Des écologistes allemands se plaignent de la grande concentration de nitrates dans le sol arable de certaines régions. D’où viennent ces nitrates ? Des Pays-Bas. Ce pays exporte contre un prix raisonnable un produit qu’il a de trop à cause de son élevage intensif de vaches et de porcs. Les Bataves font ainsi un double profit. Ce qui ne nous étonne pas d’un peuple de commerçants formé par la révolution commerciale du 17e siècle. Voltaire le disait déjà : si vous demandez à un Hollandais l’heure il exigera avant de sortir son oignon une récompense pécuniaire. La merde est devenue une marchandise comme une autre et fait donc partie de la marchandisation généralisée, la caractéristique fondamentale du mode de production capitaliste. La merde à trouvé sa place dans la mondialisation.
Il ne faut cependant pas jeter l’opprobre sur ce produit naturel expulsé par les mammifères (dont nous faisons parti) ou par les oiseaux (le guano). Il a joué un rôle des plus importants dans le développement de la civilisation. Les Romains fécondaient les dunes sableuses avec ce qu’ils récupéraient de la Cloaca maxima. Certains devenaient riche par la merde (l’argent n’a pas d’odeur). A la fin du Moyen Âge une amélioration substantielle de l’agriculture dans les Flandres fut réalisée grâce aux matières fécales : les « strontschuiten » (barques à merde) récoltaient le produit déposé dans les villes florissantes comme Bruges, Ypres et Gand au profit des agriculteurs. Ce système fut copié par les Anglais et a joué un certain rôle dans la capitalisation de l’agriculture dans le berceau de l’industrialisation. L’agriculture européenne du 19e siècle a bénéficié du guano avant que Haber inventa le procédé pour synthétiser de l’ammonium (base des engrais chimiques) mais il a également « inventé » utilisation des gaz de combat (l’ypérite).
N’oublions pas non plus la fonction de la merde humaine dans la civilisation chinoise. Dans une agriculture caractérisée par des petit lopins cultivés par une famille et exigeant une culture intensive, la merde familiale (en l’absence de bétail, quelques cochons exceptés) avait une importance vitale. Ainsi la merde participait à la richesse des empereurs, mandarins et autres seigneurs. Sans caca pas de boussole, d’imprimerie, du papier où de la poudre à canon, sans oublier des penseurs comme Confucius, Mencius ou Laotse.
L’évolution des primates à produit chez les singes hominides (chimpanzés, bonobos, orangs-outans, gibbons et humains) une aversion hygiénique envers la merde et donc bénéfique pour l’espèce. Un chimpanzé très fâché jette de la merde vers la personne qui le dérange. Il (ou elle) est donc conscient de la saleté qu’est la merde (mot grec qui signifie sale, mauvais), ce qui prouve que les singes hominidés ont une conscience et qu’ils pensent, comme l’affirment aujourd’hui les primatologues. Caco, ergo sum (je chie, donc je suis), pour répliquer à Descartes qui considérait à tort les animaux comme des machines non pensantes. La merde, matière bonne ou mauvaise selon les cas, nous apprend bien des choses.
image: Little Shiva (merci à Vice et Emojipedia)