La bataille ne fait que commencer
La Gauche a rencontré Delphine Latawiec, Secrétaire nationale CNE et responsable du secteur commerce, pour évoquer la situation sociale chez Delhaize où la direction a annoncé, peu avant l’été son intention de supprimer 2.500 emplois (790 emplois en fermant 14 magasins, 1.600 dans les autres magasins, et 50 emplois dans les services centraux) et de revoir la politique salariale vers plus de flexibilité. Spontanément le personnel était parti en grève pendant plusieurs jours dans un certain nombre de magasins. Les négociations doivent s’ouvrir après l’été.
La Gauche : L’annonce de la restructuration importante est-elle une surprise totale ou bien était-ce dans l’air depuis quelque temps?
Delphine Latawiec : Syndicalement je ne suis le dossier Delhaize que depuis une année. Dès les premières réunions auxquelles j’ai participé, la direction Delhaize se plaignait qu’il y avait un problème de coût salarial, qu’l fallait peut-être revoir certains conventions collectives.
LG : Pour la direction, est-ce que ces 2.500 emplois est un objectif à atteindre absolument ou bien est-ce un chiffre avancé pour se donner une marge de manœuvre dans les négociations avec les syndicats?
DL: On ne s’attendait pas à un tel carnage.Je peux me tromper mais j’ai un peu l’impression qu’ils ont annoncé un chiffre aussi élevé pour créer un choc. Et probablement tenter de réviser à la baisse les conditions de travail en échange d’un certain nombre d’emplois qui seraient « sauvés » sur les 2.500 annoncés. S’ils procédaient réellement à un nombre aussi élevé de licenciements, il est difficile de concevoir comment des magasins pourraient continuer à fonctionner. Il est probable que Delhaize compte réengager d’autres personnes, mais avec des nouveaux contrats plus précaires et flexibles.
A l’annonce de la restructuration, beaucoup de travailleurs ont réagi vite. Et pas nécessairement dans les magasins menacés de fermeture. Car il y a depuis des mois et des mois beaucoup de tensions dans les Delhaize. On mettait des notes aux dossiers pour n’importe quoi, on voyait qu’il y avait de moins en moins de personnel. On sentait que cela allait exploser.
Cette réaction massive du personnel a été quelque chose d’inédit car malgré une tradition syndicale, il n’y a pas une longue tradition de grève chez Delhaize. Les responsables syndicaux et les délégués ont donc été favorablement surpris de l’ampleur des actions qui ont éclaté et qui ont duré plusieurs jours dans un certain nombre de magasins.
LG : C’est maintenant à l’automne que la bataille va se jouer ?
DL : A l’annonce du plan de restructuration, en juin, le personnel était vraiment en colère et déterminé. On verra maintenant, après la période de congés, l’état d’esprit exact des travailleurs. Beaucoup estiment sans doute que Delhaize ne sera désormais plus comme avant. Mais surtout, nous ne connaissons pas encore le mode opérationnel de la restructuration. Jusqu’ici, dans les réunions avec la direction nous n’avons entendu qu’une langue de bois. Il faudra attendre le Conseil d’entreprise (CE) du 8 septembre pour en savoir plus.
LG : Le personnel de Delhaize dépend de la commission paritaire (CP) 202. Est-il techniquement possible qu’à l’issue d’une négociation le personnel soit rétrogradé dans une commission paritaire plus défavorable ?
DL : Non mais il faut savoir que les conventions collectives conclues en commissions paritaires sont un minimum. Et chez Delhaize on a pu obtenir au fil du temps des conditions qui allaient au-delà de ce qui est prévu en commission paritaire : des quarts d’heure payés des barèmes propres à l’entreprise. La direction voudra sans doute profiter du désarroi provoqué par la restructuration pour remettre en cause pas mal « d’acquis maison ». Par exemple, la flexibilité des horaires des anciens et tout ce qui dépasse seront des primes au mérite liées aux objectifs.
LG: Pour beaucoup de consommateurs Carrefour et Delhaize sont les deux grandes enseignes en Belgique. Ces deux chaînes de magasins appartiennent pourtant à des commissions paritaires différentes : la CP 312 pour Carrefour, la CP 202 pour Delhaize ? La condition du personnel est-elle meilleure en CP 312 ?
DL : Carrefour et Cora sont des hypermarchés qui appartiennent à la CP 312.Historiquement c’était la commission paritaire des grands magasins où les conditions de travail étaient les meilleures. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La comparaison est difficile à faire : ici on a une prime, ailleurs on a un quart d’heure de repos payé. Mais on constate que les conditions sont parfois plus favorables chez Delhaize ou chez Aldi en fonction des conventions d’entreprises.
LG : Cette fragmentation dans des commissions paritaires différentes n’est-elle pas un frein à la solidarité et à une action collective de tout le secteur commerce ?
DL : C’est un problème récurrent. En novembre 2008 Carrefour voulait ouvrir un hypermarché en franchise à Bruges. Ce qu’il a fait en fin de compte mais avec des conventions pour lesquelles nous nous sommes battus. A l’époque, la question de l’harmonisation des conditions de travail dans les différentes commissions paritaires du secteur est venue sur la table. Le problème est que chacun a sa vision de l’harmonisation : les syndicats veulent tirer les conditions de travail vers le haut, les patrons vers le bas, du style 201 (commerce de détail). Toutefois lorsque l’on négocie un accord national pour le secteur, les 3 grandes commissions du secteur (312, 202, 311) négocient ensemble. Par contre, les commissions 202.1 et 201 ont chacune un accord distinct.
LG : Quel pourcentage du personnel travaille à temps partiel ?
DL : Quand on pose la question à la direction de Delhaize, elle répond : « moitié, moitié ». Sauf que les cadres font tous temps plein. En magasin, (rayons, caisses) les temps partiels sont majoritaires.
LG : Les négociations avec la direction de Delhaize vont bientôt reprendre ?
DL : Je pense que ces négociations vont durer quelques mois. Nous avons reçu de la direction un long document et la discussion de ce document va probablement occuper plusieurs réunions car les questions sont nombreuses et les réponses parfois peu précises. Nous ne voulons pas commencer les négociations sur le plan social. Nous souhaitons d’abord envisager toutes les possibilités pour chercher d’autres pistes. Et là nous aurons besoin du rapport de forces. Je dois dire qu’en juin, c’était très encourageant de voir les magasins débrayer les uns après les autres, de voir aussi des comités de quartier organiser des actions de solidarité mais chacun y allait de son action, bien souvent sans concertation. Il sera important, dès que la mobilisation reprendra, d’organiser des réunions de coordination avec les comités de quartier ou de clients. Un collègue me rappelait il y a peu que dans une autre enseigne, par exemple, les travailleurs en lutte avaient demandé aux clients de ne pas venir faire leurs courses le vendredi. Cela désorganise complètement le travail car les produits frais (ex : le poisson) ne pourront être vendu les jours suivants.
LG : Comment la direction a-t-elle perçu les actions de grève de juin ?
DL : Je pense qu’elle a pris, pour la première fois, la mesure du mécontentement et qu’elle a compris que la restructuration ne passera pas comme une lettre à la poste. D’autant plus que la direction a constaté que dans certains magasins nous avons dû persuader les travailleurs de suspendre la grève en attendant la vraie bataille à la rentrée.Delhaize espère certainement terminer le conflit avant décembre qui est le mois où le chiffre d’affaires est le plus élevé dans l’ensemble du secteur.
Le secteur commerce
CP 201 | CP 202.01 | CP 311 | CP 202 | CP 312 | |
Qui ? | Magasins de – de 20 travailleurs ou non alimentaire de 20 à 50 travailleurs | Commerce alimentaire de 20 à 50 travailleurs | Commerce non alimentaire de + de 50 travailleurs | Commerce alimentaire à succursales multiples de + de 25 travailleurs | Carrefour HyperCoraHema |
Temps plein | 38h | 36h30 | 35h | 35h | 35h |
Enseignes | Franchisés, indépendants | Franchisés | H&M, Décathlon, Ikea, Pla IT, Trafic | Delhaize, Aldi, Colruyt | |
Contrats minimaux | 13h | 15h | 18h | 20h | 18h |
Prestation journalière | 3h min | 3h min | 4h min après 5 ans ancienneté | 4h min après 5 ans ancienneté | 4h min après 5 ans ancienneté |
Horaire en 4 jours ? | Non | Non | Oui si contrat <23h | Oui si contrat <23h | Oui si contrat <23h |