Denis Berger nous a quittés. Marxiste hétérodoxe, communiste dissident, universitaire non académique, il avait appartenu a la petite poignée de militants anticolonialistes qui, pendant la guerre d’Algérie, ont sauvé l’honneur internationaliste de la gauche française en soutenant activement le combat du peuple algérien. Denis Berger est le premier ami que j’ai eu en France. J’ai fait sa connaissance en 1963, quand il animait, avec Felix Guattari, La voie communiste. Il était chaleureux, doté d’un humour ravageur, allergique à tout dogmatisme. Pendant ces cinquante années, et au delà des accords ou désaccords que nous avons eus à tel ou tel moment, nous avons gardé ce don précieux et fragile : l’amitié. Lors de notre dernière rencontre, il y a quelques mois, j’étais à nouveau frappé par sa formidable lucidité politique et la fidélité obstinée à l’idée communiste de Marx.
Denis Berger va nous manquer…
Je me permets de reproduire ici, telle quelle, la notice sur lui que j’avais rédigée pour le Dictionnaire du Mouvement Ouvrier Français (le « Maitron ») il y quelques années. — Michael Löwy
Denis Berger 1932 – 2013
Denis BERGER, Paris (7ème arrondissement), 11 juin 1932. Dirigeant communiste oppositionnel, fondateur du journal La voie communiste, actif dans les réseau de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie. Enseignant au département de sciences politiques de l’Université de Paris 8 à partir de 1982.
Denis Berger a exercé une influence souterraine importante sur l’extrême-gauche française des années 50 et 60, en particulier à travers le journal La voie communiste, dont il fut le principal animateur. Malgré la grande diversité de ses engagements politiques et organisationnels successifs et souvent éphémères, l’adhésion à un communisme de gauche, antistalinien, anticolonialiste et anti-impérialiste, donne le fil rouge de sa vie militante.
Son activité militante commence en mars 1950, quant il adhère à la cellule étudiante du Parti Communiste Internationaliste (PCI), Section Française de la Quatrième Internationale. Sa première action importante sera la participation à la brigade de travail « 14 Juillet » -organisée par le PCI en solidarité avec la Yougoslavie – qui va contribuer à construire une Cité Universitaire à Zagreb (été 1950). De retour à la cellule étudiante du PCI, il participe aux ventes du journal trotskyste « La Vérité » aux portes de la Sorbonne, et se trouve dans l’obligation de se défendre contre des attaques musclées de militants du PCF. Lors d’un meeting le 9 février 1953, il va se confronter personnellement, à coups de gourdins, avec Le Pen et ses hommes, qui interviennent aux cris de « Vive la réaction ! ».
Lors de la scission du PCI, il se solidarise avec le courant de Pablo et Frank, et accepte de mettre en pratique l’orientation « entriste » adoptée par la majorité du Secrétariat International de la Q.I. (mais seulement la minorité du PCI). Il adhère donc en 1953 au PCF, où il devient membre – et bientôt secrétaire – de la cellule « Saint Just », composée d’étudiants d’histoire, où il côtoyé Alain Besançon, Claude Mazauric et Paul Boccara. Il reconnaît, devant ses camarades du PCF, avoir été un « trotsko-titiste », et se trouve, pour cette raison, écarté du comité de section. Parallèlement, il devient un des responsables du « travail entriste » du PCI, et bientôt membre de son Comité Central et de son Bureau Politique (1955).
Devenu instituteur à Saint Ouen en 1954, D.Berger passe à militer dans des cellules de banlieue du PCF. En 1956, suite au XXème congrès du PCUS et aux « événements » d’Hongrie, des courants dissidents apparaissent au sein du PCF. Felix Guattari, psychiatre ex-trotskyste, propose à des étudiants de la cellule de philo du Parti avec lesquels il est en contact -Lucien Sebag, Anne Giannini, et d’autres – la fondation d’un bulletin d’opposition interne : « Tribune de Discussion ». D.Berger rejoint ce groupe, qui va bientôt adhérer au PCI, et publier des prises de position radicales contre l’invasion soviétique en Hongrie. La « Tribune » entre peu après en contact avec un autre groupe de militants oppositionnels du PCF – Victor Leduc, Jean Pierre Vernant, Yves Cachin, Gerard Spitzer – qui a des opinions plus ambivalentes sur les événements hongrois, et qui avait crée son propre bulletin : « l’Etincelle ». Certains intellectuels oppositionnels – comme Henri Lefebvre et François Châtelet – collaborent aux deux bulletins, qui finiront après quelques discussions, par fusionner au printemps 1957, en produisant une publication conjointe sous le titre « Etincelle -Tribune de Discussion ». La dénonciation de Denis Berger et de ses amis comme trotskystes par l’ex-militante du PCI (devenue pro-soviétique) Michelle Mestre provoque le départ de Victor Leduc et de ses amis de « l’Etincelle » à la fin 1957.
Quelques mois plus tard Gerard Spitzer, qui avait rejoint le bulletin « La Tribune de Discussion », convainc le groupe à s’engager à fond dans la combat contre la guerre coloniale en Algérie. C’est à ce moment, début 1958, que Denis Berger décide, avec ses camarades, de lancer un journal, La Voie Communiste, qui se présente toujours comme une opposition interne du PCF, mais s’adresse en fait à un public plus large. Soutenu financièrement pendant une (très) courte période par J.P.Sartre, la publication aura comme principale ressource la clinique de Laborde, à Cour-Cheverny, où exerce Felix Guattari.
Pendant ce temps, un débat t s’ouvre au sein du PCI : tandis que D.Berger propose que le parti rejoigne un regroupement large avec des oppositionnels du PCF, limitant l’activité trotskyste à une revue théorique, Pierre Frank et la majorité – soutenus par les dirigeants internationaux, Michel Pablo et Ernest Mandel – insistent sur la construction du PCI comme noyau du parti révolutionnaire. La confrontation aboutit à la rupture et au départ fin 1958 de D.Berger et ses camarades – Lucien Sebag, Anne Giannini, Gabriel Cohen-Bendit, Felix Guattari.
La Voie Communiste, qui s’est renforcé avec l’adhésion de Simon Blumenthal, Roger Rey et d’autres, décide de soutenir le FLN, et prend contact avec la Fédération de France du mouvement indépendantiste algérien. Arrêté le 5 décembre 1958 avec un groupe de militants français et algériens – dont Moussa Khebaïli, chef de la willaya Paris-périphérie – D.Berger passe dix jours dans les caves de la DST, mais – contrairement aux militants maghrébins – n’est pas torturé, et finit par être libéré par absence de preuves.
Exclu du PCI fin 1958 et du PCF en 1960 – il avait en fait cessé de militer dans ce parti – D.Berger connaît aussi des difficultés internes dans La Voie Communiste, où il se trouve, pendant quelques temps, marginalisé. Il se consacre essentiellement, avec certains amis de la V.C. comme Roger Rey, à l’aide au FLN, en se spécialisant dans l’évasion de militants anticolonialistes.
Ainsi, le 7 janvier 1961, ils préparent, avec l’aide de Gerard Spitzer, lui aussi emprisonné à Fresnes, la fuite de Mohamed Boudiaf et deux de ses compagnons – Doum et Bensalem – mais seulement ce dernier réussira à partir. L’opération la plus réussie a été l’évasion de six femmes du réseau Jeanson – deux algériennes et quatre françaises (dont Micheline Pouteau et Hélène Cuénat) – de la prison de la Roquette en février 1961, et leur sortie clandestine de la France (vers la Belgique). En mai 1962, pendant les négociations d’Evian, les algériens demandent à Denis Berger et Roger Rey d’aider à l’évasion de leurs principaux dirigeants, Ben Bella, Ait Ahmed et Mohamed Khidder, enfermés au château de Turquant près de Saumur. D.Berger et ses amis trouvent une galerie souterraine qui mène aux caves du château, mais un coup de téléphone malencontreux de Ben Bella à Rabah Bitat (emprisonné à Fresnes) met la police aux aguets et fait avorter la tentative.