Notre camarade André Henry a écrit ses mémoires, qui retracent une des plus belles pages de l’histoire du mouvement ouvrier après-guerre: L’épopée des verriers du Pays noir. Nous avons demandé à une série de personnes de différents milieux de la gauche de commenter cet ouvrage. Nous publions ci-dessous la contribution de Frédéric Michel, Secrétaire Régional de la Centrale Générale FGTB de Mons-Borinage. Les textes déjà publiés sont consultables ici. —LCR web
J’ai lu avec attention et intérêt le récit de vie de notre camarade qui nous relate tous ses combats syndicaux.
Ce genre de propos est toujours très intéressant dans la mesure où il nous amène à questionner notre pratique syndicale contemporaine.
En guise de commentaire, je vais définir quatre éléments structurels qui ressortent avec force de cet ouvrage et qui constituent ou devraient constituer de tout temps des éléments majeurs du travail syndical.
1. La première question fondamentale est celle du type de syndicalisme à appliquer sur le terrain. Il faut privilégier au maximum la concertation sociale. Si nous pouvons arriver à des compromis acceptables pour les travailleurs par la concertation, il faut les faire. Mais effectivement, à partir du moment où la concertation ne porte pas ses fruits, il faut pouvoir passer à un autre type de syndicalisme, à savoir le « syndicalisme de combat ». Quand l’employeur perçoit que nous avons les capacités de le faire, nous obtenons fréquemment de meilleures conditions de travail et conditions salariales pour les travailleurs. Le secteur de la chimie dans la région de Mons Borinage qui comprend une dizaine d’entreprises importantes en est un bon exemple. En effet, malgré que l’on soit dans un secteur syndicalement assez fort, les conditions salariales dans les entreprises sont très différentes en fonction principalement de notre capacité concrète à passer à l’action.
2. On en arrive au deuxième point majeur, à savoir le « rapport de force ». Le syndicat est un « contre-pouvoir » et il doit savoir utiliser le rapport de force. Une grande partie du travail syndical consiste donc à fédérer et rassembler les travailleurs. Dans les secteurs et les entreprises, il faut penser collectivement et agir collectivement. Attention, cela ne veut pas dire que le travailleur doit « s’oublier » dans le collectif. Cela signifie que le collectif est supérieur à l’individu et également à la somme des individus. Le rapport de force n’existe que par le collectif.
3. Dans le but de constituer un collectif fort, il est essentiel d’accorder une place majeure aux débats et aux discussions entre camarades. Bien souvent, on se rend compte que le patronat tente de limiter les assemblées. Or, stratégiquement, ce n’est qu’en discutant un maximum entre nous, en échangeant nos idées que nous allons être plus forts et plus solidaires. Une des actions syndicales que nous menons régulièrement à la Centrale générale de Mons Borinage est la réalisation, en cas de tensions avec la direction, d’assemblées à intervalles réguliers (toutes les semaines voire tous les jours). Outre l’aspect essentiel d’information et d’échange avec les travailleurs, cette action impacte lourdement la production sans que les travailleurs ne subissent de perte de salaire.
Par ailleurs, des discussions doivent être menées à un niveau local, national, européen et mondial. On se rend compte, sur le terrain, que les employeurs mettent tous les sites de production en concurrence afin de limiter un maximum la coopération. L’objectif du travail syndical va être de rapprocher les travailleurs et de les solidariser. Par exemple, dans le secteur de la transformation du papier et du carton, les multinationales publient mensuellement des données chiffrées de chacun des sites de production dans le but notamment d’attiser la concurrence entre ceux-ci notamment au niveau national. Un des moyens concrets pour parer à cette stratégie patronale est de rentrer un cahier de revendication commun aux différents sites belges.
4. Cette idée de collectif doit aussi transparaître dans l’équipe syndicale. En lisant cet ouvrage, on comprend que derrière la force et le charisme d’un délégué, il est nécessaire de constituer une équipe syndicale. On le remarquait déjà à l’époque et on le remarque encore aujourd’hui. En effet, nous sommes très forts dans les entreprises où nous avons constitué un bloc avec des délégués complémentaires. Dans ce cadre l’employeur est démuni car il ne sait pas par quel bout prendre la délégation. On entend régulièrement que des délégués syndicaux sont licenciés et bien souvent l’employeur n’hésite pas à mettre sur la table une importante somme d’argent. A partir du moment où il y a une équipe avec 4 ou 5 délégués performants, cette stratégie patronale perd une partie de son sens.
Pour conclure, les idées de « syndicalisme de combat », de « rapport de force », de « collectif », de « débats, discussions », de « solidarité » et « d’équipe syndicale » qui ressortent de cet ouvrage ont été et doivent continuer à constituer des fondements du travail syndical.
—Frédéric Michel
Secrétaire Régional Centrale Générale FGTB de Mons Borinage
Président de la FGTB de Mons Borinage