Jusqu’à la visite récente du ministre-président flamand Kris Peeters en Chine – pour vendre des chevaux, dit-on – on parlait très peu de l’Empire du Milieu dans les médias, et pour ne pas en dire grand chose. En tout cas pas plus que Kris Peeters, qui s’est dit impressionné par le dynamisme économique chinois « de type différent », a souhaité voir plus de Belges à « sang chaud » dans ce pays!
Nous publions ci-dessous un dossier sur la Chine, cette puissance capitaliste dont on parle très peu dans les écrits et les discussions actuelles de la gauche. Ces articles expliquent la transformation tranquille qui a mené l’Etat ouvrier dégénéré bureaucratiquement de jadis au développement d’une bureaucratie capitaliste pour déboucher sur le capitalisme bureaucratique prédateur actuel. Les auteurs nous présentent aussi, dans un style très pédagogique, la naissance et la réalité de la nouvelle classe ouvrière chinoise. Une classe ouvrière « très disciplinée et relativement éduquée, qui est le résultat combiné d’un Etat très répressif, mais né d’une révolution. Ce qui continue à contribuer à faire de la Chine l’atelier du monde ». A lire !
Face à un capitalisme sauvage et despotique, la renaissance du mouvement ouvrier chinois?
Par Yann Cézard
Un spectre hante depuis longtemps l’occident : « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera. » Elle s’est « réveillée ». Elle est à nouveau une grande puissance mondiale, et ce nouvel « atelier du monde » est en train de le changer profondément, en chamboulant les rapports de forces entre puissances, en faisant accéder plus d’un milliard d’êtres humains à une vie nouvelle, mais aussi en amplifiant, dans le monde entier, la concurrence commerciale au détriment des salaires, la montée du prix des ressources naturelles, la crise écologique. Son avenir est maintenant une question mondiale.
Ce dossier ne s’interroge pas sur les angoisses de l’homme blanc face au péril jaune, genre tristement à la mode aujourd’hui, mais sur ce que peut espérer le peuple chinois. Un développement durable ou une catastrophe économique et écologique ? La démocratie ou une dictature prolongée du parti « communiste » chinois ?
Un nouveau Rêve chinois ?
La « cinquième génération de dirigeants » qui vient d’accéder au pouvoir à Pékin a sa réponse. Le discours officiel ne nie pas vraiment les contradictions, tant internes qu’externes, de la croissance actuelle.
Tirée par des exportations et des investissements massifs, elle repose sur les bas salaires, la précarité et la discipline de caserne imposés à la classe ouvrière, et une destruction terrifiante des équilibres écologiques et des ressources naturelles. Jusqu’à quand ? Les grands marchés de la planète n’absorberont pas indéfiniment toujours plus de marchandises chinoises, la faiblesse des salaires limite l’augmentation de la demande intérieure et un développement économique plus en profondeur, l’industrie chinoise doit importer des matières premières toujours plus chères. Et l’exploitation de la classe ouvrière finira par trouver une limite : la résistance ouvrière elle-même.
L’histoire ne va jamais en ligne droite. Il serait absurde de partir de la trajectoire économique chinoise des trente dernières années pour la projeter indéfiniment dans l’avenir. Les dirigeants chinois, qui connaissent un peu de « dialectique » et beaucoup d’histoire du capitalisme, le savent. Du point de vue non de la justice sociale ou de la dignité humaine, mais du profit capitaliste lui-même, la croissance chinoise, sur ses bases actuelles, n’est pas soutenable.
Le gouvernement de Pékin promet donc un « nouveau modèle de croissance ». Après la « construction socialiste » sous Mao, « l’économie socialiste de marché » sous Deng Xiaoping et ses successeurs Jang Zemin et Hu Jintao, viendrait « la société harmonieuse ». Une société de consommation de masse, où la croissance économique serait tirée par la demande intérieure, l’économie moins gourmande en ressources naturelles, les inégalités atténuées. Le tout… sous la tutelle éclairée du parti communiste chinois.
Car le Parti se présente bien sûr lui-même comme la nouvelle incarnation de l’ancienne bureaucratie mandarinale qui fit la grandeur historique de l’Empire du Milieu, comme le représentant du peuple tout entier, au-dessus des classes sociales, libérant les forces du marché tout en les dominant.
Sauf que l’histoire ne chemine pas ainsi. Si le capitalisme a développé dans certains pays, à un moment de sa longue histoire, et pas forcément pour toujours, une consommation de masse accompagnée de libertés politiques et de droits sociaux, ce ne fut pas le résultat de la vision géniale de ses élites, mais de la lutte de classe, et à travers des épisodes historiques tragiques.
L’Etat chinois : problème ou solution ?
Certes, pour les entreprises chinoises, l’Etat national chinois, legs de la révolution maoïste, est un atout majeur. Il étouffe encore avec succès les luttes de la classe ouvrière et des paysans. Il tient la dragée haute aux grandes puissances et aux multinationales. Il manœuvre pour l’accès aux matières premières. Il négocie l’accès à son marché intérieur contre des transferts de technologie et des contreparties commerciales. Maître de ses frontières, y compris financières, il peut d’une certaine façon réguler l’activité économique, privilégier le développement de tel secteur, décider des investissements massifs ciblés.
Sauf que l’Etat chinois n’est pas ce « despote éclairé » qu’il prétend être. Quelle est la nature du capitalisme chinois, et de l’Etat qui le cornaque si puissamment ? Dans son livre China ‘s Rise, Strength and Fragility, Au Loong Yu le qualifie de « capitalisme bureaucratique ». Ce n’est pas un « capitalisme d’Etat », où l’Etat aurait marginalisé la bourgeoisie privée et le marché pour assumer lui-même les fonctions d’accumulation du capital. Ni un simple « capitalisme autoritaire ».