Pointant la croissance constante de la violence envers les femmes, l’expression « rape culture » revient de plus en plus souvent. Retour sur cette notion peu connue.
Différents termes viennent à l’esprit pour qualifier certains phénomènes de la société actuelle : backlash, moralisation, etc. Il reste certain que l’impression est de se ramasser jour après jour des attaques de plus en plus violentes, que ce soit sous la forme du racisme, de violences de classe, d’homophobie ou de sexisme. Pour ce dernier cas, la succession de votations remettant en cause les droits des femmes, d’abord avec l’initiative de l’UDC sur les familles basée sur un discours du retour des femmes à la maison, puis avec l’initiative pour le non-remboursement de l’avortement, incarne l’existence d’une attaque coordonnée contre la liberté des femmes et l’égalité constituée en véritable projet. La brutalisation de la misogynie se voit notamment dans la culture du viol ou rape culture. Ce terme a été élaboré par les milieux féministes dès le début des années 70 pour d’une part apporter une critique de la représentation sociale du viol, et d’autre part faire sortir ce dernier du seul crime individuel pour comprendre sa signification collective : à savoir comment il s’insère dans un milieu culturel qui y incite ou du moins le tolère.
La culture du viol est une culture où le discours dominant encourage celui-ci en le banalisant, en en faisant quelque chose de naturel voir d’érotique pour les hommes, et en blâmant les victimes. Dans ce type de discours, la femme est à la fois réifiée, comme objet du désir sans droit au refus, et responsabilisée car la victime d’un viol « y serait forcément pour quelque chose ». La culture du viol naturalise le viol en en faisant un élément inévitable, qui serait le fruit d’instincts irrépressibles. Elle propage de plus des clichés racistes infondés en laissant croire que les viols sont avant tout commis par des étrangers, alors que statistiquement on sait que les violeurs sont majoritairement des personnes connaissant la victime (74 %).
La contrainte comme nouvelle drague
Les façons dont le viol est représenté à travers différents lieux communs sont connues. La plus célèbre étant celle qui voudrait qu’une victime de viol est en partie responsable en raison de son habillement. Le mouvement des Slutwalk est justement né en réaction à de tels propos proférés par un policier de la ville de Toronto, demandant aux femmes de ne pas s’habiller comme des salopes (slut). Les recommandations faites aux femmes par la Prévention suisse contre la criminalité vont dans le même sens : « Ne laissez jamais paraître que vous êtes une femme qui vit seule (le soir, fermez les volets, les stores ou tirez les rideaux). Dans l’annuaire et sur la porte d’entrée, n’indiquez que la première lettre de votre prénom. » Ces recommandations sont liberticides et font de la victime une responsable partielle. Ce type de discours est intolérable et s’oppose aux libertés des femmes. Dans quel état de guerre vivons-nous encore pour que l’appartenance à un sexe implique de devoir rester en permanence sur ses gardes ?
La banalisation du viol passe aujourd’hui également par son traitement humoristique. Ainsi, une vidéo postée par un animateur radio de la chaine NRJ est censée montrer comment en quelques minutes et quatre questions, il est possible d’embrasser une inconnue. La vidéo le montre ainsi embrasser des filles esseulées, en leur tenant le visage avec les mains en cas de refus. Ce type de vidéo n’est pas un cas isolé, d’autres exemples se multiplient actuellement. Faire passer des formes de harcèlement pour quelque chose de drôle, alors même qu’une femme sur six est victime de viol ou de tentative de viol (chiffres pour la France en 2012), est criminel de par la banalisation d’un tel acte.
Les chiens sont lâchés
Plus loin que cette culture de la banalisation, on rencontre de plus en plus souvent une misogynie dont la violence est explicite. Comme c’est le cas pour le racisme, ce type de discours semble se sentir de plus en plus légitime à advenir dans l’espace public. Ainsi, internet est devenu via les forums et les commentaires un espace où s’exprime la haine des femmes au quotidien. Mar-lard, qui a dénoncé le sexisme ambiant autour des jeux vidéo (voir solidaritéS nº 228), ne peut plus intervenir sur internet sans subir une pluie d’insultes, allant jusqu’à la menace de viol.
Récemment, un jeune groupe de musique vaguement branché, Chvrches, a publié via Facebook une demande adressée aux fans de ne plus envoyer de messages impliquant une objectification de la chanteuse, que ce soit sous la forme polie d’une demande de rendez-vous à celle plus violente de désir non partagé de rapport anal. S’en est suivi une avalanche de commentaires. Parmi eux, nombreux représentent des formes de harcèlement pour le moins explicites, avec à nouveau des menaces de viol. On pourrait multiplier les exemples de ce type d’agression sur internet. Lorsqu’une femme s’y oppose, c’est à chaque fois pour se faire traiter de personne coincée, puritaine et se voir menacée violemment.
C’est contre ce sexisme ordinaire, de la blague suggestive à l’agression explicite, que de nombreuses femmes mobilisent l’expression de rape culture pour dénoncer cette culture du viol omniprésente, renouvelant le combat féministe et en rappelant l’actualité. La réaction haineuse qui leur est opposée souligne encore combien la misogynie est une réalité violente de notre société au quotidien et contre laquelle il s’agit de lutter au jour le jour, encore et toujours.
L’image vient de l’excellent Projet Crocodiles
source du texte: solidaritéS