On dit méchamment que les journalistes savent tout sur rien. C’est vrai pour certains. Voici un exemple qui concerne la Belgique, petit pays mal connu du grand public. Il s’agit d’un article paru dans le New York Times du 23 septembre 2013 à propos de la commémoration de la Bataille de Waterloo de 1815 où Napoléon fut vaincu pour de bon. Ce commentaire d’outre-atlantique me fait penser à l’article que publièrent jadis Jean-Loup de la Batellerie et Walter Rizotto dans Paris Flash sur les fiançailles de Bianca Castafiore et du capitaine Haddock. On y apprenait que Gand est le joyau des Ardennes belges, célébré pour ses tulipes et que le capitaine est un amiral qui habite Moulinserre.
Selon l’auteur du distingué quotidien américain, un certain John Tagliabue (l’italien bue signifie entre autres bœuf et imbécile), la Belgique n’existait pas en 1815, ce qui est vrai, mais il poursuit en déclarant que la population néerlandophone appartenait aux Royaume des Pays-Bas et la partie francophone était intégrée à la France. C’est faux: tout le territoire de la Belgique actuelle faisait partie de l’Empire français. Et les élucubrations continuent. On apprend que les Wallons combattaient du côté de Napoléon et les Flamands du côté britannique. En réalité aussi bien les soldats wallons que flamands levés dans le territoire de la future Belgique (née en 1830) devaient se battre sans grand enthousiasme pour Napoléon. Monsieur Tagliabue, vous auriez dû consulter au moins Wikipedia !
Cette inculture historique du journaliste en question lui donne pourtant l’explication de la question communautaire qui bouscule la Belgique, royaume des Saxe-Cobourg qui compte aujourd’hui deux rois (Philippe et Albert), trois reines (Mathilde, Paola et Fabiola), cinq gouvernements (fédéral, flamand, wallon, allemand et bruxellois), deux communautés (flamande et francophone), trois régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles) et dix millions d’habitants. Il faut insérer dans ce schéma la communauté allemande mais j’ai oublié comment. Vous comprendrez que c’est une affaire bien compliquée, la Belgique. Elle ne se résume pas à une casserole de moules accompagnée de frites à la mayonnaise.
Quelle est donc cette explication historique de la question communautaire selon Tagliabue ? Elle est tellement simple qu’on aurait dû y penser depuis longtemps : les Flamands étaient contre le code Napoléon et pour le droit coutumier, mais les Wallons pour ce code et contre ce droit. Ils se sont battus entre eux à Waterloo. Aucun des deux ne l’a jamais oublié. Ils sont toujours rancuneux. Les problèmes belges ne sont donc pas dus à Voltaire ou à Rousseau, ni à la politique discriminatoire de la haute société francophone envers les Flamands, ni au nationalisme réactionnaire d’une partie des Flamands, ni aux problèmes soulevés par la crise économique. C’est tout simplement « Waterloo, morne plaine, donnez lui quand même à boire disait mon père », etc.
Monsieur Tagliabue est arrivé à cette conclusion historique en consultant des gens de la haute parmi lesquels le comte Georges Jacobs de Hagen (industriel) et la comtesse Nathalie du Parc Locmaria (auteure et publiciste). Malgré ses idioties il m’a pourtant appris une chose bien réelle que j’ignorais complètement et que j’aurais dû savoir. Les Wellington ont hérité de leur ancêtre qui commandait les forces coalisées contre l’Empereur, les terres autour de Waterloo, un pactole qui leur rapporte autour de $160.000 par an. Il y a quelques années des voix se sont élevées contre cette spoliation par l’aristocratie anglaise. Mais Didier Reynders, ministre de son état et de l’État fédéral, a informé le parlement qu’il n’était pas question de nationaliser le domaine belge des Wellington, dont la propriété leur avait été octroyée par le Traité de Londres de 1839 qui garantissait l’indépendance de la Belgique sous la protection des grandes puissances, dont la Grande-Bretagne. La souveraineté est une chose relative.
La question qui se pose et qui n’est pas très originale est la suivante : pouvons-nous faire confiance à la presse ? Ask a stupid question et vous aurez une réponse idiote.
(La semaine prochaine : Stephen Jay Gould, scientifique et socialiste radical)
photomontage « Welly moules frites »: Little Shiva
publié également sur le blog du NPA du Tarn