Déjà en mars de cette année, quand, suite à l’annexion de la Crimée, une marche réunissait plusieurs milliers de personnes contre les aventures impériales du gouvernement russe, la gauche radicale avançait en première ligne du cortège derrière une énorme bannière scandant « C’est toujours le peuple qui paie la guerre. » Il n’aura fallu que 6 mois pour que cette vérité soit à nouveau confirmée de manière dramatique, dans le contexte d’une stagnation de l’économie nationale rampante, qui produit déjà des effets sur le niveau de vie de millions de simples citoyens russes.
Ainsi, d’après les données officielles, le prix des denrées alimentaires a augmenté de près de 8% ces 9 derniers mois. Selon les sondages, l’augmentation brutale du coût de la vie inquiète plus de 60% des habitants de Russie. L’inflation fait suite à une chute catastrophique du cours de la monnaie nationale (depuis le début de l’année, le prix de l’euro en rouble a augmenté de 11%, celui du dollar de 20%), elle-même liée à la fuite progressive du capitale (plus de 50 milliard de dollars pour la première moitié de 2014). La perspective toujours plus nette d’un crash économique n’est qu’en partie liée aux sanctions internationales. La crise en cours est en fait systémique et prédéterminée par le modèle du capitalisme post-soviétique, basé essentiellement sur l’exploitation des ressources naturelles (pour 2014 le pétrole et le gaz représentent plus de 70% des exportations russes).
La crise de ce modèle économique conduit inévitablement à la crise de son modèle social : à la veille de 2015, l’élite russe doit réviser radicalement l’entièreté de sa politique budgétaire. L’un des principes directeurs des années de « stabilité » poutinienne a consisté à augmenter progressivement les salaires dans le secteur public. L’augmentation des revenus de la population, qui recevait sa part – certes maigre – de tarte dans le partage des revenus du pétrole, devait garantir loyauté politique de celle-ci. En dépit des réformes néo-libérales dans l’enseignement et les soins de santé, qui visaient à faire baisser les dépenses publiques et à promouvoir différentes formes de « partenariats public-privé », les dépenses sociales de la population étaient compensées à coût de diverses subventions. L’extension du Fonds de Réserve qui, en temps de crise, peut faire office de « coussin de sécurité » pour une économie russe dépendante de la conjoncture des prix du pétrole, a été une autre caractéristique de la politique budgétaire de Poutine ces 10 dernières années.
Cependant, la chute actuelle du prix du pétrole ne laisse planer aucun doute sur ce que les dépenses publiques vont sérieusement en pâtir (par exemple, le budget de 2015, qui a déjà été adopté, tablait sur un baril à 105 dollars, alors que on prix est aujourd’hui à moins de 80 dollars et qu’il continue de baisser). Les moyens énormes qui s’accumulent au Fonds de Réserve ne cessent de fondre, principalement à cause du rachat des dettes de grandes entreprises et des banques, notamment celles de la principale compagnie pétrolière du pays, Rosneft, qui a récemment demandé près de 40 milliards de dollars « d’aide » à l’État.
Alors que les dépenses pour la défenses et la police, qui sont déjà supérieures à celles de l’année passée, seront très peu probablement révisées, les attaques sur le secteur public on déjà commencé. Ainsi, la fermeture progressive de quelques dizaines d’hôpitaux de Moscou jugés « économiquement injustifiés » a déjà été annoncée en octobre. En réponse à ce plan, une action massive a rassemblé dans le centre ville médecins et des milliers de citoyens inquiets et mécontents des coupes claires dans les soins de santé. Dès la fin novembre, une action en défense de la santé doit avoir lieu à travers tout le pays, organisée par les syndicats indépendants. Le regain de mécontentement social dans l’année qui vient est inévitable. La question est de savoir si ce mécontentement verra émerger de vraies alternatives au système actuel, qui se jette à toute vitesse dans l’abîme.
(traduit du russe par Matilde Dugaucquier)