite, un personne sans attaches nationales. Cela se passait dans la période où Staline jouait la carte nationaliste. Son anti-cosmopolitisme contenait également une dose d’antisémitisme.
(La semaine prochaine : L’universalisme français)
image par les créateurs de cosmarxpolitan.tumblr.com