1- La crise politique a commencé en Ukraine en novembre 2013 quand le président Ianoukovitch a décidé, sous fortes pressions russes, de ne pas signer l’association de libre-échange avec l’UE, en dépit de la campagne officielle menée par le Parti des Régions depuis des mois. Elle s’est déclenchée dans le contexte d’une profonde crise sociale et d’endettement qui plaçait le pays sous pression du FMI. La façon dont la décision a été prise par le pouvoir personnel du président, a donné force à la crainte populaire d’une nouvelle intégration de l’Ukraine dans un projet régional dominé par la Russie, et que cela accentuerait les dérives oligarchiques répressives et présidentielles du régime visibles depuis 2010.
Dès lors la crise fut loin d’opposer deux camps ou programmes clairement délimités : elle a révélé des différenciations et hésitations parmi les oligarques et élites, même au sein du Parti des Régions (du président), et – en dépit de différences culturelles, sociales et politiques entre différentes régions historiques du pays –, l’émergence des masses comme un facteur indépendant exprimant leur « indignation » et défiance envers les partis politiques – que ce soit par l’implication directe dans le mouvement Maïdan (surtout dans l’ouest et le centre du pays) ou de façon passive (dominant dans l’est russophone).
Une semaine de violence sanglante a imposé le point de vue des protestataires en faveur du départ immédiat du président Ianoukovitch. Ce n’est pas un « coup d’Etat » qui l’a renversé : son impopularité croissante est devenue rejet absolu devant l’horreur de quelques 80 victimes de ses snipers tirant à balles réelles contre les manifestants. C’est cela qui a produit, après des mois d’hésitation des institutions dominantes entre répression et dialogue, l’isolement radical du président dans son propre camp : le Parlement a voté sa destitution, pendant qu’une partie des forces de police et sans doute de l’armée se déclarait à Kiev, comme en régions, « du côté du peuple », et que la fuite vers la Russie du président était stoppée dans le Donetsk, au cœur de son propre bastion.
2- Ce mouvement, depuis le début, a présenté des traits combinés, à la fois révolutionnaires (démocratiques, anti-hiérarchiques, auto-organisé) et réactionnaires – dont l’issue globale est et demeure tributaire de luttes politiques et sociales. Ces traits ont été également profondément liés au caractère marquant l’actuelle société ukrainienne post-soviétique (atomisée, sans identité de classe claire, avec une dégradation de l’éducation et l’hégémonie des idées nationalistes réactionnaires dans la société – combinées avec un légitime attachement à l’indépendance nationale et l’héritage dramatique du stalinisme).
Nous soutenons le mécontentement et les aspirations populaires à une vie décente et libre dans un Etat de droit débarrassé de son régime oligarchique et criminel, exprimés dans le mouvement dit EuroMaïdan et dans le pays – tout en étant convaincus que l’Union européenne (UE) est incapable de les satisfaire, et en le disant.
Nous soutenons le droit du peuple ukrainien tout entier à décider et contrôler les accords internationaux négociés – ou rompus – en son nom, que ce soit avec la Russie ou avec l’UE. Avec une pleine transparence sur leurs effets politiques et socio-économiques.
Nous dénonçons toutes les institutions et forces politiques internationales ou nationales, quelles que soient leurs étiquettes, qui limitent la pleine et libre détermination de ces choix par la population, que ce soit par des diktats économiques ou financiers, par des lois et forces de sécurité liberticides, ou par des agressions physiques qui interdisent la pleine expression pluraliste des choix et désaccords. Sur ce plan, nous dénonçons tout autant les courants d’extême-droite que les forces de sécurité du régime, qui partagent d’ailleurs souvent la même idéologie réactionnaire, antisémite et nationaliste violemment exclusive.
Alors que les principales forces politiques organisées étaient de droite ou d’extrême-droite, nous soutenons les forces sociales et politiques qui ont cherché à construire une opposition de gauche au sein de ce mouvement. Elles ont ce faisant refusé de rester à l’extérieur de ce mouvement ou de l’assimiler à l’extrême-droite. Cette orientation autonome impliquait une difficile confrontation aux courants fascistes et l’accent sur la dénonciation de 25 ans de privatisations quelles que soient les partis politiques au pouvoir depuis l’indépendance du pays.
3- Après la chute du régime Ianoukovitch, le mouvement de masse lui-même, n’a pas de programme progressiste basé sur des revendications démocratiques nationales et sociales ou de force politique et syndicats indépendants implantés parmi les travailleurs – tout en étant imprégné d’espoirs de réels changements politiques et sociaux. Quels que soient les résultats des prochaines élections, des désillusions populaires suivront. Et quels que soient les accords conclus avec l’UE, les nouveaux partis au pouvoir poursuivront les attaques sociales, avec le risque de confrontations intérieures conduisant le pays à la désintégration. La gauche alternative doit répondre aux espoirs et illusions populaires par ses propres propositions sur les enjeux sociaux, lingistiques, démocratiques, contre les divers partis de droite.
Nous espérons que la population ukrainienne trouvera ses propres formes auto-organisées d’expression autonome de ses exigences concrètes et de défiance envers les partis dominants, dans toutes les régions du pays.
Comité international de la Quatrième Internationale, le 25 février 2014