Des scientifiques de l’université de Groningue (Pays-Bas) étudient depuis des années les populations des barges dans les prairies néerlandaises (1). Les Pays-Bas hébergent environ la moitié des barges européennes. Et cette population diminue d’année en année (avec un taux de décroissance de 3% par an).Cela fait déjà longtemps que nos prairies ne sont plus des champs naturels où poussent herbes et fleurs, elles sont devenues des surfaces de production intensive d’herbes hautement productives qui pourront être fauchées le plus tôt possible. Ces prairies « modernes » ont été drainées et sont fortement enrichies d’engrais chimiques pour favoriser la croissance de l’herbe. Le foin ainsi obtenu va nourrir des vaches laitières qui de plus en plus restent toute l’année confinées dans leur étable. Les sols des prairies sont devenus trop compacts pour laisser passer les becs fins des jeunes barges à la recherche de vers de terre. A la recherche de nourriture, les jeunes barges échappent à la surveillance de leurs parents. Ils deviennent une proie facile de prédateurs divers, rongeurs et rapaces. Cette année de nouveau, les oiseaux n’ont pas pu élever un nombre normal de jeunes ; à la fin du mois de mai on a observé des centaines de barges se rassembler pour retourner en Casamance (Sud du Sénégal). C’est un mois plus tôt que ce qui fut normal dans le passé !
Et c’est précisément devenu un grand problème pour les paysans riziculteurs en Casamance à 5000 km des prairies néerlandaises! Les barges arrivent de plus en plus nombreuses juste au moment ou les paysans sèment les graines de riz dans leur champ. Ces graines disparaissent directement dans les estomacs des barges revenues trop tôt.
Les paysans ont finalement dû changer leurs méthodes. Ils sèment les graines dans de petits champs entre les maisons du village, là où les barges ne s’aventurent pas. Mais ceci donne bien plus de travail puisqu’il fait replanter les petits plants de riz manuellement dans les champs.
Mais pourquoi nos paysans continuent-ils avec de telles méthodes polluantes dans les prairies? Parce que l’agrobusiness est une industrie caractérisée par une concurrence féroce sur le marché mondial. Et quand on parle de concurrence, on parle de la loi du plus fort. Jusqu’au premier avril 2015, des quotas laitiers étaient en vigueur au sein de l’UE, si on produisait plus que son quota, on devait payer une amende. Dans le passé ce mécanisme avait été mis en place pour éviter la surproduction. Mais la perspective de l’abolition des quotas cette année, avait déjà incité des producteurs à augmenter leur production laitière dès 2014 aux prix du lait encore avantageux. Mais cette année a vu une baisse de la consommation de lait en Chine et le boycott du lait de l’UE par la Russie. Conséquence inévitable: la surproduction et la dégringolade du prix du lait dans les pays de l’UE.
Malgré cette baisse récente de la consommation, la Chine reste très active sur le marché mondial du lait et du lait en poudre, et ceci depuis le fameux scandale de la melamine (2) en 2008, où près de 300.000 bébés sont tombés malades avec des calculs dans les reins et 6 bébés en sont morts.
Les grands producteurs de lait et de lait en poudre en Chine, ont construit des usines pour produire du lait et du lait en poudre à l’étranger. Par exemple, actuellement se construit à Carhaix en Bretagne, une grande usine qui fabriquera au minimum 120 millions de kilo de lait en poudre à partir de 300 millions de litres de lait. (3) Il existe actuellement aussi des usines qui produisent du lait à longue conservation au Kansas (E.U.) et à Modène (Italie). L’Allemagne et la Belgique viennent de signer leurs premiers contrats pour l’exportation de lait vers la Chine. Et l’université de Wageningen pourra construire un centre de recherche scientifique sur le lait grâce à un sponsor chinois. Le lait est considéré comme un produit de luxe en Chine, ainsi l’Australie exporte chaque jour 50.000 bouteilles de lait frais par avion vers la Chine ! La Chine vient d’importer des vaches laitières sélectionnées du Chili et du sperme de l’Australie pour inséminer les vaches chinoises. Finalement, n’oublions pas le plus grand exportateur de lait du monde, la Nouvelle Zélande. Ce pays est en train de libéraliser l’exportation de lait et de kiwis vers la Chine. Les fermiers grands producteurs de lait industriel, ne sont pas prêts à s’arrêter.
Et tant pis pour les berges dans nos prairies et pour les paysans de la Casamance.
(1) Selon le site néerlandais suivant http://www.natuurbericht.nl/?id=14338&Eid=16747
(2) La melamine est une résine industrielle qui avait frauduleusement été mélangée avec le lait dans plusieurs usines fabriquant du lait en poudre et presque plus personne n’a plus confiance dans le lait fabriqué en Chine.
(3) Jordan Pouille, « Razzia chinoise sur le lait », in Le Monde Diplomatique, septembre 2015
source image: ornithopix