Le 22 avril 2014, Bernadette Schaeck, animatrice de l’ADAS (association de défense des allocataires sociaux) prenait la parole devant le CPAS de la ville de Liège, dans le cadre des marches organisées par les Acteurs des Temps Présents à travers toute la Wallonie.
Le 25 février 2015, le Réseau francophone « STOP ART.63&2 », soutenu par une centaine d’organisations associatives, syndicales et politiques, invite les expulsés du système « chômage » à manifester. Simultanément, dès 13 heures, dans plusieurs villes du pays, et à l’initiative de comités contre les exclusions, des rassemblements se tiendront devant les CPAS et l’Onem de ces localités pour exiger le retrait des mesures gouvernementales en matière d’accès aux allocations d’insertion et la réintégration des expulsés dans leur droit légitime à des allocations de chômage.
En préparation de ces mobilisations et pour en montrer toute l’importance, nous reproduisons ci-dessous l’intervention de Bernadette Schaeck faite, devant le CPAS de Liège, il y a un peu moins d ‘un an. Intervention qui montrait les enjeux réels des mesures touchant les chômeur-euse-s et les allocataires sociaux et qui, malheureusement, n’a rien perdu de son actualité. Bien au contraire ! (2)
Ce qui est en jeu, c’est le démantèlement de la sécurité sociale…
« Lorsqu’on parle des CPAS, c’est le plus souvent pour évoquer les problèmes financiers de ces institutions, en particulier les conséquences des sanctions et exclusions des chômeurs, et la limitation dans le temps des allocations d’insertion à partir de janvier 2015.
On en oublierait presque que les premiers concernés sont les usagers eux-mêmes, et que les victimes de la politique de l’ONEM, ce sont les chômeurs eux-mêmes.
Savez-vous qu’une partie importante des chômeurs sanctionnés, exclus ou arrivant en fin de droit n’ont pas droit au revenu d’intégration ? Pourquoi ? Parce que les règles qui régissent l’aide sociale sont fondamentalement différentes de celles qui régissent la sécurité sociale.
En conséquence de ces règles différentes, la plus grande partie des chômeurs cohabitants exclus par l’ONEM n’ont pas droit au RIS. Ce sont surtout des femmes et des jeunes. Beaucoup de jeunes.
Le véritable enjeu de la limitation dans le temps des allocations d’insertion, c’est la poursuite du démantèlement de la sécurité sociale. Le basculement d’une frange importante de la population de la sécurité sociale vers l’aide sociale.
Ceci étant dit, la question du financement des CPAS est une vraie question. Il faut la résoudre. Travailler à des analyses, des propositions, des revendications.
Mais notre position fondamentale est celle-ci : ce n’est pas aux usagers à faire les frais des problèmes de financement des CPAS. Ni aux travailleurs, d’ailleurs. J’entends trop souvent dire, y compris par des gens de gauche : oui, mais les CPAS n’ont plus d’argent. Et là je me dis, attention danger, tout ce ramdam sur les problèmes financiers risque tout simplement de légitimer les politiques restrictives à l’égard des usagers.
Au-delà de propositions immédiates, telles que le remboursement à 100 % du RIS par l’Etat (il est actuellement remboursé entre 55 et 100 % selon un certain nombre de critères), la meilleure solution aux problèmes de financement des CPAS serait l’arrêt des politiques d’austérité qui précipitent dans la pauvreté une partie grandissante de la population.
Et pour (re)financer les CPAS, comme l’ensemble des services publics, il faudrait que nos impôts ne soient plus distribués aux banquiers, aux financiers et aux patrons sous forme de cadeaux fiscaux et de réductions de cotisations à la sécurité sociale. Malgré tous ces cadeaux, les financiers continuent à spéculer, les patrons continuent à licencier, la sécurité sociale continue à être démantelée. Nos impôts et nos cotisations sont utilisés pour enrichir les riches et pour appauvrir les pauvres. Ca doit cesser.
Les décisions prises pour faire face aux problèmes financiers s’inscrivent dans une logique d’austérité communale. Les CPAS ont malheureusement intégré l’impératif d’équilibre budgétaire imposé à tous les niveaux par le TSCG, traité dont le sigle peut être traduit par Tous Saignés Comme des Grecs. Si l’on poursuit dans cette voie, il est clair que ce sont les usagers et les travailleurs qui paieront les pots cassés.
CPAS schizophréniques !
La Marche a décidé de passer devant le CPAS de Liège. Cette démarche pose la question des convergences possibles avec les CPAS.
Mais convergences sur quoi ? L’opposition au plan de contrôle des chômeurs, à la dégressivité des allocations et à la limitation dans le temps des allocations d’insertion ? Si les CPAS sont sincèrement contre tout cela, l’alliance est possible. Mais … il y a deux mais.
Le premier, c’est que les partis qui dirigent les CPAS sont les mêmes que ceux qui prennent toutes les mesures d’austérité au niveau fédéral, y compris la politique à l’égard des chômeurs. Assiste-t-on à une fronde des élus locaux à l’intérieur de leur propre parti ? Non. Et si fronde il y a, elle porte plus sur les conséquences financières sur les CPAS de la politique de l’ONEM que sur le principe même de l’activation des chômeurs.
On a même entendu deux députés bourgmestres dénoncer au niveau local les mesures qu’ils avaient votées au niveau fédéral !
Le deuxième « mais » a trait au fait que les CPAS ont eux-mêmes intégré la logique de l’Etat social actif. Les usagers doivent fournir des preuves de recherche active d’emploi. Des exigences similaires à celles de l’ONEM leur sont parfois imposées.
Suivre une formation, souvent non qualifiante, ne pas l’abandonner, s’inscrire dans des firmes d’intérim, accepter des petits boulots, fournir des preuves de candidatures spontanées, s’inscrire à des cours de langue ou à des activités dites d’intégration sociale, toutes ces choses peuvent être imposées aux bénéficiaires du revenu d’intégration.
Pas seulement à Anvers et en Flandre, mais aussi dans les CPAS wallons et bruxellois.
Avec les mêmes conséquences que pour les chômeurs : faire pression à la baisse sur les conditions de travail et les salaires de l’ensemble des travailleurs.
Nous avons donc souvent l’impression que les CPAS sont schizophréniques : dénonçant l’ONEM pour des choses qu’ils font eux-mêmes.
Ensemble contre la chasse aux pauvres
Je terminerai par ce qui nous mobilise au quotidien dans notre association. Les usagers des CPAS ont de plus en plus de difficultés à faire valoir leurs droits. L’examen de la demande est devenu un véritable parcours du combattant. La somme de documents à fournir est impressionnante. Les conditions à respecter s’accumulent, entre autres au travers de la signature obligatoire pour les jeunes d’un contrat d’intégration. Les enquêtes sont de plus en plus intrusives : obligation de fournir les extraits de compte bancaires des trois voire des six derniers mois, visites à domicile à l’improviste, fouille en règle des habitations à la manière dont pratiquaient les inspecteurs de l’ONEM de sinistre mémoire. Le soupçon de fraude à la résidence ou à la cohabitation est omniprésent. La notion d’urgence n’existe plus. Si tout cela n’est pas une généralité, ce n’est pas non plus une exception.
Les problèmes financiers n’est pas la principale explication. Le problème est plus profond. Il participe d’une forme de chasse généralisée aux pauvres.
Je n’ai pas le temps de développer toutes les revendications qu’il faudrait mettre en avant. S’il en est deux qui me paraissent vraiment fondamentales actuellement, et qui concernent l’ensemble des allocataires sociaux, ce sont les suivantes : la suppression du taux cohabitant, un véritable poison ; et la fin de la dite lutte contre la fraude sociale qui amène non pas à traquer les fraudeurs, mais à ne pas accorder les droits élémentaires à ceux qui remplissent pourtant les conditions.
S’il est vrai que chaque lutte a ses spécificités, il est également vrai qu’elles ne seront victorieuses que si elles ne sont pas isolées.
Je vous propose donc de considérer dès maintenant la défense des usagers des CPAS comme faisant partie intégrante de notre lutte commune contre une politique qui ne fait qu’accentuer la pauvreté d’un grand nombre et augmenter la richesse d’un tout petit nombre ».
- Bernadette Schaeck prendra la parole à la conférence-débat organisée par la Formation Léon Lesoil, le jeudi 26 février, à 19h30, rue Sœurs de Hasque, 9-Liège, sur le thème : « Sécurité sociale : stop au démantèlement » ! Y prendra également la parole Matéo Alaluf, docteur en Sciences Sociales, ULB.
- Sur le même sujet, le dossier « Michel 1er et la chasse aux chômeuses » et « Fin de droit aux allocations : chronique d’un séisme social annoncé » , in La Gauche, n°71, février-mars 2015.