Féministes et miltant-e-s des droits des LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuel-le-s, transgenres) sont aujourd’hui courtisés par d’étranges alliés, qui ne défendent leurs droits que pour mieux envelopper leur racisme. Certain-e-s se laissent séduire, mais heureusement, d’autres savent résister à ce piège.
Chez nous, la N-VA participe bruyamment à la Belgian Pride, achète des pages dans le magazine gay et lesbien Zizo et publie des tribunes enflammées de dénonciation des violences envers les homosexuel-le-s… Violences attribuées, bien entendu, à « certaines cultures » (suivez mon regard) [3]. Faut-il rappeler combien les violences sexuelles à Cologne, lors de la nuit du nouvel an, ont suscité des vocations de défenseurs de l’intégrité des femmes, dans une Allemagne qui jusque-là, ne pénalisait guère ces violences, qui n’étaient reconnues comme telles que si la victime pouvait prouver qu’elle s’était défendue jusqu’à la dernière goutte de sang [4] ? Depuis, la loi a été modifiée.
Toutes ces indignations soudaines n’ont d’autre but que d’offrir une justification « respectable » à des positions racistes et plus particulièrement islamophobes.
On pourrait rejeter ces rodomontades d’une pichenette si elles restaient sans effet. Malheureusement, certain-e-s se laissent charmer par le chant des sirènes. Ainsi, une enquête indiquait qu’en France, un tiers de gays mariés avaient voté FN aux dernières régionales, en 2015, c’est-à-dire 5% au-dessus de la moyenne nationale, et juste en-dessous du score de la gauche qui avait pourtant introduit le « mariage pour tous » !
En Suisse, la très xénophobe Union démocratique du centre (UDC) a créé sa propre section gay. En Angleterre, les hooligans de la Ligue de défense anglaise ont voulu organiser une Gay Pride en plein cœur d’un quartier musulman de Londres. Quant aux organisateurs de la Gay Pride danoise, ils ont décerné le Prix de l’homophobie aux pays musulmans, alors même que des pays tout à fait chrétiens, comme l’Ouganda, ne se débrouillent pas mal non plus en matière de répression de l’homosexualité. En France, en 2011, devant la colère de plusieurs associations, les organisateurs de la Gay Pride ont dû retirer au dernier moment une affiche qui annonçait le défilé parisien avec un coq dressant fièrement sa crête.
Ces poussées de ce qu’on appelle désormais « homonationalisme » ont poussé la philosophe Judith Butler, théoricienne du mouvement « queer », à refuser en 2010 le Prix du courage civique que les organisateurs de la Gay Pride de Berlin s’apprêtaient à lui remettre. « Nous sommes enrégimentés dans un combat nationaliste et militariste », a-t-elle lancé pour expliquer son refus [5].
RESISTANCES
Un point de vue intéressant est défendu par la chercheuse et professeure de sociologie Sarah Bracke [6] : « Ce sont les Etats européens qui ont instauré, dans les pays colonisés, des lois réprimant l’homosexualité, comme une partie de leur mission civilisatrice. (…) Cette idée de « sexualité sauvage » est comme un fil rouge des rapports entre l’Europe et ses colonies. Elle était encore très présente jusque dans les années 1950. (…) Dans les dernières décennies, le mécanisme s’est renversé. Tout à coup, l’Europe a prôné une sexualité plus ouverte, qui n’était plus présentée comme « sauvage » mais comme « libérée ». Il faut replacer ce changement dans un contexte géopolitique. En pleine guerre froide, l’Occident s’est positionné comme territoire de la liberté, en particulier dans deux domaines : la liberté d’expression et les relations entre hommes et femmes ».
Quant aux réactions des dominé-e-s, embarqué-e-s du côté d’une droite qui n’a jamais œuvré à leur émancipation, Sarah Bracke a une explication : « A côté de nationalistes convaincus, il y a aussi des militants qui tout simplement, ne voient pas le piège. Il y a là un manque de lucidité politique, mais aussi sans doute une volonté de préserver des privilèges ».
Il semble donc utile de rappeler que l’opposition entre catégories de dominé-e-s ne profite, finalement, qu’aux dominants, et qu’il est illusoire de croire que l’émancipation des un-e-s peut se bâtir sur la discrimination des autres.
Notes :
[1] Le + désigne d’autres catégories de personnes, les queer, les intersexes…
[2] Libération, 14 janvier 2016
[3] Tribune parue dans Brussel Deze Week, 11 mai 2012, « Geen fierheid zonder moed ». Le « courage » version N-VA consistant à désigner l’homophobie comme une tradition culturelle (devinez laquelle). Les ASBL Merhaba, Garance, Ella, Kif Kif et le MRAX leur ont répondu dans une autre tribune, intitulée « A propos de l’homophobie, des allochtones et du courage » et qu’on peut retrouver, ainsi que la tribune de la N-VA, sur le site www.bruzz.be.
[4] Voir www.garance.be/cms/ ? Lecons-de-Cologne
[5] Le Monde, 12 avril 2016