En quittant l’Angleterre après un séjour de plusieurs années, une dame m’avait offert, comme souvenir, un livre sur la gastronomie de ce pays. Ne souriez pas ! L’expression « English cuisine » sonne dans les oreilles des anglophobes comme un oxymoron, tout comme « clair obscur », « guerre humanitaire » ou autres « insoutenables légèretés ». Mais les pourfendeurs de la perfide Albion exagèrent. Les Anglais offrent aux allochtones quelques bons trucs comme le Yorkshire pudding ou des plats indo-pakistanais. Un « tea » vers 4 pm dans un luxueux hôtel (par exemple le Parsonage à Oxford) remplit son homme d’excellents sandwiches, de succulents gâteaux, etc. Des « kippers » à l’écossaise pour petit déjeuner valent le détour.
Depuis une vingtaine d’années, l’étude historique de la nourriture et de la gastronomie des différentes cultures est devenue un sujet des plus sérieux. Il s’agit d’ailleurs d’études matérialistes. L’Opéra de quat’sous proclame avec raison « Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral ! » : d’abord la bouffe, et ensuite la morale. Je possède par rapport à la question du matérialisme gastronomique différents ouvrages intéressants parmi lesquels Food – A History (F. Fernández-Armesto), Dangerous Tastes – The Story of Spices (A. Dalby), et L’Histoire de l’alimentation (J.-L. Flandrin & M. Montanari, dir.). Permettez-moi de signaler Claudine Fabre-Vassas qui s’est penchée sur les attitudes des Juifs et Chrétiens envers le cochon, Ken Albala qui a étudié les goûts de la Renaissance, l’assyrologue Jean Bottéro qui s’est occupé de la Mésopotamie antique, Rebecca Spang de l’invention du restaurant, Laurioux du Moyen Âge et A. Cappati et M. Montanari sur l’histoire culinaire italienne.
Retournons en Angleterre où la cuisine italienne à connu une histoire de hauts et de bas. C’est dans les années 1950 que la perfide Albion aurait découvert (de nouveau) les goûts italiens à travers la pasta, après une période de répugnance pour l’ail et l’huile d’olive. Si la cuisine italienne à été populaire bien avant cette période, elle avait quasi disparue vers la fin du 19e siècle. Sherlock Holmes ne mangeait pas des macaronis. Pour illustrer cette histoire je citerai une lettre de Madame Bridged Allen parue dans le Times Literary Supplement du 26 juillet 2002.
« Sir, – Avec une économie compréhensible, Bee Wilson conclut son compte rendu sur l’exposition sur la pasta en citant un livre publié en 1937 comme preuve que la conscience britannique de la pasta existait avant le déluge culinaire des années 1950. N’oublions cependant pas le grand nombre de magasins italiens qui fleurissaient à Londres au long du 18e et du 19e siècle, vendant du macaroni, du vermicelle, du fromage parmesan, de l’huile d’olive, des anchois, etc. La plupart de ces ingrédients avaient connu une popularité, au moins à partir du temps de Shakespeare, comme le dictionnaire d’Oxford nous le confirme. Tout comme les plats de viandes fortement pimentés (« ragoos »), ces plats irritaient périodiquement puritains et xénophobes ; ils tombaient ou bien en désuétude ou bien on les transformait en une insipide bourbe britannique tel le macaroni-fromage ou le pudding sucré macaroni. Vers 1919 la plupart des magasins italiens qui fleurissaient dans les années 1880 avaient disparus, un développement accéléré par les grandes épiceries et leurs fournisseurs industriels, le mouvement hygiénique Edwardien qui propageait une nourriture morne et plaine, et la pénurie suite à la première guerre mondiale. Les mémoires gastronomiques sont courtes, et aux yeux de la plupart des survivants du rationnement entre 1940 et 1950, tout signe de nourriture exotique en Grande-Bretagne a dû sembler certainement une nouvelle découverte ».
Voilà pour l’Angleterre. Une dame italienne m’a raconté qu’au début de sa migration vers les îles britanniques l’huile d’olive se vendait dans les pharmacies, sans doute pour nettoyer les oreilles ou se faire une purge. Mais soyez prudents et tempérez votre chauvinisme gastronomique. Les Anglais n’étaient pas les seuls à ignorer la cuisine italienne comme il faut. Je me rappelle une histoire de Maigret où celui-ci découvre les spaghettis dans un restaurant parisien. Mon père m’a raconté qu’en Belgique avant la guerre on mettait du sucre candi sur les macaronis. Et ce n’est que suite à une mauvaise récolte des pommes de terre à la fin des années soixante, suivi d’une montée vertigineuse du prix de la frite nationale, que la Belgique est devenue consommatrice de pâtes.
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